Le député apparenté socialiste René Dosière vient de publier, au Seuil, L’Argent de l’État, essai aussi documenté que possible (la tâche confinant souvent à la gageure), qui tente de faire le point sur le coût réel de l’appareil d’État. Cela permet de comprendre à quel point la classe politique est devenue aussi « professionnelle » que, par exemple, la caste financière.

Je ne partage pas toutes les idées d’un François Asselineau ou d’un Jacques Cheminade, tous deux candidats à la présidence de la République (Cheminade aurait obtenu ses 500 signatures), mais je ne serai pas malheureux qu’ils puisent dans le livre de René Dosière, L’Argent de l’État, et qu’ils le popularisent. Tous deux sont issus des filières fournissant l’appareil d’État, qu’il soit issu ou non des urnes, et ils en sont aussi de féroces critiques.
Leur projet commun est d’affranchir les États de la domination de la finance. Ce qui suppose une réelle volonté politique dont on peut douter, après avoir entendu et lu Dosière, qu’elle puisse être portée par celles et ceux qui prônent tout et son contraire, mais jamais une réforme en profondeur de l’appareil d’État.

Il y a des points communs entre les trois hommes, dont l’un est le refus du cumul des mandats, ce que Dosière s’applique dans son département, l’Aisne. On pourrait d’ailleurs être d’un avis contraire, si les cumulards n’étaient rémunérés que par la fonction la mieux rétribuée, renonçant à toute autre source de revenus. Quand il est constaté qu’un parlementaire américain représente près de dix fois plus d’électeurs que son homologue français, alors que le contribuable français doit en sus supporter des députés européens, il y a de quoi s’interroger. Ce cumul supposerait certes que l’économie réalisée ne soit pas dévoyée par une prolifération de postes de chefs de cabinets, d’assistants et délégués multiples. Mais penchons-nous plutôt, avec Dosière, sur le coût de l’appareil d’État, soit des fonctions présidentielles et ministérielles.

Coût d’un ministre français : 17 millions

Par appareil d’État, il faut entendre non seulement les titulaires des postes, mais leurs cabinets, leurs conseillers rétribués, leurs commandes d’études à des agences ou comités, &c. Si René Dosière avait vraiment pu tout recenser, il y a fort à parier que le coût moyen qu’il annonce, 17 millions d’euros par ministre (16,72 annuellement, en fait), devrait être sensiblement majoré.
Ce chiffre inclut aussi l’entretien ou la location de locaux, de multiples postes de dépenses, mais il reste franco-français. Pour avoir une réelle idée du coût total, il faudrait aussi prendre en compte la redondance des tâches avec des commissaires européens aux attributions sensiblement similaires. À l’impossible, nul n’est tenu.

Ces coûts devraient faire réfléchir les électeurs de candidat(e)s souverainistes qui occultent savamment toute autre proposition de réduction du train de vie de l’État que symbolique. Quitte à faire hurler dans leurs chaumières, suggérons-leur de remplacer nos diplomates par de simples chargés d’affaires auprès des chambres de commerce nationales à l’étranger : un seul ambassadeur européen par pays, un seul représentant consulaire, ne suffirait-il pas ? Et pourquoi donc autant de ministres que de pays ?
On comprendra mieux le raisonnement quand on constate, avec René Dosière, que « un tiers de la somme est consacrée à la communication politique personnelle du ministre, hors campagne institutionnelle de son ministère » (et d’ailleurs, combien de campagnes institutionnelles s’apparentent à des opérations de faire-valoir des divers ministres ?). Combien de frais pour assurer la promotion personnelle d’un ambassadeur ou d’un consul ?

Que dire aussi de ces déplacements « techniques » en province ou à l’étranger (pour ramener un couple de pandas en France, par exemple) à l’heure des visioconférences ?

Henri Guaino : 19 000 euros

Trop souvent, Dosière a dû procéder par évaluation et supputation. On ne saurait le lui reprocher, car l’opacité est trop souvent la règle, et non l’exception. Ainsi a-t-il déduit que le conseiller présidentiel Henri Guaino, nègre officiel de Nicolas Sarkozy, émargeait à 19 000 euros du mois. C’est le seul conseiller présidentiel pour lequel ce calcul semble fiable à René Dosière.
Il a confié à Olivier Toscer, du Nouvel Observateur, qu’il avait déduit ce chiffre « car il était le seul originaire de la Cour des comptes ». Pour les autres, non issus du sérail, le calcul est impossible. Dans les ministères, les conseillers ont vu globalement, depuis novembre 2010 et le dernier remaniement, leurs émoluments progresser de 20 à 30 %. Il est vrai que leur espérance de vie dans la fonction sera courte…
Le pompon est emporté par les hauts salaires du ministère des Affaires européennes, ancien secrétariat d’État, en croissance de 55 % en 2011 (contre « seulement » 24 % pour la Défense). Le gouvernement Fillon III a créé deux nouveaux ministres et un secrétaire d’État supplémentaire, sans doute pour qu’ils puissent se promener dans les provinces et répandre la bonne parole sarkozyste… ou auprès des Français de l’étranger.

Dépenses somptuaires

Dosière pointe le coût réel de l’Air Sarko One, dont pourtant les équipements ont été revus à la baisse à la suite de fuites diverses. C’est de l’ordre de 259 millions d’euros et non pas de 176 comme avoué officiellement par le ministère de la Défense. Là, c’était relativement simple à établir.

En revanche, pour les multiples déplacements en province du chef de l’État (donc, Guyane comprise, peut-être), il a fallu procéder par approximation. Pour les seules forces de l’ordre déployées, hors policiers municipaux, c’est un coût unitaire moyen de 450 000 euros. C’est du 300 000 euros de l’heure au total. N’évoquons pas les invitations de chefs d’États en France, ni les voyages officiels à l’étranger, cela donnerait le tournis. Mais on a suffisamment évoqué le coût du dernier G20 en France pour se faire une idée.

Bénéfices personnels

Olivier Toscer a aussi évoqué l’enrichissement personnel de Nicolas Sarkozy. Réponse en touche de Dosière qui l’estime « invérifiable ». Mais il relève que le patrimoine de Jacques Chirac, ex-maire de Paris aux dépenses faramineuses, n’aurait pas officiellement évolué en douze ans de présidence. Nourri, blanchi, logé, il a perçu « diverses rémunérations que j’évalue au total à trois millions d’euros ». La somme ne figure pas dans la déclaration patrimoniale de l’ex-président en fin de mandat. N’extrapolons pas à l’ensemble des chefs d’États européens, certains étant fortement moins gourmands que d’autres.

Pour un peu, on en viendrait à souhaiter que la reine d’Angleterre devienne impératrice européenne. Au moins son train de vie est-il à peu près transparent, et il doit aussi beaucoup à sa fortune personnelle.

Opacité voulue

Déjà auteur de L’Argent caché de l’Élysée, Dosière sait mettre en relief les chiffres. Ainsi a-t-il évalué que la conférence de lancement de l’Union de la Méditerranée (machin moribond qui devait mettre aussi en valeur Kadhafi et Assad) était revenue à 58 000 euros la minute. Ce n’est que le coût de trois heures d’occupation du Grand Palais, les dépenses préalables (visites, téléphone, courriers, &c.) n’entrant pas dans ce calcul.

L’Élysée emploie un personnel équivalent à celui d’une ville de 40 000 habitants. Mais pour Matignon, c’est deux fois davantage en valeur absolue, et le budget global du Premier ministre est trois fois supérieur à celui du président. Relevons aussi qu’un ministre cumulard peut empocher jusqu’à plus de 21 000 euros (brut).

En dix ans, Dosière a formulé 608 questions écrites sur les dépenses de l’appareil d’État. Il a obtenu 489 réponses, celles n’étant pas évasives correspondant à des chiffrages préalables découlant d’autres sources.

Ce qui pose aussi problème, c’est que les ministères sont devenus des lanceurs d’appels d’offres (pas trop compliquées à élaborer, souvent simples prétextes, les bénéficiaires étant connus d’avance). Beaucoup de ces missions sont dispersées dans diverses lignes budgétaires et n’apparaissent pas en tant que dépenses de fonctionnement. Ajoutons que nombre d’études font doublon avec d’autres, financées par des fonds européens.
Ce sont d’ailleurs parfois les mêmes qui en bénéficient, recyclant parfois, en simple compilation ou synthèse effectuée à la va-vite, des données rassemblées par d’autres. Même les études n’étant pas totalement bidonnées (je me souviens d’un rapport départemental où seules les populations des deux principales villes étaient issues d’un recensement non actualisé, toutes les autres correspondant aux… codes postaux des diverses localités) font soit totalement doublon, soit superflues, soit frôlent le fantaisisme.
Au Royaume-Uni, ce sont des « quangos » (groupes de réflexion réunissant parlementaires et experts du privé, des autorités administratives indépendantes) qui jouent ce rôle, très souvent dénoncé par la presse. Il existe aussi une cinquantaine de ces structures en France, certaines utiles, d’autres largement moins.

À quel niveau réformer ?

Avec Charles de Courson (trésorier du Nouveau Centre, député-maire d’une petite commune de la Marne), René Dosière est l’un des rares députés, avec bien sûr certains membres de la commission des Finances, ou d’autres commissions, a mouiller vraiment leur chemise en se plongeant dans les « vrais » chiffres.

Quelques députés européens (si, si, s’il n’y a pas que Rachida Dati ou la fille du président roumain, Elena Basescu, à faire de la figuration à Strasbourg, d’autres, et notamment des femmes, fournissent un réel travail) se penchent aussi sur des dossiers ardus, plaident pour un réel contrôle des dépenses…

Ils sont trop peu par rapport à ces « bêtes de cirque politique » que sont trop d’élus ou de ministres. Toutes et tous, loin de là, ne sont pas souverainistes.

Bien sûr, il est tentant d’estimer plus efficace de « faire le ménage chez soi d’abord » en commençant par réformer son propre appareil d’État, dans l’espoir que cela aura un effet d’entraînement.
En Italie, ministres et très hauts fonctionnaires verront leur rémunération baisser de 10 % (5 % au Portugal). François Hollande a proposé de réduire de 30 % le traitement des ministres, mesure courageuse. Le plus véhément contre cette disposition a été… François Sauvadet, ministre de la Fonction publique.

Mais plutôt qu’un volontarisme dispersé, on ne pourrait que souhaiter que le « Fiskal Kompact » (ou Pakt) comporte un volet sur la question. Ce serait sans doute de nature à réconcilier les Européens avec l’Union européenne… Quitte à inquiéter les marchés qui redouteraient sans doute que des parlementaires ou ministres plus sobres soient moins enclins à tolérer les désordres de la finance. Car c’est là aussi un point essentiel. Qu’il est très difficile de maîtriser en ordre dispersé, avec des écarts d’entrée en application des mesures selon les pays.

Je n’en écouterai pas moins attentivement Cheminade ou Asselineau, qui ne manqueront sans doute pas de s’inspirer de l’étude, aussi documentée qu’il lui a été possible, de René Dosière.

P.-S. d’actualisation – Tiens, comme c’est étrange. Au surlendemain de la mise en place du livre de René Dosière, le président de l’Assemblée nationale, B. Accoyer, a fait savoir sur France Inter que ses indemnités avaient été réduites de 10% à sa demande et que d’autres députés de divers groupes avaient fait « volontairement » de même.