Une femme sous influence de John Cassavetes à découvrir

 

Le film est porté par Gena Rowlands qui interprète Mabel Longhetti, une femme aux tourments intimes. Chaque geste, chaque parole est l’objet d’un combat avec elle-même. Un film à la fois audacieux et touchant, offert par un grand réalisateur en 1980.

 

 

 

"Une femme sous influence", est porté par le personnage de Mabel, dont chaque geste, parole, respiration, est marqué par son combat avec ses démons intérieurs, qui la ronge au plus profond de son être. Ce film nous parle de regard. Il y a énormément d’amour, un regard aimant de Mabel sur ses enfants, un regard aimant du mari de Mabel sur celle-ci. Mais se présente un duel, une dualité entre tout cet amour, signe naturel de reconnaissance, et le rejet face à la folie, qui tient de l’attitude de la société. Il existe cette tension dramatique dans le film vis à vis de la norme. Nick aime Mabel comme elle est, mais vis à vis du regard des autres s’efforce que leur couple paraisse « normal ».

Ce film parle de la place des individus dans la société, notamment de ceux que l’on qualifie de « fous ». « Cette femme sous influence » est très liée au regard, l’influence est celle qu’exerce le monde sur elle, comment le monde la voit, et comment elle veut paraître face au monde pour que sa famille soit toujours fière d’elle, malgré ses égarements, dont elle a évidemment conscience.

Le film questionne la folie ordinaire

Le film met en scène la folie « ordinaire », elle n’a rien de monstrueuse, elle parle simplement de crise intérieure. Cette folie interroge l’idée même de normalité, est-elle là où on l’attend? Finalement existe t-elle vraiment? En tous les cas, au delà de celle-ci il reste bel et bien une chose authentique, l’amour de Mabel pour sa famille. Mabel, elle seule sait parler à ses enfants de ce qu’ils représentent pour elle, et avec beaucoup de force, on ne retient alors que cela. Quoi qu’elle dise, que ce soit confus, décalé, au delà des démons, il y a quelque chose de pure, qui est l’attachement. Mabel, est alors plutôt victime, seule, face à la société qui ne la comprend pas et la rejette. Seul ses enfants, car enlacés par son amour, passe outre. On peut admettre qu’il s’agit simplement d’être autre, de ne pas suivre le chemin du plus grand nombre. Et la différence, de tout temps, provoque le rejet de la part de la majorité. Finalement, qu’est-ce que la folie? N’y a t-il pas de la folie un peu dans tout? A t-on le droit de juger cette folie? Le film nous donne à penser cette société cruelle, qui humilie, met au banc la folie. Une folie, si on peut la nommer ainsi, qui en réalité n’est dangereuse que pour Mabel elle-même. Ce film, il me semble, a pour volonté de brouiller les repères, mettre à mal les préjugés face à une folie sans nom, ordinaire qui n’est en réalité rien d’autre que la célébration de la fragilité des hommes.

Un film sans issue

Ce film est une expérience en lui-même, dont on sait d’avance que l’on ne sortira pas intacte. C’est un film, aussi, presque Kafkaiesque, on le sait sans issue. Une fois rentrée de l’asile psychatrique, on a ce sentiment très fort, que rien ne rentrera réellement dans l’ordre, que Mabel ne s’en sortira pas, puisque le monde autour d’elle est contre elle. Elle est autre, incomprise, et elle ne veut pas se soumettre à cette soit disant « normalité », et c’est sans doute mieux ainsi.

Le spectateur face au personnage attachant de Mabel

Caméra à l’épaule, l’espace est très libre, il est espace incertain, terre d’accueil des errances de Mabel. Le cadre est d’une souplesse étonnante, épouse la mouvance des corps et des comportements, laisse une très grande liberté aux personnages. La musique d’opéra accentue le côté tragique. Le spectateur lui est très souvent placé au centre de la scène, comme pris à partie, immergé malgré lui. Et ainsi ce personnage de Mabel devient très attachant, on a envie de l’aimer et de la comprendre. Cassavetes renverse les préjugés du spectateur, le spectateur devenant lui aussi sous influence. Peut-être tout simplement celle de la sensibilité. Cette femme est finalement une femme ordinaire, montrée dans son quotidien d’épouse, de mère qui essaye (sous influence) de donner le meilleur d’elle-même à ceux qu’elle aime. Essaye de retenir ses démons loin des autres. Cette femme apparaît, me semble t-il, très touchante pour le spectateur qui est placé dans un rapport de grande proximité avec celle-ci. Elle est incroyablement digne dans sa solitude face au monde et l’humiliation que lui fait subir celui-ci. Pour moi, c’est une leçon de résistance face à l’étroitesse d’esprit de la masse qui juge, jauge, détruit l’ailleurs. Cette femme est cet ailleurs, malgré cette souffrance que celui-ci lui apporte. Pour moi, même avec ses démons, elle est libre, bien plus libre que la population ne l’est, enfermée dans des idées toutes faîtes, les préjugés. Bien loin de l’essentiel. Mabel a cette essence de la vie : elle sait aimer.