le 31 Décembre 2010…quand j’arrivais à l’aéroport de Djerba, quelque chose de nouveau, d’étrange attirait mon attention. Un regard de défi, un sourire ironique sur les visages des douaniers et après, tous les occupants de l’aéroport avaient cette note amère et ironique. Mon intuition me disait que quelque chose d’extraordinaire était en train d’avoir lieu. Et puis toutes ces vidéos audacieuses que j’avais déjà visionnées sur facebook ou Twitter! on dirait que la peur faisait déjà partie d’un passé perdu et que le présent est désormais le moment du courage! Que s’est-il exactement passé dans la tête d’un tunisien?

Sur le chemin de Kairouan, le policiers sont presque absents et les rares qui se trouvent sur la route, facilitent la circulation, contrairement à leurs habitudes. En arrivant à la maison, mon frère me disait: "quelque chose s’est levé en Tunisie et il ne s’arrêtera jamais!" J’étais contente et fière…contente de pouvoir participer à ces manifestations diverses dans ma ville natale, "Kairouan" et fière de cette conscience qui se réveille. Mais ma tante venait d’interrompre ce moment de joie en disant:"pourquoi vous en voulez à Ben Ali, il n’a rien fait de mal! Au moins, la Tunisie est en sécurité, nous mangeons bien et nous sommes en sécurité en paix! Que voulez-vous de plus?" J’étais très déçue par son discours, mais je ne peux que comprendre, car ma tante fait partie de ces gens qui croient en ce que disent les médias et Ben Ali, comme si c’était le Coran. Et sa situation de femme de foyer "analphabète" ne peut pas lui permettre d’assimiler la vérité qui se cache derrière ce discours politique. Elle ne voit que ses escapades dans des villages abandonnés pour leur fournir l’électricité et la propagande tout autour. Cette foule qui applaudissait en masse jusqu’à la peine des mains, et qui vote en masse, obligée et sous les "matraques de la peur". Je me souviens toujours du seul jour de ma vie quand mon cher papa me demandait d’aller voter. J’arrivais en étant presque sûre que j’allais voter comme on vote partout et choisir le billet…quand la dame à l’accueil me demandait  de rester à l’écart, car j’avais juste demandé les autres billets que le rouge du parti RDC, celui de Ben Ali. Tout à coup, les agents de sécurité m’entourent et me demandent de les suivre. Ne serait-ce que par l’intervention de mon père, sinon, je n’aurais jamais vu la lumière depuis. Sur scène et devant tout le monde, je déchirais ma carte de vote et je n’y suis jamais revenue.

Je ne cesse de penser à ces trois semaines de Janvier 2011 passées en Tunisie. ces longues nuits devant la télé et ces jours de manifestation du matin jusqu’au soir. Je n’oublie jamais l’image de ce peuple, qui tout en brûlant des banques, ne ramassait même pas les billets dispersés dans la rue! Pourtant, Dieu sait qu’il en avait besoin. Ces images des jeunes qui se manifestent la journée et rétablissent le calme le soir. Et certains propriétaires d’épicerie ou de boulangerie à Kairouan et partout en Tunisie qui distribuaient gratuitement des aliments aux gens qui sont dans le besoin. Je ne raconte que ce que j’ai vu de mes propres yeux et ce n’est qu’un fragment de ce que j’ai vécu dans ce pays généreux et courageux, la Tunisie. Je me rapelle de ces touristes qui se sont retrouvés bloqués en Tunisie et qui ont préféré passer leurs derniers jours chez les habitants pour assister à ces évènements directement. Le risque était pourtant grand!

Et encore une fois, lors du dernier discours de Ben Ali, je voyais les larmes de ma tante et je croyais que ce sont des larmes de joie! Hélas, elle me disait: "mon Dieu, Ben Ali est parti et la Tunisie va vivre une guerre civile!" Je lui disais en colère: "le peuple qui a pu renverser un régime tel que celui de Ben Ali est capable de construire une nouvelle Tunisie".

Nous étions devant la télé quand un monsieur sortit dans les rues de Tunis, il était tout seul et il criait: "Ben Al s’est enfui, le lâche s’est enfui…plus de peur…réveillez-vous…plus de crainte…"

Maman avait la chair de poule et elle pleurait, cette fois, ce sont des larmes de joie.

Quelle belle page s’écrit dans l’histoire de ce peuple carthaginois et qui donne l’exemple dans toute l’Afrique…Une nouvelle victoire d’un peuple qui "veut la vie" et le destin qui "répond par oui", comme le disait le grand poète tunisien, Abou El-Kacem al-Chebbi.

Cette Renaissance est une nouvelle chance qui s’offre aux peuples arabes de reprendre le flambeau de ces anciens qui ont commencé à écrire l’histoire civilisationnelle quand soudain les conflits religieux mettaient fin à cette gloire…Aujourd’hui, nous avons l’impression que l’histoire se répète et à chaque fois que ce peuple commence à bâtir sa grande civilisation et réaliser son progrès…comme par hasard, la Religion s’invite de nouveau pour remettre tout à néant…la foi, la vraie est entre vous et votre créateur…donc, occupez-vous plutôt de cette chance d’envol civilisationnel et  laissez le discours religieux se reposer.

La Révolution tunisienne est celle du "pain", de "la dignité" et de la "liberté" et non celle de la "foi".

la Religion est juste un prétexte pour certains de mettre des obstacles à l’épanouissement démocratique de ce peuple…

Nous sommes le 13 Janvier 2012…la Tunisie est en première phase de construction…encore fragilisée par ces longues années de dictature et de peur…mais demain sera meilleur…le soleil ne va pas tarder…

demain dès l’aube…je partirai..

là où terre, ciel et horizon sont réunis…

demain dès l’aube…je sentirai…

le jasmin de la liberté…l’odeur du pain…

demain dès l’aube…je verrai…

mes enfants jouer sans fin…

demain dès l’aube…je cueillerai…

mes premières fleurs du printemps…

Plume Libre.