Le Canard enchaîné en fait sa une du 22 février. Nicolas Dupont-Aignant a été piégé par l’humoriste Gérald Dahan (un Lafesse-like) qui s’était fait passer pour Cantona lors d’une conversation téléphonique. Selon le volatile, Rires & Chansons a refusé de diffuser. Quitte à divulguer largement les bonnes phrases du candidat souverainiste d’inspiration gaulliste. Sarkozy en prend pour son grade, mais NDA n’égratigne qu’à peine Marine Le Pen, corsetée, selon lui, par le Front national. Ce qui n’est pas l’avis de la journaliste Claire Checcaglini, « infiltrée » mais non embedded, chez les frontistes des Hauts-de-Seine…

L’imitateur Gérald Dahan, pour Rires & Chansons, a donc réussi à convaincre Nicolas Dupont-Aignan qu’il était bien Éric Cantona. Et NDA s’est franchement « lâché ». Il pense pis que pendre de Sarkozy – « catastrophe ambulante » – pour lequel, contrairement peut-être à Dominique de Villepin, dont un ralliement du bout des lèvres n’est plus à exclure, jamais il ne se transformera en rabatteur : « plutôt mourir ».
Ce qui est quand même inquiétant, et ce que Le Figaro, qui, comme tout le monde, est désormais au courant de la vidéo diffusée par Morandini, se garde bien de relever, c’est que Nicolas Dupont-Aignan se déclare « écouté en permanence ». De même, le prétexte de l’appel, le logement social, passe un peu à l’as dans les papiers. Sarkozy, « crapule », est cent coudées en-dessous de Bayrou (« paysan au sens noble, mais pas lié au fric (…) cela compte, les valeurs ») ou Hollande, selon NDA, et cela seul ou presque retient l’attention.
Pas non plus de reprise des propos sur les instituts de sondage, tous aux mains de gens « du CAC 40 ».

On peut se reporter au verbatim, et voir aussi que, sur Bayrou ou Hollande, Dupont-Aignan n’a pas de restrictions que mentales.

Marine Le Pen « piégée »

Plus intéressante est la petite phrase sur Marine Le Pen qui serait « mieux que la presse ne le dit » mais « prisonnière du Front national ». On se demande pourtant, notamment avec la candidature de Carl Lang, dissident du Front, qui tient qui par la barbichette.

Selon de bonnes feuilles de Bienvenue au Front, journal d’une infiltrée, de Claire Checcaglini, journaliste (éds Jacob-Duvernet), que publie Mediapart, non seulement le Front national de Jean-Marie Le Pen n’aurait guère évolué, mais Marine Le Pen jouerait un constant double jeu.

Ce bouquin de journaliste est d’apparence (en dépit du filtre de Mediapart), honnête. L’auteure n’invente sans doute rien. Mais la question est de savoir si elle met bien en perspective ce qu’une sociologue aurait analysé plus finement. Faire du Front le lieu d’un « ordinaire raciste » rend sans doute compte de l’attitude d’une partie de l’appareil de base, celui des sections, des départements, très peu renouvelée par l’apport des nouveaux « fervents » de Marine Le Pen. Depuis le livre d’Anne Tristan (Au Front, chez Gallimard, voir ses textes sur la revue Vacarme), les fondamentaux des adhérents anciens et des cadres du FN ont sans doute peu évolué.

Mais la volonté, qui serait réelle, de prise de pouvoir, obligera bien à prendre véritablement en compte le nouvel électorat qui finira bien par se mêler à la base militante. C’est inéluctable. Parti populiste (rien de péjoratif à cela), le Front ne peut se survivre sans voir que sa nouvelle base populaire n’est pas plus, en soi, xénophobe, que la majorité des Françaises et Français, qu’ils soient « de souche », d’ascendances caucasiennes ou autres. Il suffirait sans doute qu’un fort afflux de personnes, bien blanches de peau, comme tant de personnes des pays baltes ou autres, se livre à des actes de délinquance répétitifs, mis systématiquement en exergue au Royaume-Uni, pour que la perception de la « menace raciale » évolue. Alors que l’essentiel de la réelle misère, et ses conséquences, est ailleurs, beaucoup plus largement partagé.

Islamophobie, fonds de commerce

Marine Le Pen serait-elle plus islaphomobe que son père, Jean-Marie, tout prêt à trouver des qualités à Saddam Hussein et à d’autres sunnites ?  Sans doute pas : s’ils sont riches, les voilà fréquentables. Un certain Sylvain, marié à une Antillaise bien noire de peau, estime que Marine Le Pen fait profession d’islamophobie et « flatte la laïcité ». Elle se garderait de rentrer « dans le lard de l’islam » pour des raisons électoralistes. Bah, un langage pour chaque interlocuteur, ce n’est pas nouveau, et certainement pas propre à Marine Le Pen.

« Je ne sais pas s’ils font cela parce que c’est un bon gagne-pain ou s’ils ont vraiment envie de gagner, » poursuit Sylvain dans Bienvenue au Front. La question ne se pose sans doute même plus dans les sections du PS, ou surtout de l’UMP (où gagner davantage, par tous les moyens, est parfaitement admissible, pour soi comme pour les autres). C’est peut-être là, à mon sens, l’essentiel. Même les cadres intermédiaires pas trop affairistes du FN commencent à avoir une certaine capacité de réflexion. Certes pas au point de concevoir ce que leurs slogans et argumentaires peuvent impliquer d’incitation aux dérapages menaçant la paix sociale.

La journaliste a trouvé au FN des gens « attachants ». Mais elle résume : « les gens sont au Front national essentiellement parce qu’ils sont contre les musulmans. ». Est-ce bien même vraiment le cas, au-delà des apparences ? J’ai parfois l’impression que des gens rallient le Front comme d’autres les Frères musulmans. Besoins de prétextes et de sentiment de cohésion.

Je peux comprendre qu’une jeune journaliste (pas si inexpérimentée, il faut du métier réel pour se livrer à ce genre d’exercice), sincère, soit convaincue par les apparences, soit celles d’un racisme quasi-viscéral dans l’expression. Que l’on peut retrouver partout, à l’UMP, bien sûr, mais aussi ailleurs.

Elle fait état d’une progression de l’adhésion au FN en Seine-Saint-Denis de 70 %, « en quelque mois ». Uniquement pour des motivations xénophobes ? Cela me semble un peu court.

Plus inquiétante me semble la réaction de Dupont-Aignan. Que je comprends. J’ai aussi rencontré des gens du Front, notamment des candidats, très fréquentables, notamment d’anciens étudiants remuants devenus des bourgeois installés, en manque d’une plus grande notoriété ou de revenus complémentaires (conseiller général ou régional rapporte : voyez le fils Sarkozy dans les Hauts-de-Seine), d’influence. Affables, cultivés, &c., ne croyant plus trop un seul mot de ce qu’ils profèrent en public.

Et j’en viens à me demander si se prétendre Éric Cantona ou militante « infiltrée » du Front ne revient pas au même. Alors que d’autres dimensions vous échappent (à moi-même, aussi, évidemment).

Je ne sais toujours pas si Marine Le Pen est « piégée » par son appareil ou si elle en joue, le manipule, lui fait miroiter une victoire autre que, finalement, pour elle, personnelle, et elle seule, comme le lui a enseigné son père. Il semble évident qu’elle n’a pas tout à fait eu un Edgard Faure pour mentor.

Mais peut-être que Dupont-Aignan, s’adressant à « Cantona » eu raison.

Pourquoi ne pas faire semblant de considérer Marine Le Pen pour ce qu’elle présente d’elle-même ?
C’est peut-être, davantage que l’enquête sérieuse, approfondie, et même courageuse, de Claire Checcaglini, le meilleur moyen de mettre le Front, soit ses nouveaux adhérents et militants, et Marine Le Pen elle-même, le nez dans leurs contradictions, faux-semblants, et fausses convictions.

Alors, évidemment, il y a diverses manières d’appréhender la stratégie du Front national. Celui de gauche (Parti communiste et celui de Mélenchon) organisent, ce mercredi 22, un débat à Nice sur le thème de « l’imposture sociale du FN » (avec Robert Injey, Delphine Girard et Jacques Victor). On peut y croire, faire semblant d’y croire, ou ne pas y croire.

Épilogue provisoire

Accusé par Rires & Chanson d’avoir diffusé son enregistrement, Gérald Dahan s’est vu mercredi refuser l’accès à la station. Dupont-Aignan ne regrette pas ce qu’il a pu dire. Comme par hasard, hier, pour la première fois de sa carrière, NDA s’est vu sanctionné par le président de l’AN (Accoyer) sur un prétexte futile : « au seul motif que je brandissait l’image d’un chèque de 140 milliards d’euros représentant la somme que les députés vont affecter au Mécanisme européen de stabilité. ». Avoir dit qu’avec Sarkozy encore cinq ans, le pays risquait de finir à feu et à sang (dans l’entretien avec Dahan) n’est absolument pas intervenu en ligne de compte, bien évidemment.