Ritournelle de la faim deJean-Marie Le Clézio

 

Jean-Marie Le Clézio a obtenu le prix Nobel de littérature.

 

Le cadre du livre

L’histoire commence à Paris dans les années 30. Ethel le personnage principal a dix ans. Elle passe beaucoup de temps avec son grand-oncle de 80 ans, monsieur Soliman. Celui-ci est également très attaché à la fillette, de sorte qu’il a acheté le pavillon de l’Inde visité avec Ethel, enfin les pièces détachées. Il a alors décidé de reconstruire celui-ci dans son jardin avec un bungalow, Ethel a nommé ce bungalow la « maison mauve ».Mais monsieur Soliman est mort avant la fin de la réalisation, c’était en hiver, Ethel n’avait que 13 ans.Ethel a une très bonne amie, c’est une nouvelle élève qu’elle rencontre lorsque son grand-oncle commence à être malade, Xénia. Sa mère vient de Russie, sa famille est très pauvre, elle vit « dans un hangar où toute la famille (dort) dans la même pièce sur des matelas. »Ethel chez elle, vit entre les disputes régulières de ses parents, et les conversations de salon d’Alexandre, son père. Nous sommes alors en 1933, les conversations deviennent animées pour certains invités, à cause de  l’antisémitisme.

Désillusion

Le deuxième chapitre s’intitule la chute, tous les rêves de Ethel s’écroulent. p 94, Xénia dit à Ethel « Nous n’irons plus au jardin de ton grand-oncle maintenant. » ; « Tes parents ne t’ont pas dit? C’est un immeuble qu’ils sont en train de construire, les travaux ont commencé juste avant l’été. » Monsieur Soliman avait fait d’Ethel son héritière du jardin colonial et de la maison mauve. Ses parents gérant plus ou moins le bien d’Ethel étant mineure, elle apprend un jour qu’il n’y a plus du tout de projet de maison mauve. Mais qu’à la place sera construit un immeuble sans âme, pour préserver l’avenir d’Ethel de tout tracas financier. Elle sera rentière. Pour Ethel, c’est l’enfance et ses rêves qui partent en fumée. « Comme si le temps avait muri cette trahison, sans qu’elle le sache, en préparant l’inéluctable. » → p 94. P95 : « Et maintenant, l’immeuble qui allait pousser sur les ruines de leur rêve, cette trahison. »

Puis viendra, peu après, la trahison de Xénia, s’éloignant d’elle pour toujours. S’ajoute à cela la ruine de son père, les dettes à rembourser. P 132 « La vente à l’encan débutée au retour de Bretagne. Dans le salon, comme après un deuil. Les meubles rassemblés, les bâches, le piano Erard le couvercle relevé pour que les marchands puissent essayer chaque touche, comme s’ils y connaissaient quelque chose. »Ensuite il y a Laurent Feld, son amour et la guerre. Avec la guerre la déportation de la famille de Laurent et la faim. Ethel a alors 20 ans. P157 « Maintenant, ils étaient condamnés à errer comme des ombres, à leur tour, sans rien espérer, sans autre nourriture que les épluchures et les racines verdies, comme s’ils mangeaient la terre, le charbon et le fer, dans cet hiver interminable. »Après la guerre Ethel et Laurent se marient, Ethel serait enceinte, ils ont pour projet d’aller habiter à Toronto.Le dernier chapitre, le narrateur prend la parole et on apprend qu’Ethel est sa mère.

La musique du livre

Ritournelle de la faim, c’est Le Boléro de Ravel comme toile de fond du livre, le livre représente la métaphore de celui-ci. Sans cesse répété, il est la faim. « Je sais ce que signifiait pour sa génération cette phrase répétée, serinée, imposée par le rythme et le crescendo. Le Boléro n’est pas une pièce musicale comme les autres. Il est une prophétie. Il raconte l’histoire d’une colère, d’une faim. »L’histoire de cette colère de cette faim, c’est celle d’Ethel « qui fut malgré elle une héroïne à vingt ans. » En effet Le Boléro ouvre, et ferme Ritournelle de la faim, mais aussi il ponctue la narration de ses interventions. Maude enmène Ethel lorsqu’elle a 8 ans voir la première du Boléro de Ravel. P 73, un des convives du salon d’Alexandre « Nous sommes en pleine décadence, Debussy, Ravel et caetera. » . « Ethel a bondi : « Ce n’est pas vrai, vous n’y connaissais rien, Ravel est un géni, et Debussy… » p 77 : « Ethel regardait les convives l’un après l’autre, avec curiosité, alors qu’elle éprouvait naguère un sentiment de sécurité ou, pour mieux dire, un certain engourdissement à écouter leurs voix, l’accent chantant de Maurice, qui parvenait à donner du charme au propos les plus violents, (…) » p 162 : « (…) les hommes et les femmes continuaient à s’amuser au son du cake-walk et de la polka, recommençaient sans cesse la même fête, levaient le rideau rouge sur la première du Boléro! » p 178 : « Comme si résonnaient interminablement les quatre coups du Boléro, non pas des coups de timbale, mais des explosions, celles des bombes qui étaient tombées sur Nice la veille du départ (…) » p206 : « Cette musique avait changé sa vie. »

 

Le boléro pour ce qui est de la musique en particulier, mais en général celle-ci occupe également une place très importante dans le livre.Le père d’Ethel chante, sa maîtresse est chanteuse. Ethel joue du piano. La musique est présente en tant que telle, mais aussi dans les paroles d’Ethel, dans ses pensées même.p 123 : « « Nous allons commencer une nouvelle vie » (…) Cela faisait comédie, à présent. Un opéra, une opérette plutôt. Ethel imaginait la musique, quelque chose de léger, un peu cassé, une ritournelle. » Au moment de la vente des biens de la famille, « le couvercle relevé pour que les marchands puissent essayer chaque touche, comme s’ils y connaissaient quelque chose. » Ethel joue Nocturne de Chopin, alors que c’est la vente à l’encar. « C’était son adieu à la musique, à la jeunesse, à l’amour, son adieu à Laurent, à Xénia (…) » La place donnée aussi à la voix, au bruit est importante.

Le motif de la faim

Puis la faim,ritournelle de la faim, est bien présente. Dès le début du livre elle est incarnée par Xénia. La faim commence pour Ethel lorsque les biens de la famille sont liquidés. La faim revient sans cesse, tout comme Le Boléro. Elle fait partie du titre du livre et c’est également le titre d’un sous-chapitre. Elle ne quitte plus les personnages lorsque vient la guerre. p 157 « (…) sans autre nourriture que les épluchures et les racines verdies, comme s’ils mangeaient la terre, le charbon et le fer ». P 160 « On ne mourrait pas sous les bombes des Anglais et des Américains. Mais on mourrait petit à petit, de ne pas manger, de ne pas respirer, de ne pas être libre, de ne pas rêver. » A propos de Maude : « Avant, elle ne mangeait pas à sa faim, maintenant elle avait faim, voilà tout. »

 

Jean-Marie Le Clezio, offre une place de choix à la faim, déjà dans Dans la forêt des paradoxes. La faim est liée à l’art en général, ici à la musique, Dans la forêt des paradoxes à la littérature. La faim c’est ce manque, ce vide à combler, la nourriture est celle de l’art, nourriture spirituelle, à défaut de nourriture matérielle.