La presse française a repris sans insistance les informations du Canard enchaîné sur Éric Woerth obtenues en marge de l’enquête de la Cour de justice de la République. En cause, son rôle dans la vente de l’hippodrome de Compiègne au profit d’un habitué du Cap Nègre, Antoine Gilibert, président de la société des courses locales. Comme le mélange des genres n’est pas de mise, il a été beaucoup moins question du retour aux affaires de Sébastien Proto, son ex-dircab, ou de l’insolite « avis de recherche » visant dame Woerth, Florence, à Genève.

« Woerth, adepte enthousiaste d’hippisme, fait héberger ses chevaux dans les stalles des écuries de Wildenstein à Chantilly. ». De qui cet incident rappel dans l’affaire de la récente mise en examen de Guy Wildenstein (UMP) pour recel d’abus de confiance ? De La Vox de Galicia dont la correspondante, Esperanza Suarez, oublie de préciser si ce « Woerth » désigne Éric ou son épouse, Florence, « justiciable comme les autres » (déclaration à L’Express), dont les pur sang portent les couleurs de l’écurie Dam’s.

La « petite presse » (de province, autre…) s’attache parfois à des détails que la « grande » néglige ou ne traite que superficiellement. Parfois à raison. Ainsi, Le Point a bien fait état de l’appel à témoins visant, à Genève « Madame Florence Henry épouse Woerth », que signalait le 24 juin dernier La Tribune de Genève. Mais sans trop s’attarder sur celui qui l’émet, le médiatique détective privé Roger-Marc Moreau, contesté par le journaliste Guy Hugnet dans l’affaire Omar Raddad (« Omar m’a tuer ») et divers responsables associatifs. Pourquoi donc R.-M. Moreau placarde-t-il une photo de Florence Woerth assortie d’un appel à témoigner sous garantie d’anonymat ?

Jean-Noël Cuénod (La TdG) s’était interrogé : « Madame Woerth est-elle vaudoise ? ». Du temps où Florence Woerth œuvrait pour Clymène, la société financière des Bettencourt, qui l’a licenciée et qu’elle a poursuivi aux prud’hommes, il lui arrivait de résider à Genève. « Occasionnellement » assurait-elle. Très fréquemment, si ce n’était à demeure, a soutenu la presse suisse et d’autres. C’est ce que veut établir le détective. Pour le compte de qui ? Mystère. Arnaud Montebourg ou Eva Joly, que F. Woerth poursui(t/vit/vrait) en diffamation, risque Philippe Rodrik (La TdG). Il se peut tout simplement que le détective se soit tout simplement fait un nouveau « coup de pub ». Ce qu’on peut écarter, c’est qu’il soit mandaté par Bercy et Valérie Pécresse, ministre du Budget, qui succède à Sarkozy, Woerth, Baroin….

Cette dernière vient en effet de réintégrer auprès d’elle Sébastien Proto, ex-dircab d’Éric Woerth. Sa présence à ses côtés ne vise sans doute pas à contrecarrer d’éventuelles fuites sur le Woerthgate, en direction de la Cour de justice, par exemple. Ceux qui soutiendraient que c’est encore plus mesquin sont de mauvaises langues. Il ne s’agit certes pas d’œuvrer de nouveau en faveur des sociétés de paris et jeux en ligne favorisées par Sébastien Proto et dont le retour sur investissements (publicitaires et autres) n’est pas aussi juteux qu’escompté.

Franchement, cette affaire de la succession Wildenstein, marchand de tableaux dont les héritiers se disputent à coup de suspicions d’évasion fiscale, ce à quoi Proto et Woerth s’étaient montrés peu attentifs, ne saurait justifier un tel retour en grâces. D’ailleurs, le passé est le passé, et s’il n’a pas été jugé utile de faire aussi revenir aux affaires Alexandre Jevakhoff, ex-dircab de Michèle Alliot-Marie, à la faveur du dernier remaniement, c’est bien sans doute que certaines pages sont désormais estimées tournées.

Un petit coin de l’une de celles, fort nombreuses, du Woerthgate, vient toutefois d’être légèrement soulevé par la Cour de justice. Rien de méchant. Éric Woerth, selon deux estimations, aurait sous-estimé la valeur de l’hippodrome de Compiègne et de son domaine bâti (lotissable à présent, mais sans précipitation excessive) et forestier. Oh, de si peu. De dix fois, selon Bernard Gamblin, de l’Office national des forêts (ONF). Entre quatre et huit fois au bas mot, selon la généreuse fourchette de Philippe Dumas, inspecteur des Finances. Vendu 2,5 millions d’euros, ce domaine en vaudrait donc entre 11 à 25, selon les critères retenus. Peut-être bien davantage s’il devient encore mieux valorisé.

La Cour ne va sans doute pas s’attarder sur ce type de détail. Elle devrait s’en tenir aux seules conditions de cession administrative d’un domaine public, soit au parcours des avis, recommandations, de la puissance publique. Tout cela a fini classé vertical par Éric Woerth en moins de six à sept minutes, selon ce qu’il consent à déclarer quant à l’attention qu’il a consacrée à ce dossier. « Si c’était à refaire, je le referais, » a-t-il crânement affirmé. Le dircab de Bruno Le Maire, Pascal Viné, signale au cabinet de Worth qu’il estime illégales les modalités de la vente ? Je le referais ! Philippe Dumas, chargé de la surveillance des opérations immobilières de l’État, alerte in extrémis, la veille de la vente, « sur les risques attachés à cette opération » ? Je le referais !

Éric Woerth espère surtout se refaire. Mais qu’a-t-il donc encore à vendre ou revendre ? Des biens ou des dossiers ? On le voit mal accueillir un futur aéroport international sur le domaine de la Fondation Condé, à Chantilly, que préside sa femme. Éric Woerth a signé un appel du député Didier Gonzales (UMP) qui préconise la création d’un nouvel aéroport international desservant Paris et sa région. C’était dans l’espoir que voit le jour un troisième aéroport, en Picardie (entre Chantilly et Compiègne, par exemple ?) qu’il a signé ; mais sans réaliser que la proposition de loi prévoyait la fermeture d’Orly. Tout s’explique. Éric Woerth sait à peine lire, ou il lit trop vite. C’est ce dont découle sans doute la vente précipitée de l’hippodrome de Compiègne. Franchement, la justice devrait-elle lui en tenir rigueur ?

Ce léger défaut est-il familial et partagé par son épouse ? Ses distractions, puisqu’alors qu’elle était estimée « presque à demeure » à Genève, Florence Woerth pensait être le plus souvent ailleurs, ne sauraient être retenues contre elle. Les évasions de la fortune des Bettencourt en Suisse ? Cela lui sortait de l’esprit au moment de passer à table avec son mari. D’ailleurs, lisait-elle vraiment ce qu’elle signait ?

Deux têtes de linotte d’un côté, la présumée mémoire d’éléphant de la justice de l’autre.

Vous connaissez la blague de l’éléphant voulant convoler avec une petite cagouille ? « C’est pour ma maison que tu veux m’épouser ! » réplique vertement l’escargot. Osera-t-on prétendre qu’Éric Woerth veut de nouvelles noces avec la maison France pour son gîte et son couvert (voire sa couverture judiciaire) ? C’est bien sûr absurde. De même que la justice ne saurait faire la tortue, la limace ou l’autruche.

Pourtant, pourtant, le dénommé Imothep qui sévit sur AgoraVox se retient à peine de l’écrire. Outre ses nombreux articles sur Éric Woerth, il a commis un ouvrage, qu’il actualise régulièrement, intitulé Les Petites Affaires de l’Immaculé Éric ou de quoi la tête a-t-il ? Fine allusion à la tête d’emploi d’honnête homme qu’Éric Woerth revendique. C’est enlibre accès (180 pages plus celles des références bibliographiques ou des liens Internet).

Cela se veut drôle, c’est affligeant. Pourquoi tant de hargne ? Pourquoi accabler un couple que l’on a dit tenté de se retrouver au bord du divorce par imitation du Sar Kozy ? « On ne sait s’il y a une justice immanente, » relève Imothep. Lequel s’abaisse à livrer des détails intimes tels les rôles « actif ou passif » des époux Woerth (en trio avec Patrice de Maistre, voire en partie carrée avec Liliane Bettencourt qui engagea, puis dégagea, Florence Woerth). On frémit, redoutant pour la suite une comparaison entre le couple Woerth et la paire Dominique Strauss-Kahn-Nafissatou Diallo ! Mêler à tout cela l’immanence de la justice, fouailler sous ses robes, est-ce bien digne du porteur du nom d’un dieu memphite ? Comme pourrait le dire, sans contrepèterie, Carla Bruni (cc. Frédéric Pagès et ces messieurs du « Volatile »), c’est aussi déplacé que d’attribuer sa maternité au prince Albert de Monaco ou au père de l’enfant de Rachida Dati.

N’empêche, l’ouvrage comporte une chronologie, l’un des plus fouillés organigrammes des diverses affaires du Woerthgate jamais établi, un index de noms et sigles (dont ceux des légionnaires d’honneur Peugeot, Sérigny, de Maistre, Desmarais, Wildenstein, Hoffenberg, Godet). Ce n’est pas toujours du Prada, mais il y a des détails comme la mention du rachat de la salle Pleyel, pour n’en citer qu’un.

Le Woerthgate semble – à tort ? – enterré, Les Petites Affaires de l’Immaculé Éric est son chronologique mausolée provisoire. On ne sait si Jean-Christophe Canter (villepiniste), auteur d’un Éric m’a tuer (sur Woerth et l’UMP de l’Oise, Nova éds), ressuscitera. La béatification de Woerth, qui prend son monde pour des enfants de chœur, risque de tarder. Mais alors que Michèle Alliot-Marie opère son retour avec une mission sur l’isolement, les Woerth ne devraient pas rester trop longtemps solitaires. Il y a des solidarités qui ne sauraient de sitôt s’oublier. Sébastien Proto fait déjà figure de prophète…