Avertissement : cet article ne s’adresse nullement à ceux qui s’entendent, sur ce site ou ailleurs, à polémiquer sur les bienfaits ou les nuisances du capitalisme, mais à ceux qui désirent comprendre un peu mieux les problèmes auxquels sont confrontés, dans ce système qu’est le capitalisme, précisément (étant entendu que si nous étions sous un régime communiste, les choses seraient très différentes) un certain nombre d’acteurs du jeu économique, comme, par exemple, la Grèce actuellement.
Et puisque la Grèce est très endettée, en ce moment, il est bon de dire deux mots sur ce qu’est l’endettement et quelles sont les règles à cet égard.
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Sur un plan purement technique, un Etat ou une société privée peut emprunter de l’argent, sur le marché des capitaux, en émettant, pour cela, des titres obligataires. Ces titres, qui sont d’abord aux mains des instituts (en général des banques) chargés de lancer l’emprunt pour le compte du débiteur, seront revendus ensuite par eux (s’ils les ont eux-mêmes achetés), sur le marché boursier, aux différents investisseurs qui s’intéressent à l’affaire.
Imaginons, à partir de là, que l’emprunt porte sur 10 ans. Durant cette période le débiteur va devoir payer un intérêt, aux créanciers, sur cet emprunt. Et il va devoir également rembourser les créanciers à l’échéance du prêt.
Cet intérêt payé régulièrement aux créanciers, d’où vient-il?
Dans le cas d’un consommateur qui achète ses biens de consommation à crédit, il provient de son revenu présent et futur, et donc, s’il est salarié, de son salaire présent et futur (si le crédit à la consommation porte sur plusieurs années).
Dans le cas d’une entreprise privée, il provient du bénéfice qu’elle va tirer de ses activités présentes et futures grâce aux prêts qu’elle a pu obtenir.
Et dans le cas d’un Etat, il provient de la somme des profits des entreprises, tous secteurs de l’économie confondus, qui, grâce à l’argent prêté, peuvent se développer sur le territoire où l’Etat en question est souverain.
La seule différence, par rapport à celui d’une entreprise privée qui emprunte sur le marché des capitaux, est que l’Etat est ici à la fois le promoteur et le garant des entreprises qui, dans le pays, se développeront, sous sa tutelle, grâce à l’argent emprunté.
Mais dans tous les cas, l’intérêt des fonds d’emprunt, quelle que soit la durée de ces emprunts, repose, dans l’économie capitaliste, sur le profit des entreprises et des banques (sans considération, s’agissant des entreprises, de leur domaine d’activité), ainsi que (s’il s’agit d’un crédit à la consommation) sur le revenu présent et futur des consommateurs qui achètent les biens à crédit.
Quant au dit revenu, il dépend des résultats présents et futurs des entreprises qui engagent, comme salariés, ceux dont le revenu va servir de garantie aux organismes prêteurs au moment où ces derniers leur accordent un crédit à la consommation.
Or là est le problème : si le crédit à la consommation et à l’investissement va effectivement permettre aux entreprises de produire et vendre leurs produits rapidement, et, à fortiori, de faire du profit et générer de la croissance par extension des activités de production et de vente; une fois que les besoins sur les produits en question auront été satisfaits, le consommateur (s’il s’agit d’un crédit à la consommation), ou l’entreprise (s’il s’agit d’un crédit à l’investissement), qui avait acheté ces biens à crédit, sera empêché de rembourser le crédit ayant permis un pareil achat.
Pourquoi ? Réponse : car les entreprises oeuvrant dans les secteurs de la consommation et de l’investissement vont réduire leurs activités en raison d’une saturation progressive des marchés, ou, ce qui revient au même, en raison d’une baisse progressive de la demande pour les biens qui les font vivre.
Elles vont donc réduire également les salaires ou licencier des travailleurs, et parmi eux, des salariés qui ont payé leurs biens de consommation à crédit (soit qu’ils fussent impressionnés par la publicité faite sur ces biens, soit qu’ils le fussent par les offres alléchantes des organismes de crédit).
C’est donc, en l’occurence, le décalage qui existe entre, d’un côté une consommation qui arrive à saturation, et, de l’autre, le crédit ayant permis le développement de cette consommation, qui explique le retournement de la conjoncture et la crise accompagnant un pareil retournement.
Mais la question de fond, puisque le monde est aujourd’hui sous le régime du capitalisme, est que l’intérêt sur les fonds d’emprunt repose sur le profit que ces mêmes fonds permettent aux entreprises de générer en produisant et en vendant des biens qui non seulement répondent à un besoin, mais qui suscitent, du fait de leur nouveauté, de nouveaux besoins.
Et ce qui vaut pour les entreprises vaut également pour les Etats, puisqu’eux-mêmes dépendent, pour leur prospérité, des entreprises installées sur leur territoire.
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Quand donc les autorités allemandes, pour prendre un exemple qui fait aujourd’hui l’actualité, mettent les autorités grecques sur la sellette au motif que les restructurations n’avancent pas assez vite en Grèce, elles considèrent qu’en échange des nouveaux prêts de l’Allemagne (et, au delà, de l’Union européenne), la Grèce doit réformer son économie afin de lui permettre de dégager des excédents. Et comme ces mêmes excédents reposent sur les profits des entreprises, les prêts nouveaux doivent servir à transformer des entreprises déficitaires en entreprises rentables ou profitables.
A l’inverse, prêter à une entreprise en faillite, ou à un Etat en faillite, revient, comme le soulignait récemment Wolfgang Schaüble, ministre des finances de l’Allemagne, à propos de la Grèce, à verser l’argent dans un puits sans fond si cette entreprise ou si cet Etat ne se réforme pas.
Si donc le taux d’intérêt sur la dette souveraine grecque, une fois son prix négocié en bourse, monte à 20, 30, 40%, ce n’est pas parce que les entreprises grecques font 20, 30 ou 40% de profit sur leurs activités, mais parce qu’elles font des pertes qui les pousseront à terme à mettre définitivement la clé sous la porte.
En d’autres termes, ces taux d’intérêt-là incorporent le risque de voir le débiteur faire faillite. Et comme ce risque est évalué par les investisseurs internationaux, ce sont eux qui, en achetant ou en vendant les titres de la dette souveraine grecque sur le marché boursier, fixent chaque jour les taux d’intérêt réels, effectifs, attachés à cette dette.
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Tout cela pour dire que les Etats les mieux portants ont des taux d’intérêt très faibles sur leur dette souveraine, et les Etats les moins bien portants ,des taux très élevés.
Réciproquement, quand une banque ou un organisme de crédit propose des taux de rendement élevés à ceux de leurs clients qui désirent placer leur argent quelque part, on peut être assuré que le risque sur les placements est très élevé.
A la limite, on rentre dans l’escroquerie financière, dont la plus retentissante fut, ces dernières années, l’affaire Madoff.
Souvenons-nous, en effet, que ce personnage important de la bourse de New York (il a même été président du Comité chargé de contrôler les opérations de la bourse) versa, durant des années, à des investisseurs de toute nature et de toute provenance (qui étaient en général des gens très fortunés) des taux d’intérêt mirobolants sur les placements qu’ils offraient à ses clients, taux qu’il payait avec l’argent des emprunts effectués auprès des nouveaux clients.
Et tout le château de cartes (appelé système Ponzi par les spécialistes de la finance) s’effondra quand certains clients, pris eux-mêmes dans la tempête des subprimes américains, demandèrent le remboursement de leurs avances.
On notera néanmoins que la situation est la même quand une banque privée voit arriver à ses guichets des clients qui désirent retirer leur argent au motif qu’ils soupçonnent une faillite prochaine de la banque.
Et même si la banque peut prouver qu’elle fait du bénéfice au lieu de faire des pertes sur ses opérations, qu’elle est donc solvable, elle n’a pas, dans ses caisses, l’argent nécessaire pour rembourser tous les déposants qui voudraient retirer leur argent de la banque. Elle n’a pas ces montants car la quasi totalité de ceux-ci ont été placés ou investis.
C’est donc le rendement de ces placements ou investissements qui va payer l’intérêt sur les dépôts des épargnants.
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Moralité : quand un débiteur (qu’il s’agisse d’une entreprise privée ou d’un Etat) emprunte de l’argent à 10, 20 ou 30 ans, ce qui compte, d’un point de vue économique, ce n’est pas le fait qu’il doive rembourser l’emprunt à telle échéance plutôt qu’à telle autre; mais le fait qu’il soit TOUJOURS capable de payer un intérêt sur ses emprunts, prouvant par là qu’il est un débiteur solvable.
Or, à ce débiteur-là, le créancier ne demandera jamais le remboursement de son emprunt, puisque celui-ci constitue une RENTE PERPETUELLE.
Techniquement, cela revient à dire que le débiteur trouvera toujours, à l’échéance de ses emprunts, l’argent nécessaire, sur le marché des capitaux, pour les renouveller.
Or ce n’est pas le cas si les investisseurs soupçonnent qu’une entreprise privée ou un Etat va faire faillite. Puisqu’en ce cas, en effet, cet Etat-là emprunte désormais de l’argent pour payer les annuités sur les emprunts précédents, et notamment pour payer des intérêts stratosphériques qu’on exige sur ces mêmes emprunts, intérêts qui reflètent le degré de risque ou d’incertitude que les investisseurs internationaux attachent à ce type de placement.
Et plus l’Etat concerné est en faillite, plus il sera engagé dans le cercle vicieux d’une dette qui augmente sans cesse en raison des intérêts. Au point qu’un moratoire deviendra nécessaire, comme c’est le cas, aujourd’hui, à propos de la Grèce, lorsque les créanciers privés ont consenti un allégement du fardeau supporté par ce pays.
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La Grèce devra donc, quoi qu’il advienne, se réformer. La seule question qui se pose est : à quel rythme doit-elle engager ses réformes pour ne pas mettre quantité de Grecs dans la misère?
Quant à dire que ce sont les Allemands qui ont mis les Grecs dans la situation précaire où ils se trouvent actuellement, il ne faut pousser un pareil bouchon trop loin: l’argent ne tombant pas du ciel, pour l’obtenir, dans la concurrence à l’échelle mondiale qui prévaut actuellement, chaque pays, et, à l’intérieur, chaque entreprise, doit bosser dur et se retrousser les manches. Sinon, les retardaires finiront par se retrouver dans les derniers wagons du train, et, finalement, sur la voie, qui est également une voie de garage pour les éjectés du train.
Que cela ne fasse pas plaisir à certains, là n’est pas la question : Ia question est qu’il est plus facile à un pays pauvre, une fois celui-ci réformé institutionnellement et dans ses mentalités, d’aller vers la prospérité, qu’à un pays riche, car déjà réformé institutionnellement, de conserver cette prospérité.
Raison pour laquelle l’Europe et les Etats-Unis se feront un jour dépasser par la Chine, l’Inde ou le Brésil. Et si ce n’est pas aujourd’hui ou demain, ce sera dans vingt, trente, ou cinquante ans.
Et plus ces pays là prendront les devants, plus les rapports sociaux se durciront dans les anciens pays du premier monde; avec, en corollaire, une hausse de la précarité et de l’insécurité dans ces pays.