Nick Clegg, le vice-Premier ministre britannique, est un Lib Dem (libéral démocrate), forcément aveuglé sur les questions européennes… en raison de ses liens matrimoniaux et familiaux. C’est du Daily Mail (et d’autres titres britanniques) : l’europhile Clegg est un fanatique, un borné obsessionnel de l’Union européenne, incapable de raisonner autrement. Ouf, il est blanc. Imaginez que France-Soir ou Le Parisien décrypte le devenir de l’UE, avec des accents à la Minute ou même Rivarol (titres plus droitiers que Marine Le Pen), en fonction des ascendances du couple Sarkozy-Bruni… Ah, oui, aussi, le Daily Mail surnomme Clegg « Madame Fifi ». Pour le Sun, le vrai pigmée, c’est « Villain Clegg ». Oh, la vilaine !

Fort d’un sondage selon lequel 62 % des Britanniques approuvent le veto de David Cameron, qu’une majorité souhaiterait un référendum et que le Royaume-Uni prenne définitivement le large, le Daily-Mail a choisi d’abattre une volée de bois vert sur Nick Clegg, le chef de file du parti coalisé avec les conservateurs (les Tories).

C’est en raison de sa lignée, de sa fratrie, de ses collatéraux, &c., que Nicholas Clegg est si stupidement, fanatiquement, « obsédé par l’Union européenne ».

Le passage central de Simon Heffer, du Mail, vaut vraiment d’être traduit… « L’européanisme de Mr Clegg pourrait en partie provenir d’être le fils d’une mère néerlandaise et le mari d’une Espagnole. De plus, de par son père, il a des racines russes, allemandes et ukrainiennes et il maîtrise cinq langues. Tout cela semble avoir distancé le vice-Premier de l’essence même de la britannité, loin des espoirs, convictions et aspirations de la plupart des Britanniques. ».

Britannitude

So alien! Soit si peu British, si peu emprunt du John Bull spirit ou de la Rosbif attitude. De plus, après Cambridge, il a peaufiné son éducation au Collège d’Europe, à Bruges (pardon, Brugge, sa mère étant une Néerlandaise ; et sans doute sur le campus jumeau de Natolin, en Pologne).

De là, en partie, découle la morgue de Clegg, incapable de saisir ceux qui méprisent ces élites interlopes et au contraire chérissent « les valeurs de la démocratie et de la souveraineté ».

Il ne serait pas un peu juif sur les bords ? Zakevsky (patronyme de son père), c’est plutôt cosaque, mais sait-on jamais. Vaguement métèque grec aussi ? Allez, vite, une élection, et du balai… Dégage.

Et Hollande, cela ne serait pas ? Ah non, dommage. Mais Sarkozy-Bruni, tiens, pensez donc !

Et savez-vous pourquoi Cameron a été « so British » lors des fort tardives négociations de Bruxelles ?
Parce qu’il avait la vessie pleine. « Taraudé par une envie de pisser, » il a tenu bon.
C’était la méthode de feu Enoch Powell (un ultranationaliste) : la méthode « full bladder » (« avant un discours, mieux vaut augmenter la tension que se soulager »).

C’est sans doute parce que Merkel n’arrêtait pas d’aller au petit coin et que Sarkozy disposait d’une bouteille d’eau minérale décapitée sous la table qu’ils n’ont pu faire fléchir Cameron, aux petites heures, avant que Bruxelles ne brusselle. On comprend tout !

Lèvre supérieure bloquée, vessie pleine à craquer, l’Anglais est resté derrière ses canons (sticking to his guns). Tout s’explique : les Écossais, qui, chacun le sait, ne portent rien sous le kilt et se laissent aller discrètement debout, sont, eux, prêts à lâcher.

Par deux fois, sur Come4News, j’avais évoqué la Auld Alliance (précédents articles sur l’Eurozone) ; pas vraiment sous cet angle.

Alex Salmond, le Premier ministre écossais, se sent-il seulement pisser quand il récrimine. « L’Écosse doit siéger d’urgence à la table des négociations, en devenant membre à part entière de l’Union… », déclare le chef de file du SNP (Scottish National Party).

Les Irlandais du Nord, de l’Ulster, se posent aussi des questions.

The Sun cogne plus modérément sur Clegg, mais termine en citant le conservateur Mark Pritchard : « Mieux vaut être un bouledogue britannique qu’un caniche bruxellois. ». Trevor Kavanagh remercie Sarkozy : tricheur, tyran, hypocrite, &c., mais qui, par son intransigeance, « a rendu service à la Grande-Bretagne ». L’Europe de Merkozy est vouée à devenir un « musée industriel ». L’euro va s’effondrer, tant pis, le Royaume-Uni, lui, parie sur la relance. Ce ne sera pas facile, mais il n’y a pire à perdre en restant dans l’Europe…

Les retraités, gelés, agonisants

Pour le Mirror, proche de l’europhile Independent, mais classé beaucoup plus à gauche (par tradition), Nick Clegg a raison, mais devrait être plus radical encore. Cet hiver, les retraités vont mourir de misère et de froid, mais pendant ce temps, Clegg va-t-il se garder les boules au chaud dans la coalition gouvernementale ?

L’Evening Standard ménage la chèvre Cameron et le chou Clegg. Cameron a misé, joué, il faut désormais réfléchir mais aussi éviter un référendum qui pourrait marquer la fin du Royaume-Uni dans l’Europe.

Le Belfast Telegraph conclut « wait and see » : seul l’avenir dira si Cameron a eu tort ou raison…

Le Telegraph préfère, ce lundi 12 déc., préfère mettre l’accent sur les perspectives économiques. À  court terme, la Grande-Bretagne devrait mieux résister aux tendances à la récession que le continent. Mais la contagion pourrait gagner. Quand à « Cleggie », s’il est pour la FU (Fiscal Union, le contrôle budgétaire, la Fiskalunion), et bien, qu’il le dise, et… fuit. La FU, la rigueur budgétaire européenne, se traduit par F…. You. Une invective que les dirigeants européens adressent de fait aux nations et aux peuples, préférant leurs intérêts propres. Comme il n’est pas du genre de la maison d’user de gros mots, c’est dit plus élégamment par Daniel Hannan, un conservateur, dans une tribune libre (Opinion). En regard, pas trop de contradiction. Et le quotidien prolonge son éditorial de la veille : ce n’est qu’un début, reste ferme, Cameron, sans risquer trop tôt le départ vers le large.

Le Guardian reste résolument europhile. L’Independent s’inquiète des réactions continentales et explique à ses lecteurs ce que le verbe français « bouter » peut évoquer. Mais les décisions du Conseil européen, dictées par l’Allemagne, reviennent à emprisonner l’Europe dans une camisole de force : « il y a des limites au masochisme, » relève Stephen King. Il ne suffit pas de pressurer les endettés. Quant à la politique intérieure, et la survie de la coalition au pouvoir, l’effondrement de la zone euro pourrait mettre tout le monde d’accord. Ce que Mary Ann Sieghart n’exclut pas.

Le Times, qui a aussi procédé à un sondage, suit un électorat considéré fortement en faveur du veto, y compris dans les rangs Lib Dem et des travaillistes.

Au final, on ne sait trop ce qui l’emportera, du pragmatisme des « élites » et des entrepreneurs (dont les exportateurs), de la fierté nationale populaire, des visées politiciennes, voire des « régionalismes » (en sus du nationalisme écossais).

L’Europe isolée, pas le Royaume-Uni
Pour
Leo McKinstry, du Daily Express, ce n’est pas le Royaume-Uni qui risque l’isolation, mais l’Europe. Soit en fait, en raison de son centralisme, de ses fortes impositions, de sa bureaucratie, de ses lois sociales inadaptées, &c., l’Europe est vouée à l’obsolescence, au déclin, à la ruine. Elle est inadaptée au mondialisme, au « global market ». Va-t-en Clegg, adieu l’Europe, vive le grand large. Au contraire, l’Evening Standard considère que rien n’est joué, que le R.-U. a toujours un grand rôle à jouer en Europe. Possible, à condition que l’Europe ne se serve pas du Royaume comme d’un repoussoir, d’un bouc-émissaire, le poussant vers la sortie et la haute-mer.
Mais finalement, le plus inquiétant, c’est le sentiment de la rédaction du Financial Times, exprimée par Wolfang Munchau et d’autres. Certes, Cameron aurait mieux fait de négocier autrement, mais le Conseil n’a rien réglé : « and the crisis goes on ». La crise européenne, celle de l’euro, celle d’une gouvernance, perdure. Les dirigeants européens « auraient dû admettre que le sommet a tout simplement échoué. ».
À côté de cela, la coalition conservateurs-libéraux démocrates anglais (les Écossais n’étant pas vraiment concernés), son sort, ses bisbilles, cela ne mobilisera bientôt plus que les intéressés ? Hmm… Si l’euro échoue, le Royaume-Uni se retrouvera, en Europe, maints alliés.