de Pierre Bourdieu dans la fabrique des débats publics.
Pierre Bourdieu, AFP, document Le nouvel Obs.
C’est dans Le Monde diplomatique, édition électronique, de janvier 2012 qu’en première page est présenté un texte inédit de Pierre Bourdieu. Cette phrase «l’officiel est un ventriloque qui parle au nom de l’État», ne représente-t-elle pas un homme qui parle du ventre sans ouvrir les lèvres, du latin venter qui fait du vent. Mais c’est surement une représentation du populisme, «le peuple a besoin d’un ventriloque pour parler d’une seule voix», de Marco Tarchi, professeur de sciences politiques à Florence et auteur en 2003 d’un ouvrage intitulé «L’Italia populista». Une image bien réelle qui ne s’applique pas qu’aux hommes officiels mais à tous journalistes et autres philosophes, qui diffusent sur l’écran télévisuel familial leur politique, s’érigeant de fait en portevoix de leur tendance. C’est aussi la gestion d’un peuple multiethnique et multiculturel qui rend difficile l’échange et la compréhension. Gauche droite, comment parler pour être comprit, c’est bien là la conséquence «Le Pen» qui séduit avec une désaffectation au devoir civique, «c’est tous les mêmes». L’une comme l’autre ces deux tendances majoritaires n’apportent rien au peuple d’en bas, alors «Le Pen peut être ?» C’est aussi vrai pour ceux du milieu politique qui croient par ce qu’ils se disent entre les deux, qu’ils pourront faire mieux. En fait le milieu politique sait-on vraiment ce que c’est ?
C’est le fondement même de la société qui conduit à l’expression d’une forme de grogne par ce que pour les pauvres gens rien ne change, que peuvent faire les politiques si les usines n’embauchent pas dans ces banlieues laissées à l’abandon ? Alors le langage populiste devient le seul qui est comprit. Le rejet de leur misère sur l’immigré qui vient manger le pain des pauvres, a toujours existé. Le fascisme Italien porté par un nationalisme d’après guerre sur la misère conduisit à l’exode de nombreux Italiens vers le Nord de l’Europe. Tout comme le national socialisme qui fit porter sur les Juifs la misère de la classe ouvrière Allemande. Mussolini et Hitler furent les deux grands ventriloques de notre histoire.
Pierre Bourdieu 1930-2002 est un sociologue représentant dans sa vie publique la pensée intellectuelle Française d’une gauche radicale sur les sciences humaines et sociales.
C’est en son honneur que les Éditions du Seuil avec celles des Raisons d’Agir ont publiées, à partir du 5 janvier, plusieurs ouvrages de cet intellectuel décédé à 71 ans.
Transversale à l’œuvre de Pierre Bourdieu, la question de l’État n’a pu faire l’objet du livre qui devait en unifier la théorie. Or celle-ci, à laquelle il consacra trois années de son enseignement au Collège de France, fournit à bien des égards, la clé d’intégration de l’ensemble de ses recherches, cette «fiction collective» aux effets bien réels est à la fois le produit, l’enjeu et le fondement de toutes les luttes d’intérêts, de l’Éditeur.
Le Monde diplo reproduit un extrait de «Sur L’État», Cours au Collège de France 1989-1992. Pierre Bourdieu a postulé et réfléchi sur la nécessité de l’indignation qui est une exclamation de ce que l’on ne peut plus tolérer, et sur laquelle Stéphane Hessel écrivit «indignez-vous» qui fut un essai publié en 2010 dont le succès fut mondial. Le titre de son petit livre relatant le passage à l’écrit d’un entretien télévisé en 1990. «Si le monde social m’est supportable c’est parce que je peux m’indigner», éditions de l’Aube, parution 2 avril 2004, est tout au fait de l’actualité. L’indignation, forme contemporaine de la contestation, s’incarne, en effet, dans des figures d’intellectuels, devenus des emblèmes de la gauche radicale, Le nouvel Obs. Mais pas seulement, qui ne peut être indigné devant les non logés qui dorment dans leur voiture ou dans la rue par cette température ? Ce n’est pas qu’une affaire d’intellectuels, mais de tous. La crise actuelle touche tout le monde, surtout les plus faibles, ceux qui n’ont pas de réserves.
«D’un coté une situation sociale inouïe, de l’autre un débat public mutilé, réduit à une alternative austérité de droite et rigueur de gauche. C’est tout à fait d’actualité. Comment se délimite l’espace des discours officiels, par quel prodige l’opinion d’une minorité se transforme-t-elle en opinion publique ? C’est ce qu’explique le sociologue Pierre Bourdieu».
Analyse et réflexions
L’homme officiel qu’est-ce que c’est selon Pierre Bourdieu. Il serait, selon ce qu’il écrit, celui qui est digne d’avoir une opinion qui serait publique, et il définit cette opinion publique comme un droit seigneurial par le mot «censitaire» au sens noble. Le censitaire était celui qui tenait le fond à cens c’est à dire la censive, terre payée perpétuellement d’un cens. En somme pour Pierre Bourdieu, l’homme officiel jouirait d’un droit seigneurial au nom duquel il exprime l’opinion qui est celle du public, celle de tous, comme étant de la majorité de ceux qui comptent, et qui sont dignes d’avoir une opinion. En fait, l’opinion publique ne serait autre que celle de ceux qui gouvernent pas forcément celle de la majorité de l’instant. Or, rien n’est plus fluctuant qu’une majorité, qui en droit Constitutionnel est celle d’un vote que l’on définit comme celle qui serait effective le temps d’une mandature dans des pays démocratiques.
L’homme officiel parle donc pour tous puisque investit en tant que tel. Il a ainsi le droit de persuader l’opinion, c’est à dire nous, de la politique qu’il entend mener. Bourdieu écrit, qu’il parle en tant que représentant de l’universel. Ici, «l’Universel est un homme européen de culture européenne». En métaphysique le problème des Universels concerne l’utilisation du langage et la complexité entre le langage et la théorie ontologique, représentant la branche de la philosophie de l’étude de l’Être. L’Universel, s’oppose à celui d’Individu.
Un homme officiel n’est pas un individu, puisque nanti d’une compétence, et qui parle à différents niveaux de l’État. L’État étant représenté par un ensemble hiérarchique de compétences qui nous gouvernent. Chaque Être officiel parle donc au nom de l’opinion du domaine qu’il représente. Mais qu’est-ce que l’opinion, la personnelle ou la publique ? Si elle est publique, tout dépend de ce que l’on attribue potentiellement à «publique». Combien ce domaine représente-t-il de personnes ? Il ne peut être officiel que s’il représente un pourcentage majoritaire de cette opinion.
Pour Pierre Bourdieu, l’opinion publique est toujours une espèce de réalité double, en effet, il y a au minimum deux réalités qui s’affrontent, l’officiel et le public. Il écrit, c’est ce que l’homme officiel ne peut invoquer quand il veut légiférer sur des thèmes non encore constitués, puisque l’opinion publique ne s’est pas manifestée. Et il prend l’exemple du vide juridique dans les cas de l’euthanasie et des bébés éprouvette. Dans ces cas, selon lui, on crée des comités d’éthique formé de gens informés pour réfléchir afin de donner des positions qui seraient officielles c’est à dire universelles. Mais pour l’individu, elles ne seraient que publiques, c’est à dire sujettes à des conditions d’opinions majoritaires, qui placent l’homme officiel devant ses responsabilités s’il doit légiférer. Les comités d’éthique n’ont que des pouvoirs consultatifs, ils ne sont pas responsable en dernier ressort. Prenant l’exemple des mères porteuses Pierre Bourdieu dit, on doit invoquer l’opinion publique c’est à dire les sondages qui seraient l’équivalent de «Dieu est avec nous», dans un autre contexte.
Dans ce cas, la question qui se pose, est-ce que l’opinion publique est la bonne réponse ? En tant qu’universelle oui, mais en tant que valeur pas forcément, si l’on pense qu’elle est facilement manipulable.
Il prend l’exemple de la peine de mort, l’opinion publique était contre la peine de mort tandis que les sondages étaient pour, c’est embêtant, que faire ? En 1969 l’opinion publique était contre la peine de mort, mais la tendance s’inversa devant la recrudescence des crimes. L’officiel Georges Pompidou se voyait mal faire exécuter un condamné n’étant pas sanguinaire. Le cas se posa pour Roger Bontemps qui fut guillotiné alors qu’il n’avait pas tué, étant seulement complice. L’opinion publique avait changé. L’opinion publique varie donc en fonction de l’actualité. Pierre Bourdieu évoque la commission dont le but est d’apporter une information éclairée par la réflexion «d’experts» qui donneront une opinion publique légitime puisque investie de cette qualité. Les derniers exemples nous ont d’ailleurs montrés que les commissions sont aussi des moyens pour enterrer les projets, dès lors que la tendance sondagique est contre. Seulement la commission est la voie officielle par laquelle on cerne le mieux l’opinion publique, ce qui pour l’État constitue un moyen de faire passer une loi recueillant le maximum d’adhésion à une période donnée. Le problème est donc difficilement soluble.
La réflexion de Pierre Bourdieu sur les sondages montre la duperie qu’ils représentent. «Une des propriétés des sondages consiste à poser aux gens des problèmes qu’ils ne se posent pas, à faire glisser des réponses à des problèmes qu’ils n’ont pas posés, donc à imposer des réponses». «Par ce fait, de produire des réponses de tout sur les problèmes qui se posent à quelques-uns, donc à donner des réponses par la question. On a fait exister pour les gens des questions qui n’existaient pas pour eux, alors que ce qui faisait la question, c’est la question !»
L’officiel ou la mauvaise foi collective.
Pierre Bourdieu évoque la théâtralisation de l’intérêt pour l’intérêt général comme étant la conviction de l’intérêt pour l’universel, du désintéressement de l’homme politique, à la théâtralisation de la croyance du prêtre de la conviction de l’homme politique, de sa foi dans ce qu’il fait . C’est, selon moi, le problème du cas spécifique étendu au cas général par la théâtralisation. La politique actuelle, politique des cas en est l’exemple. On l’instrumentalise pour en faire un cas général. Le désintéressement serait une dimension importante de l’homme politique, et de citer la croyance du prêtre à celle de la conviction de l’homme politique qui n’est jamais désintéressé. Pour lui le désintéressement n’est pas une vertu secondaire, c’est la vertu politique de tous les mandataires ?
Les exemples nous montrent que non, tant s’écharnent les politiques pour conserver leur pouvoir et leur moyen d’existence. Dès lors que la politique est devenue un métier, elle n’a plus à voir avec l’analogie du désintéressement du prêtre.
Il associe les scandales politiques à l’effondrement de cette sorte de croyance politique dans laquelle tout le monde est de mauvaise foi. C’est vrai les scandales politiques marquent l’effondrement de la valeur politique qui entraine la mauvais foi collective. L’affaire Karachi en est un exemple.
La croyance, celle du citoyen d’abord quelle est-elle ? Elle est multiforme et variable au cours du temps. Elle dépend de sa culture. Plus l’individu est ignorant plus il est croyant, ne pouvant analyser ce que le monde extérieur lui présente. En politique c’est très caractéristique, sans analyse on croit celui que l’on voit le plus souvent. Mais aussi on croit celle de sa famille qu’elle soit religieuse ou politique. D’ailleurs l’une ne va pas sans l’autre. Elle se traduit ensuite dans des cercles de pensée comme les sectes ou des groupes de pensée comme la Franc-maçonnerie d’obédiences religieuse ou laïque. Ils deviennent des moyens de pression. Les hommes politique dont nombreux sont issus de ces groupes se trouvent, dès lors qu’il prennent du pouvoir, confrontés à des politiques contraires à leur idéal par la nécessité de former une cohésion majoritaire entrainant une mauvaise foi collective, contraignants ainsi leur conscience. La prise du pouvoir implique bien souvent une mauvaise foi collective, l’intérêt prime sur l’idéologie politique. Par exemple le slogan «travailler plus pour gagner plus» est une forme de mauvaise foi de le faire croire quand on sait qu’il n’y a pas assez de travail pour tous. Transporté à l’ensemble des citoyens, ce slogan devient une sorte de foi collective au sens sartien, c’est à dire un mensonge à soi-même guidé par l’égoïsme. «La mauvaise foi et l’esprit de sérieux menacent sans cesse la conscience. Si la mauvaise foi désigne, en effet, ce mensonge à soi-même, par lequel la conscience s’efforce de fuir sa liberté et son angoisse, l’esprit de sérieux peut, lui aussi, nous pétrifier», Sartre dans l’existence et la liberté. Autre exemple, nous critiquons nos hommes politiques bien qu’ils soient notre reflet, ils sont issus du peuple et par conséquent ils ont le même défaut, le mensonge, l’égoïsme. Il faut bien mentir pour faire passer une loi dogmatique vantant ses mérites à l’opinion dès lors que l’on sait qu’elle orientée, donc contraire au bien de tous.
La mauvaise foi collective est un jeu dans lequel tout le monde ment et ment à d’autres en sachant qu’ils se mentent, Pierre Bourdieu. En fait la mauvaise foi est une forme de vie de mensonges par la négation. La mauvaise foi en communication, en négociation, en processus de décision, la mauvaise foi comme forme de vie et de survie des individus. C’est que j’interprète de la pensée de Pierre Bourdieu sur ce qui serait l’officiel dont les représentants de notre histoire furent les deux grands ventriloques de l’après guerre 14-18.