Fausse sortie, soit adieu provisoire à la scène de divers membres du CNT ? Toujours est-il que selon l’agence italienne Ansa, le président du CNT, l’une des rares personnalités peu contestées du Conseil national transitoire, aurait limogé divers membres du gouvernement. L’annonce fait suite à de massives manifestations, à Benghazi surtout, qui ont été violentes vendredi. Critiqué pour la teneur de son projet de loi électorale, le conseil s’est réuni – ou plutôt se serait réuni – ce dimanche dans un endroit tenu secret, pour éviter tout incident. Pour sa part, le vice-président, Abdel Hafiz Ghoga, a d’abord prévenu Al-Jazeera de sa démission, ce dimanche. On ne sait plus qui décide de quoi en Lybie… Lundi, c’était à Bani Walid qu’une révolte débutait.
Nous avions déjà fait état des diverses manifestations ayant secoué Benghazi jeudi et vendredi derniers, au cours desquelles des « jelatinas » bombes artisanales, avaient été lancées dans les locaux du CNT (voir « Juppé veut négocier avec les talibans afghans ? »).
À Benghazi (alors que le gouvernement est censé se réunir dans la capitale, Tripoli), Fathi Baja et Moustapha Abdeljalil avaient été pris à partie par des manifestants au siège du CNT, d’une part, et d’autre part, Abdelhafidh Ghoga avait été violemment conspué par des étudiants lors d’une visite à l’université.
À ces rassemblements massifs tournant à l’émeute (des véhicules officiels ont été incendiés, d’autres départs d’incendies ont été constatés, locaux saccagés) s’ajoutent, à Tripoli, ou ailleurs, d’autres manifestations sporadiques de moindre ampleur.
De femmes islamistes, d’islamistes proches des Frères musulmans, de salafistes et de femmes se disant plus libérales.
Les unes et d’autres veulent une instauration plus rapide et radicale de la charia, les femmes du courant libéral veulent obtenir au moins 20 sièges dans la future chambre des députés (soit le double que les 10 % prévus par le projet de loi).
Les revendications affichées sont diverses. Plus de charia, plus d’indemnisations pour les blessés, davantage d’emplois, &c. Les autres tiennent à la loi électorale, à la représentativité des courants tribaux et ceux des jeunes thowars, &c.
Réunion secrète
Non seulement le CNT devait-il ce dimanche se réunir pour la seconde journée consécutive afin de peaufiner la loi électorale mais il a été contraint ce jour de le faire en un lieu tenu secret. Surtout, la composition d’un collège électoral devrait être annoncée. Les critiques portent sur le nombre de sièges dévolus aux femmes mais aussi sur l’éligibilité des personnes ayant obtenu une double nationalité. Ce dernier point vise à barrer la route à des personnalités ayant été proches du régime, mais aussi à brider les votes des résidents à l’étranger, pour certains suspects de « sécularisation », pour d’autres précieux pour reconstruire le pays.
La composition du collège électoral, plus que les autres décisions, risque de provoquer de nouveaux mouvements d’humeur, cette fois dans diverses localités. La poursuite des mouvements risque « de plonger le pays dans un puits sans fond », a estimé le président démissionnaire. Son départ du gouvernement transitoire risque d’ailleurs de précipiter le cours des choses car il était au nombre des rares personnalités n’étant que modérément critiquées.
Parmi les dernières personnalités poussées vers la sortie, Saleh El-Ghazal, chef du conseil local du CNT à Benghazi. Abdel Hafiz Ghoga, le vice-président, a aussi annoncé ce dimanche sa démission à Al-Jazeera…
Scénario à la somalienne
Selon le Sunday Times de Malte, les réfugiés des pays africains sub-sahariens arrivés récemment sur l’île, déjà submergée de réfugiés, les exactions contre les étrangers suspectés d’avoir été des mercenaires de Kadhafi se poursuivent. Ou d’ailleurs, contre toute personne de peau noire, ce qui est le cas de nombreux Libyens. « Même aujourd’hui, ils nous appellent des murtazaka [mercenaires], des frères de Kadhafi » a estimé un réfugié ayant abordé la semaine dernière. Des exécutions sommaires se poursuivent, en sus des pillages, des confiscations (d’argent, de téléphones, d’objets) et des viols. Ce qui a été reconnu par un représentant du Haut-comité pour les réfugiés des Nations Unies basé à Malte.
« Cela devient comme la Somalie, tout le monde est armé, » remarque un réfugié. Le CNT avait donné un ultimatum, expirant fin décembre, pour que les armes soient déposées. Très peu d’armes ont été rendues, et les embauches dans la police n’ont attiré que des membres de très petites milices ou des sans emplois sans ressources. En revanche, les hommes d’affaires du Golfe arrosent divers groupes. Les contrebandiers, qu’ils aient ou non participé aux combats, sont aussi armés, et revêtent des uniformes neufs. Il reste encore 8 000 prisonniers dans environ 60 prisons, ou camps de détention, souvent improvisés et aux mains de groupes locaux. Ce sont parfois des adolescents armés de frais, sans doute sans expérience des combats, qui tiennent divers barrages sur les routes ou les grands axes urbains.
Nouveau report
Selon le Tripoli Post, la réunion secrète aurait déjà accouché d’un… nouveau report de la promulgation de la loi électorale. Sa teneur ne serait dévoilée que samedi prochain. Les membres des comités réunis à Benghazi vont retourner dans leurs régions respectives. Il n’est même pas sûr que la réunion annoncée se soit bien tenue… Les noms des rédacteurs de la loi ne seront pas connus avant qu’elle soit publiée.
Six autres délégués de Benghazi auraient suspendus de leurs fonctions par Abdul-Jalil. L’agence italienne AGI n’a confirmé que la démission du vice-président, ainsi que le limogeage de Saleh El-Ghazal.
Selon un site tiers-mondialiste, le quotidien Asharq Alawsat aurait annoncé que 12 000 soldats américains auraient débarqué à Brega, dans l’est du pays. Ce n’est pas la première fois que des sites annoncent la présence de troupes américaines prêtes à débarquer. Mais la version anglophone du site d’Asharq ne contenait aucune information de ce type (le dernier papier sur la Libye remontait à la visite du général égyptien Hussein Tantawi en Libye).
À Benghazi, les manifestants étudiants ont continué à former des cortèges, cette fois pour protester contre onze arrestations dans leurs rangs, jeudi dernier.
Abdeljalil, qu’on avait donné brièvement lui aussi démissionnaire, a déclaré dimanche soir sur Libya Al-Hurra (Libye Libre) que la démission de tout le CNT « conduirait à la guerre civile ». Et son maintient, sans le soutien actif de Bernard-Henri Lévy (moins prolixe ces derniers temps), il conduit à quoi ?
Bani Walid se révolte
Lundi 23 janvier, d’autres types de dissensions se sont fait jour. La brigade du 28-mai, qui dépend du ministère de la Défense, positionnée à Bani Walid, ex-fief kadhafiste, serait « encerclée de tous côtés par des fidèles de Kadhafi brandissant des drapeaux verts », relatait un responsable local. Des tirs seraient échangés. Un tel mouvement suppose le support de certaines tribus… Si d’autres brigades voulaient de nouveau en découdre, et affluer sur Bani Walid, la situation deviendrait mouvante.