Quelques titres quotidiens nationaux en ligne, soit « pure players », soit adossés à des publications sur papier, restreignent totalement ou partiellement l’accès aux informations diffusées aux seuls abonnés. C’est le cas de Mediapart (abonnement mensuel de neuf euros), de nombreux titres de la presse Murdoch (dont The Times). Faute de ressources publicitaires, et par choix, ce sera aussi le cas, à compter du premier décembre, de DijonScope.

Pari peut-être risqué pour le quotidien régional en ligne DijonScope (Bourgogne) qui coûtera peut-être son poste à la chargée ou au démarcheur du service publicité, proposer à ses seuls abonnés, contre cinq euros mensuellement, l’accès à ses pages.

Lancé en septembre 2009, DijonScopea rapidement fait l’objet de tentatives de déstabilisation de la part des quotidiens du groupe Crédit mutuel (Ebra). Ce fut un douteux procès pour concurrence déloyale, alors que les articles de DijonScope sont originaux et que sa rédaction couvre directement les événements régionaux. En décembre 2010, Le Bien public et Le Journal de Saône-et-Loire furent déboutés de leur action judiciaire.

60 euros par an

« Après avoir été le premier quotidien régional français à disposer du statut d’éditeur de presse en ligne en 2009, dijOnscOpe deviendra le premier quotidien régional en ligne d’Europe à vivre de l’engagement plein et entier de ses lecteurs.

En effet, face à la pression croissante de certains de nos annonceurs publicitaires publics et privés convaincus – à tort – que la presse n’existe que pour mieux servir leurs intérêts commerciaux ou politiques, nous avons pris une décision éthique et stratégique importante. ».

De fait, question publicité, cela ne changera pas grand’ chose. Hormis mention de deux partenaires, Mediapart et l’éditeur des guides du Petit Futé, le site comporte très peu de publicités, si ce n’est, jour après jour parfois, aucune.

Sabine Torres, la rédactrice en chef, indique que le choix de passer à l’accès payant est dû à des pressions exercées sur des annonceurs ou que certains, potentiels, choisissent de ne pas annoncer dans le titre pour ne pas se mettre à dos des intérêts locaux. « “Si vous ne mettez pas un peu d’eau dans votre vin, nous ne travaillerons plus ensemble” : voilà le genre de propos – professés par certains annonceurs publicitaires n’appréciant pas nos articles ou vos commentaires –, que dijOnscOpe entend et subit en acte depuis son lancement. ».

Le quotidien s’est doté d’une charte, très déontologiquement exigeante. Trop, même, si elle empêchait le titre de soutenir, par un bandeau par exemple, un livre, un spectacle, les journées « portes ouvertes » de telle ou telle entreprise, &c. Mais le prix de l’abonnement (prélevé mensuellement), à 60 euros annuel, peut sans doute compenser la perte de la publicité si la plupart des 7 000 abonnés au bulletin quotidien souscrivent et se fidélisent durablement.

DijonScope n’est « marqué à gauche » que parce qu’il donne la parole à des formations politiques ou des associations (notamment écologiques) généralement moins bien « servies » par la presse traditionnelle (qui fait parfois légèrement plus qu’expurger les communiqués du bla-bla convenu). Mais les commentaires de son lectorat reflètent une très large diversité d’opinions. Et par exemple, lorsque les « Identitaires de Bourgogne » ont lancé une campagne de faux panneaux indiquant la direction de Lampesuda (île où affluent des réfugiés en provenance de Libye), DijonScope en avait fait état sans commentaire particulier.

Une tendance lourde

Edwy Plenel, de Mediapart, a salué amicalement l’initiative : « Bravo à Sabine Torres et à toute l’équipe de Dijonscope pour son audace éditoriale et sa détermination à défendre un modèle économique qui garantit un journalisme libre, indépendant de toute pression et soucieux de construire une relation de confiance avec son public. ».

Le pari de DijonScope n’est peut-être pas si risqué : en peu d’années, le quotidien a convaincu que la qualité et la diversité de ses informations soutenait la comparaison, avec bien sûr moins de moyens, peu d’articles sur la vie des toutes petites communes, &c.

Sans engager d’aucune manière Come4News, je rappelle que l’information de qualité a un prix : celui d’une présence sur le terrain, impliquant des frais, notamment. Elle suppose aussi du temps : DijonScope avait, par exemple, adressé un questionnaire à tous les candidats aux dernières cantonales. Certes, une telle initiative n’est pas si chronophage, mais si vous multipliez les sujets… le bénévolat a ses limites.

Qu’on le veuille ou non, la survie de nombreux titres rémunérant une rédaction ne pourra dépendre de la publicité à l’avenir, sauf à privilégier des thématiques précises et inciter à la consommation.

Pour des titres plus ambitieux, comme, par exemple, Le Courrier des Balkans, qui a dû faire appel à la générosité de ses lecteurs, le modèle de Mediapart et de DijonScope s’est imposé. Certains articles restent cependant d’accès totalement libre (au moins le jour même de leur publication).

Alors qu’on ne sait pas quel sera le modèle économique de France Soir, s’il passe à une version tout électronique, qu’on peut se poser des questions sur la pérennité de Bakchich.info (qui reparaît en ligne avec des contenus allégés mais de fort bonne tenue), la question de l’accès payant se pose à tous les titres d’information. Rappelons qu’en cas de récession ou dépression, les budgets publicitaires non cruciaux sont les premiers touchés. On ne pourrait d’ailleurs, en période de crise, que souhaiter que telle ou telle campagne gouvernementale ne fasse plus l’objet de dispendieuses publicités à très faible valeur informative.

Souhaitons à DijonScope que son appel aux abonnements lui permette non seulement d’être pérenne mais de développer ses investissements rédactionnels…