Sur son blogue-notes, L’Écologie de l’information, le journaliste Pierre Gandonnière considère que « l’anti-communication » génère « une montée sourde mais inexorable de la violence sociale ». Malheureusement, la « communication » via l’Internet reflète cette croissance : l’Association française des fournisseurs d’accès Internet (AFA), constate « une augmentation de 183 % en un an des signalements de sites violents, notamment de violences faites spécifiquement aux femmes ». « Mieux » communiquer sur les violences faites aux femmes générerait-il des « chiffres communicants » ?
Tenter d’établir une éventuelle corrélation entre la montée des « incivilités », notamment celles de la police envers certaines parties de la population, c’est faire montre d’un militantisme douteux. Déjà parce qu’il reste des policières et des policiers sachant prendre des initiatives et communiquer courtoisement avec la population. Ensuite parce qu’il existe encore des phénomènes qui échappent aux statistiques. De ce point de vue, les remarques de Pierre Gandonnière, analyste des médias, valent ce qu’elles valent : il s’agit de présupposés, ce qui ne les disqualifie pas.
Le fait du jour de ce samedi, c’était notamment l’appel d’une libraire du Bourget. Elle n’a pu obtenir l’assistance de la police de cette banlieue parisienne, ni l’écoute de la justice ou des édiles locaux, estime-t-elle. Elle a donc créé un blogue, animé une « après-midi portes ouvertes » dans sa librairie qui n’est plus accessible qu’après avoir sonné, tout comme on procède pour pénétrer dans une banque. Une partie des sites proches de l’extrême-droite a amplement répercuté l’information : victime d’un viol collectif, de multiples incivilités, Marie-Neige Sardin mérite ses soutiens. Est-elle « blanche comme neige » ? Franchement, je n’en sais rien, et la pluie m’a retenu d’aller vérifier à la source. En revanche, ce n’est pas parce que la droite de la droite s’est « emparée » de son cas qu’elle le discrédite. L’autre fait du jour, c’est la diffusion par l’Afa d’un communiqué fort inquiétant.
La bonne nouvelle, c’est que le Point de contact de l’Afa constate une baisse du nombre des sites de « pornographie accessible aux mineurs » et des sites véhiculant des « contenus terroristes » potentiellement illicites. La mauvaise tient à la hausse des sites à « contenus racistes ou incitant à la haine raciale » ou à la « violence ou au suicide ». Je vous passe le détail des chiffres, et je n’ai pas trop compris les parts respectives de ces signalements de sites incitant à la violence en général et de celles tombant sous la qualification de « violences faites aux femmes ». « Avec une augmentation de 183 % des signalements de sites violents en un an, le service d’assistance en ligne pointdecontact.net précise les types de violences que les internautes peuvent signaler, » précise (hum…) le châpo de ce communiqué de l’Afa. L’article 24 de la loi de 1882 sur la presse, auquel la loi pour la Confiance dans l’économie numérique se réfère, va-t-il être « libéralement » interprété pour réprimer « l’incitation aux violences faites aux femmes » ? Verra-t-on les Chiennes de garde considérer violentes certaines publicités mettant en évidence des femmes ? C’est un autre débat.
Ce qui m’intéresse, c’est une possible approche de la dichotomie entre plus informer et mieux communiquer. Communique-t-on « bien » ou simplement beaucoup, ou mieux sur le sujet ? Qu’on ne me reproche pas de vouloir insinuer qu’il faudrait moins communiquer sur les violences faites aux femmes. J’estime au contraire qu’en ce domaine le plus n’est pas l’ennemi du mieux. Le plus induit sans doute des effets pervers et on n’empêchera pas des réactions transgressives : le Hara-Kiri du professeur Choron était à cet égard un cas limite. De même, certains sites masculinistes, notamment canadiens, savent très bien exploiter certains cas de violences faites aux hommes par des femmes pour mettre et faire mettre en avant leurs revendications plus générales. Communiquer sur les violences dont sont victimes les femmes parce qu’elles sont femmes n’est pas simple, et non exempt d’effets contre-productifs.
Répression, prévention, information, communication… Le débat est beaucoup plus vaste que ce à quoi des groupes militants veulent le circonscrire. Il est certain que tarir la source des vecteurs de propagation d’une forme de violence ou une autre, ce que font l’Afa et son Point de contact, n’est pas inutile : certains groupes auto-justifient leurs pratiques d’autant mieux qu’ils ne se sentent pas isolés. Cela vaut tant pour la pédophilie que pour la misogynie. Le même phénomène se vérifie avec les « théories du complot ». Plus on diffuse des hypothèses – totalement affabulées – du genre de celle du Protocole des Sages de Sion, mieux les antisémites se sentent confortés dans leurs opinions. La loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 « relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants », que le communiqué de l’Afa met en exergue, a certainement sa raison d’être. Et il a fallu du militantisme pour que cette loi passe. Et donc, de la « communication ». Saluons aussi au passage les militantes et militants.
Je n’en pense pas moins que le volet « accompagnement » des hommes violents est trop négligé par les organisations militantes et le gouvernement. L’état lamentable de la prophylaxie psychiatrique en France, faute de moyens et de volonté politique, n’est pas assez, à mon sens, dénoncé par les associations et organismes de défense et soutien aux victimes. On peut le comprendre : les priorités obligent de s’intéresser d’abord et avant tout aux victimes. Mais on sait fort bien (je caricature) qu’un homme violent trouvera toujours une nouvelle victime, tout comme les violeurs (on en a eu un exemple récent) ou les pédophiles peuvent récidiver. La « communication » ne doit pas être qu’à sens unique, elle suppose l’écoute. Elle implique aussi une certaine dose « d’anti-journalisme » au sens que lui donne Pierre Gandonnière. Peut-être faudrait-il aussi tenter de s’y efforcer ?
Juste une précision : d’où je parle ?
Ancien correspondant de rubriques « femmes » ([i]Politique-Hebdo[/i], [i]Libération[/i]…), ex-époux d’une présidente d’association gérant un foyer d’accueil pour femmes battues, et déléguée régionale aux Droits des femmes, encore au contact – des connaissances – avec (au moins une, voire deux) des femmes battues. Et jusqu’à présent, et à nouvel ordre, pas du tout homme violent.
Cela pouvait aller sans dire, cela va peut-être mieux en l’écrivant.
On (les medias et politiques) communique souvent n’importe comment sur le sujet en amplifiant l’aspect « communautaire ».
le plus important, c’est que les femmes sachent qu’elles doivent porter plainte contre leur aggresseur, qu’il est un criminel et doit etre jugé.
apres quoi, le juge decidera s’il doit subir des soins.
le plus important, c’est surtout de soigner les victimes dans la durée; une ancienne connaissance s’est faite violée il y a 30 ans par ses clients et le neveu du PDG de sa boite; elle s’est « écrasée pour garder son job mais l’a perdu victime de depression; cette femme, si elle vit encore, est une loque, abandonnée de sa famille vivant de « medoc » et cigarettes; 30 ans de souffrances et de prison sans barreaux
Eux continuent peut etre de se croire tout permis
Chère Agnès,
C’est bien pourquoi j’ai choisi l’illustration. Il y a des priorités.
Juste un truc : « subir des soins ».
Généralement, on en bénéficie.
Je n’ai pas d’argument d’autorité (être un peu « sachant » n’en est pas un).
De plus, tout-e « expert-e » n’est pas forcément une référence.
Le viol n’est peut-être pas que le fait de salauds « ordinaires » qui trouvent leur satisfaction principalement dans le fait de détruire et dominer, asservir. Mais cette composante n’est jamais à exclure : c’est plus évident pour le sens commun quand la victime est un homme et qu’il s’accompagne d’autres types de tortures.
Le viol est l’une des formes des violences infligées aux femmes, l’assassinat sans viol en est une autre.
J’ai été durablement marqué par le procès d’un assassin récidiviste. Il avait tué une première fois une jeune femme qui l’avait délaissé. Il échappe par hasard à la peine de mort (report de l’exécution, circonstanciel si ce n’est fortuit, adoption de la « loi Badinter ») et reste un quart de siècle détenu. Détenu modèle qui deviendra un compagnon quasi « modèle » pour la compagne qu’il se trouve une fois libéré. Il se trouve qu’il finit par entretenir une liaison parallèle avec une jeune voisine. Pour des raisons x et y, dont principalement la rencontre d’un autre homme, celle-ci lui signifie son congé, il la tue.
J’ai entendu un expert dire : il n’a absolument pas été soigné en détention, s’il l’avait été il n’aurait pas récidivé, là, c’est trop tard, on ne peut exclure un futur passage à l’acte et de plus, on peut douter à présent de son adhésion aux soins. C’était encore du temps de l’art. 64 du CP. Évidemment, on n’a pas suivi le raisonnement qui aurait consisté à faire comparaître ses « complices » passifs qui auraient pu évoquer le manque de personnel et de moyens, le fait qu’il s’agissait d’un détenu modèle, &c. Un léger doute subsistait sur la nature du second crime (meurtre ou, comme pour la première fois, assassinat, au sens que la préméditation, telle que définie et conçue légalement, était patente). On en tirera les conclusions qu’on voudra, mais pour moi, je veux continuer à croire, comme l’expert (et l’autre expert avec lequel j’avais sympathisé et qui m’expliquait l’état de son établissement et son manque de « lits ») que ce second crime aurait pu être évité.
Question médocs, cigarettes et alcool, je connais une autre victime, sur laquelle son ex-compagnon n’a jamais levé la main, qui ne l’a jamais harcelée au sens des lois en vigueur, mais qui l’a « gentiment » ruinée, sans vergogne. Il continue peut-être de se croire tout permis et en tout cas, tout à fait légalement, il le manifeste.
Mon propos est en fait, ici, prioritairement le suivant : le traitement journalistique des violences faites aux femmes est-il adéquat ? Ne pas avoir reçu de formation spécifique dispense-t-il de s’informer et de réfléchir ? À chacune et chacun de répondre « en conscience ».
L’Internet fait « vendre ». Il est assez significatif qu’un journal australien, dans un cas de violences infligées aux femmes (une femme ayant épousé un Sud-Africain après avoir fait sa connaissance via un site ; l’homme est aussi un fanatique des armes et chasseur…) ait titré d’abord sur le mode « petit chaperon rouge » (faut pas aller dans la forêt de l’Internet).
Dans le second cas, c’est un problème de contexte qu’il faut évoquer. La même image, sur un site de « woman bashing », sans légende, ou sur un site féministe, ne sera pas interprétée de la même manière (ici, Timothée, très souvent cité de manière tronquée par des théologiens ou experts en exégète à propos de l’apostolat des femmes, en escamotant la fameuse légende du serpent et de la pomme : le passage intégral, selon l’une des traductions, serait « [i]que les femmes se tiennent en silence, et dans une entière soumission, lorsqu’on les instruit. Je ne permets point aux femmes d’enseigner ni de prendre autorité sur leurs maris ; mais je leur ordonne de demeurer dans le silence. Car Adam a été formé le premier, et Ève ensuite. Et Adam n’a pas été séduit ; mais la femme, ayant été séduite, est tombée dans la désobéissance. Elles se sauveront néanmoins par les enfants qu’elles mettront au monde, en procurant qu’ils demeurent dans la foi, dans la charité, dans la sainteté, et dans une vie bien réglée[/i].».).
L’un des problèmes que rencontre l’Afa dans sa communication est similaire à celui des associations ou organismes de prévention de divers risques (tabac, accidents de la route, &c.). Son choix de ne jamais communiquer sur des cas précis peut être débattu (techniquement, aussi, car ne pas fournir d’illustration peut entraîner la poubellisation de ses communiqués du fait du diktat de l’image et du manque de moyens, de temps, qui peut avoir très souvent cet effet). D’ailleurs, je ne me suis pas senti l’envie de faire un tableau (barres ou « camembert ») et j’ai « botté en touche » en ne reprenant pas les autres chiffres et pourcentages du communiqué. Il est consultable sur le site de l’Afa.
Petit cas d’école de journalisme : comment illustrer les communiqués de l’Afa ? Faut-il absolument trouver une image d’archive ? Comment la choisir ?