Assimiler Brigitte Brami à Jean Genet, c’est un peu… prématuré pour le moins. J’ai très peu lu Genet, j’ai lu tout Brami (quarante pages), et je ne vais pas me prétendre critique littéraire. Chroniqueur littéraire, M’sieur Loyal de littérature, oui, cela perdure. Mais comme je fais dans l’antijournalisme, je vais vous présenter La Prison ruinée, de Brigitte Brami pour les éditions Indigène, au fil de l’eau d’une lecture en réminiscence et projection.

 

D’ abord la couverture, de Véronique Bianchi, à partir d’une photo de Brigitte Sy et d’une toile de Sandre. J’esquive,  je l’ai déjà évoquée ailleurs (autre contribution sur Come4News). Première digression : pourquoi faudrait-il se la péter cuistre pour chroniquer un bouquin ? Surtout ne pas parler d’auteur, de locuteur (ici, la même), ni trop employer le lexique des termes littéraires. Cela étant, n’est point Luc Décygnes, du Canard, colleur de poils aux pattes des étoiles, qui veut. Question de dosage.

Première phrase : «  Les hurlements et les coups dans les portes résonnent et font un fracas terrible… ». Pas vraiment le début de La Recherche de Proust. Pour faire moins Proust, j’aurais opté pour « résonnent ; fracas terrible… ». Parfois, je trouve que les éditrices, ici Sylvie Crossman, font leur boulot par-dessus la jambe. Oui, mais c’est la voix de la Brami (je peux lui faire ce petit plaisir de la traite en diva, elle adore cela) et ce n’était pas idiot (litote) d’en préserver l’authenticité.

À la MAF (maison d’arrêt des femmes) de Fleury, comme ailleurs, « la liberté de nos semblables étend la nôtre… ». Qu’on ne s’y méprenne pas, cette Prison ruinée n’est pas un nouvel essai parmi d’autres sur la détention. C’est de la littérature, mais les premières pages évoquent le document, le reportage, par qui n’aurait pas le métier d’un Denis Robert.

B. B. note, et c’est salutaire, « les informations auxquelles le grand public a droit sont en général l’inverse de ce qui se passe dans les faits. ».

Elle n’a pas tout faux, Brami. Elle n’a pas tout vrai. Elle se dit délivrée « pour la vie entière de la crainte de la prison. ».

Comme l’écrivait Philippe Val à propos de Denis Robert et des atteintes à la liberté d’expression et de la presse, on n’est pas en Russie entre Alsace et Bretagne. Oui, mais, il en connaît quoi, le Val, Philippe, peut-être futur justiciable, des menaces de mort proférées à l’encontre des enfants des journalistes d’investigation ? J’en connais moins (en raison de trop courts séjours à l’étranger lors de reportages) et peut-être davantage (en raison d’autres reportages et de la fréquentation de l’équipe des documentaires Justice en France) que Brami, sur la détention. Cela ne disqualifie pas ses dires. Rêveuse, B. B. ? Idéaliste, sans aucun doute.

 B. B. n’a pas enquêté sur les prisons, sur les centrales ; elle a séjourné six-sept mois (de mémoire) à la MAF de Fleury ; s’est retrouvée, une année ou davantage plus tard, autant en cavale (car sous le coup d’un mandat d’amener). Mais cela n’importe que peu ici, pas plus que les raisons que connaissent bien tous ceux qui ont approché Michel Dubec, psy et expert devant la Cour de cassation, et que tant d’autres n’ignorent pas (et bien au-delà de ce déjà large cercle de silence… complice ? complaisant ? contraint ? copain ? coquin ?).

Donc, n’y revenons plus. Tournons la page. Le véritable sujet de La Prison ruinée, c’est « l’imbrication de la souffrance et de la jouissance. ». Le témoignage a d’ailleurs valeur d’enquête quand Brami nous campe deux détenues jouant, à la messe de Fleury-en-les-murs, de la contrebasse et du clavecin. De la musique créole au clavecin, de notre côté de l’enceinte, c’est rare. Seconde digression : savez-vous que la population carcérale reflète plutôt la composition des classes d’âge qui ont poussé jusqu’au baccalauréat et au-delà ? Chassez le journaleux, il revient au trot, à cheval sur le bidet de sa documentation.

Où l’on va passer de la sainte messe à la saine fesse. « Écoute, écoute… » me disait je ne sais plus quel chansonnier. Et on aurait plu (bien mouillé) à s’attendre à une bien salace. Zut, treize pages, toujours pas de fesse, mais un « voilà comment vivent ces prisonnières qui font autant peur que jouir ceux qui les condamnent moralement ». Troisième digression : féministe pas trop traditionnelle (je sais, cela vaut ce que cela vaut, hâtif et réducteur), plutôt lesbienne qui ne se soignera pas (mais n’est point mâlement niaise), la Brami n’emploie pas le «  celles et ceux » qui encombrent ma prose. Au lieu de nous causer cul, elle évoque la « fameuse pitié aristotélicienne ». Dans le genre émoustillant, on fera mieux. Ah, quand même ! « 8 % de la population nationale ont des mœurs lesbiennes. » Ben, voui, c’est féminin pluriel (comme les amours, la sexualité de groupe), les mœurs. Explose-moi ce ratio issu d’on ne sait où en taule.  Et « l’incandescence est alors à son comble. ». Welsh, welsh. Zut, on repasse à l’écriture de poèmes en cellules (p. 15). Cela s’arrange page suivante avec Sonia qui considère que la « contrainte par corps », c’est le crime de ne pas baiser aussi fréquemment qu’on s’en sentirait l’envie.
Zaïroise, Sonia serait, d’après ce que je sais (par ailleurs, je me suis renseigné), librement au tapin (donc, son julot, Billy, qui n’en est pas un, car il ne touche pas à son grisbi, juste sans doute à son frifri), et chaudasse (« le feu qui me brûle est celui qui m’éclaire », reprend B. B. après La Boétie). Brami phalène. Il arrive à Billy de se faire dérouiller par Sonia, vingt piges au placard sur moins de quarante. Zut, cela présageait d’une bonne séquence voyeuriste et voilà que B. B. balance un intertitre : « de la transfiguration poétique ». Bon, je saute les pages ? Non point. « C’est ainsi que l’on devient Jean Genet, » poursuit Brami. Ou Albertine Sarrazin. Frustrant autant que jaculatoire. Ah, mais, que non, la voici évoquant des souris grises (celles d’un film leste, dont j’ai oublié le titre, qui fut interdit aux moins de treize ou seize ans, du style Malicia dans la Wehrmacht). Les matonnes seraient-elles ces papillonnantes auxquelles on retire les ailes et qui deviennent piment ? Humm, les Bleues auraient-elles des penchants ? Raté, on en est à mi-ouvrage et voici Brami déjà loin des Bleues, élargie (pas que par Sonia, mais au sens carcéral du terme).

Là, hors les murs, la poto « fait l’amour avec application et générosité (…) mais ne manque pas de me dévaliser…  ». Elles vont se crêper le chignon (locution machiste, j’en conviens). « Je compris alors que ce charme n’appartenait pas à ces personnes (…) mais à la prison qui les sublimait et les magnifiait. ». Nième digression : je plains le recteur ou l’aumônier qui suit aussi certaines détenues à l’extérieur, et de la part d’un bouffeur de curés, c’est sincère. Tenir le 115, le numéro de téléphone pour les sans-abris (eh, la note en bas de page, c’est aussi une prérogative éditoriale, non ? là, c’est un aparté), que sollicitent les relevées des écrous (pour retomber sous et en d’autres vis ou « vices »), ce doit être un douloureux sacerdoce, à la mauvaise occase. En ce lieu « aussi inaccessible parfois (…) que les palais présidentiels », soit la prison, la mort sociale paraitrait, sinon exquise, du moins plus supportable. Brami a fini par le penser, et du dedans, et de l’en-dehors. Orgueilleuse d’avoir été vomie par la société, la Brami estime qu’il est « paradoxalement nécessaire » d’aimer la prison « pour la rendre caduque ». Aux trois-quarts de son texte, Brami se lâche. Se dit, se proclame « captive amoureuse ». Bon, comme Sade, on préférerait pouvoir peut-être profiter de la complicité d’un geôlier pour en fréquenter la fille de la chanson.

Damned. Je figure dans les remerciements (entre Luce Sirkis et Nelly Trumel, dans une liste ouverte par Siegrid Alnoy et close par Boris Vian, excusez du peu). Voili-voilou. S. C. en rajoute deux pages. D’entretien avec Brigitte (eh, quand on figure dans les remerciements, on tombe le masque du chroniqueur distancié).

Qu’en penser ? De ces quarante pages ? Je maintiens que cette lettre ouverte est un texte littéraire (par une littéraire, qui a interrompu une thèse sur Genet). Peut-être qu’à 13 centimes d’euro la page, on, la critique, pourra soutenir qu’on, nouz’otres, ne s’est pas fait arnaquer (prix de vente : trois euros).  Je ne présume pas trop des comment et pourquoi sera perçu et reçu ce petit livre qui se dévore entre, mettons, Château Rouge et Saint-Sulpice. Je souhaite qu’il le soit autant entre La Muette et Richelieu-Drouot, et surtout, surtout, entre Saint-Denis et Le Bourget, par exemple. Ou Plougasnou et Kermouster, Illkirsh et Schiltigheim,  Bruxelles et Ixelles, Lausanne et …, Montréal et …., Ouaga et … J’éprouve comme une restriction mentale : prendre Brigitte au mot, et non aux maux et aux heurs,  serait l’épeler, l’ânonner, et non la lire. C’est un texte littéraire, vous dis-je, subjectif. D’autant plus précieux, peut-être.

La Prison ruinée, de Brigitte Brami, éds Indigène, en ligne et dans toutes les bonnes librairies, à partir du 24 février 2011.