Le People’s Pledge est une initiative transversale de parlementaires de divers partis britanniques en vue de réclamer un référendum sur les relations du Royaume-Uni avec l’Union européenne… Déjà, 68 députés l’ont signé… alors que leurs vues divergent sur la réponse (ou même les questions). Cette initiative « non partisane » l’est pourtant dans la mesure où elle réunit, chez les travaillistes, Lord Mandelson (considéré europhile) et Ed Balls, qui, sous le gouvernement de Tony Blair (avec Gordon Brown au Trésor), avait œuvré pour conserver la Grande-Bretagne hors de la zone euro…

 

 

On le sait : François Hollande, dans un entretien avec Slate, avait déclaré que, pour le Royaume-Uni, l’Union européenne ne devait pas être « un tiroir caisse et encore moins un restaurant self-service. ».  C’est bien aussi la question pour nombre de conservateurs britanniques qui renversent les termes de cette assertion. Pour eux, l’Eurozone et son sauvetage imposent trop de contraintes et contributions, au fonds de solidarité comme au FMI, sans compter le volet législatif social, sur le travail notamment, considéré tel un carcan.
En gros, sur la question européenne, les trois grandes formations politiques britanniques sont plus ou moins partagées, les libéraux démocrates étant considérés europhiles, les conservateurs eurosceptiques voire hostiles (à des degrés divers) et les travaillistes mitigés.

À ces partis s’ajoute bien sûr le SNP (nationaliste écossais) et divers petits partis de droite nationaliste (pour l’Union… Jack). Mais les lignes bougent.

Certains, chez les conservateurs, considèrent par exemple que le maintien de la Grèce dans la zone euro serait finalement moins coûteuse : laisser la Grèce à son sort comporte des risques de contagion et il ne serait pas compris que le Royaume n’aide pas les citoyens grecs à supporter les conséquences de la transition comportant, selon eux, des risques de famines ou d’insurrections violentes. Ce n’est pas tout à fait la position de l’extrême-droite britannique (la far-right), très fortement isolationniste, qui, même divisée, est influente avec notamment, électoralement, l’UKIP, assez proche du positionnement actuel du Front national, y compris sur les questions européennes.

De même, côté travaillistes, aussi pour des raisons internes (la direction du parti) ou externes (coller à l’opinion dominante de l’électorat), diverses personnalités plaident pour le recours à un référendum sur l’Union européenne, consultation déjà exigée par les conservateurs les plus eurosceptiques. Ed Balls est le shadow chancellor (ministre pressenti pour les Finances en cas de victoire aux législatives) du parti travailliste, le Labour. Bien qu’il considère le moment inopportun pour l’instant, il estime que le référendum s’imposera. En cela, il s’oppose au chef du parti, Ed Miliband. Il s’est prononcé hier en ce sens devant les invités et le conseil de direction de la banque d’affaires Nomora, l’un des piliers de la City, du Square Mile de Londres.

Il l’a fait dans le but de convaincre les Britanniques de renforcer les liens avec l’UE. Sous-entendu d’une manière leur convenant. Le référendum serait l’occasion d’argumenter. Son opinion a été confortée par Lord Mandelson, europhile déclaré. Ce dernier, ancien ministre et commissaire européen, qui s’adressait hier lundi devant les membres du Centre for European Reform, a souhaité que les Britanniques se prononcent pour une autre Europe, moins crispée sur le pacte fiscal et la règle d’or prônée par l’ex-couple Merkel-Sarkozy. Renforcement des liens, mais meilleure flexibilité, telle est la voie prônée par les travaillistes, plus en accord avec les vues de François Hollande qu’avec celles de David Cameron. Mais cela devrait être entériné par les sujets du Royaume et non pas par les seules « élites ».

 

C’est prendre un fort risque… Tout dépendrait de la formulation des questions posées. Un autre commissaire européen, Joaquin Almunia, s’est opposé aux conceptions du duopole dit Merkozy et de la majorité parlementaire allemande : dicter leurs conduites aux gouvernements de l’Eurozone n’est pas raisonnable, ni « démocratiquement soutenable ».

 

 

Dans une tribune libre publiée par The Guardian, Ed Balls et Lord Peter (Mandelson) ont dénoncé les risques de blocage dû à un choix privilégiant soit la croissance, soit la réduction des déficits. Cette alternative n’est pas viable, il convient de décider du bon dosage. Mandelson avait plaidé pour l’entrée dans l’Eurozone tandis que Balls s’y opposait, rappelle le texte. Mais ils sont à présent d’accord sur l’objectif de préserver la monnaie unique… sans casser la demande des consommateurs ou des États et collectivités voulant investir. La seule épuration des dettes ne peut suffire pour rétablir la croissance.

La cohésion, l’harmonisation fiscale renforcées sont la condition d’une stratégie alliant rigueur et relance. Cela impliquerait des efforts que l’Allemagne répugne à consentir, soit « une période de hausse des salaires au-dessus de la moyenne européenne et un taux d’inflation supérieur afin de rétablir l’équilibre » (entre l’Allemagne et les pays du sud européen). Pour amorcer la relance ou soutenir la croissance, un rôle accru devrait être dévolu à la Banque européenne d’investissement (BEI ou EIB). Elle pourrait émettre des obligations destinées à financer des investissements structurels d’équipement ou susceptibles de favoriser la compétitivité (par la formation des professionnels, le soutien aux entreprises innovantes).

 

 

Dans cette perspective la Grande-Bretagne devrait rompre son isolement : « il n’y a pas de mauvaise issue pour la zone euro qui ne soit pas aussi mauvaise pour la Grande-Bretagne… ».

 

Certes, ce n’est pas déjà un appel à une gouvernance européenne renforcée au point de faire perdre une part de sa souveraineté au Royaume-Uni, mais après le veto de David Cameron devant les instances européennes, c’est un véritable retournement.

Les conservateurs l’entendront-ils de cette oreille ? Sans doute pas vraiment les eurosceptiques qui ont les premiers prôné un référendum. Mais Mandelson cherche en fait à « débusquer » la majorité conservatrice et la pousser à se déclarer publiquement aussi pro-européenne qu’elle peut l’être en secret. La politique européenne britannique est selon lui menée « en privé, presque en secret ».

 

Ed Balls a aussi soutenu la perspective d’une création d’obligations européennes, les eurobonds, que défendent aussi François Hollande et son futur gouvernement. La dette doit être mutualisée. De mêmes, les mécanismes intergouvernementaux doivent être réactivés pour ne pas laisser le couple franco-allemand décider seul.

 

Divers éditorialistes eurosceptiques ont dénoncé les « blairites » (dont le « venimeux » Mandelson) et de nouveau Ed Balls (plus éloigné de Tony Blair) mais sans s’opposer frontalement à l’idée d’un référendum qu’ils souhaitent (comme 56 % du lectorat et de l’électorat britannique). Côté conservateur, le très influent maire de Londres, Boris Johnson, récemment réélu, plaide aussi pour une consultation.

Peter Mandelson s’était déjà prononcé sur la question lors d’une conférence à l’université d’Oxford et il vient donc d’obtenir l’accord explicite d’Ed Balls. Les conservateurs au pouvoir pourraient paradoxalement bloquer l’idée d’un référendum qui pourrait conduire au non ardemment voulu par la coalition nationaliste UKIP et constituerait pour eux un désaveu s’ils plaidaient pour une renégociation des liens du Royaume avec l’Union européenne. Si David Cameron le fait d’une manière supposée plaire à son électorat, il risque une rebuffade de l’Allemagne, de la France, et de maints autres pays européens, ce qu’il souhaite éviter. S’il fait des concessions aux travaillistes et que le non l’emporte, son maintien au 10 Downing Street serait fortement compromis.

La question de l’UKIP (Independence Party), aux vues très proches de celles du Front national français, voire plus opposées à l’Union européenne encore sur maints points, mais moins drastiques sur d’autres que celles du BNP (British National Party) est devenu cruciale tant pour les conservateurs que les travaillistes (et en moindre mesure pour les libéraux démocrates, de toute façon détestés par la droite de la droite). Proposer un référendum couperait l’herbe sous les pieds de l’UKIP en vue des élections européennes de 2014 (supposées renforcer l’UKIP) mais, pour Ed Miliband, présente un risque : un oui confortant les travaillistes risquerait, si la zone euro ne pouvait être sauvée, ou si les turbulences s’aggravaient, d’être regretté par son électorat.

Personne ne peut prédire l’issue d’un tel référendum au Royaume-Uni, quelle que soit la question posée (a priori, pour le moment, si elle était tranchée sur le sujet du maintien du Royaume dans l’Union, le oui à l’adhésion pourrait l’emporter si la seule alternative était un non ; mais tout dépendrait aussi de la date et des circonstances). 

 

Peut-être qu’avec un certain pragmatisme la classe politique dominante britannique a décidé d’évoquer plus fréquemment ce référendum pour en fait l’éloigner et en repousser graduellement la date… Cette éventualité poisse les doigts des dirigeants des partis et pour le moment, les seuls à s’en régaler sont les instituts de sondage qui se délectent de leurs incertitudes.

 

P.-S. – les partis nationalistes britanniques les plus en vue sont l’UKIP, anti-immigration mais plutôt populiste non-xénophobe, le British National Party et sa branche dissidente, les English Democrats (fédéralistes, désirant un parlement purement anglais à l’égal de l’écossais, se considérant proches du SNP et du Plaid Cymru gallois) ainsi que Veritas, en déclin. Un Christian Party est présent, formé de deux branches (galloise et écossaise), plutôt réactionnaire, mais la Christian Peoples Alliance, qui a aussi le statut de parti politique, a des orientations plus sociales et humanistes. Il existe aussi une English Defence League dont le British Freedom Party constitue plus ou moins la branche politique.