Compte-rendu d’audiences correctionnelles dans un tribunal de grande instance de province à travers diverses affaires, avec leurs contextes, leurs causes, leurs conséquences, leurs acteurs, leurs dénouements.
Aujourd’hui : des apéros bus avant d’avoir affaire au bus, il y a de l’abus.
Le contexte : ça rigole, ça chahute, ça s’exclame, ça s’interpelle, c’est emmitouflé dans des anoraks parce qu‘on est en hiver. Les petits sont devant, les grands derrière, les plus expansifs squattant la large banquette arrière, celle d‘où on peut faire des grimaces aux voitures qui suivent après en avoir essuyé la buée de la vitre ou tracé dessus quelques finesses que les automobilistes liront à l’envers. Sous les bonnets de laine, les cheveux ne sont pas tout à fait secs ; les peaux sentent le savon avec un léger relent de chlore. Ils sont trente-huit enfants âgés de 6 à 12 ans qui reviennent en autocar de la piscine municipale. Moments d’insouciance où on ne devine pas que le danger est proche. La matinée tire à son terme et il est temps de rejoindre l’école puis la cantine pour les uns, la maison pour les autres, l’appétit aiguisé par les exercices aquatiques.
Les cinq accompagnatrices chargées d’encadrer le groupe s’affairent à compter leurs ouailles et veiller à ce que chacun se tienne à peu près tranquille avant que l‘engin se mette en route. L’une d’entre elles, cependant, porte son attention non pas sur la marmaille remuante mais sur la conductrice du car dont le comportement la laisse dubitative. Surtout qu’une subtile odeur d’anis parfume son haleine et que sa mine dégage comme un air de culpabilité dissimulée derrière un sourire timide. Une sorte clignotant rouge s’allume alors dans l’esprit de l’institutrice qui, après avoir avisé ses collègues, prie poliment mais fermement la dame en question de ne pas tourner la clé de contact. Le temps de passer un coup de fil, l’informe-t-elle. Cet appel, il est destiné à la directrice de l’école, laquelle prévient à son tour les gendarmes qui, dans la continuité, joignent le patron de l’entreprise de transport à laquelle appartient le bus scolaire. Ce dernier dépêche illico presto un chauffeur sur les lieux. À son arrivée, les gendarmes sont déjà là, qui soumettent la conductrice à un test d’alcoolémie. Verdict : 2,18 grammes d’alcool dans le sang. Largement de quoi rendre encore plus aléatoire les trajectoires d’un autobus sur des routes déjà rendues dangereuses par le verglas…
L’audience : elle n‘en mène pas large, la petite dame blonde, face aux courroux non dissimulé du président : « il aurait pu y avoir de morts ! En plus, je ne comprends pas qu‘un employeur qui avait auparavant émis des doutes sur la sobriété de son employée durant son temps de travail lui laisse pourtant prendre le volant d‘un car qui plus est rempli d‘enfants ! C‘est se foutre du monde ! » s’exclamera-t-il, s’exonérant de son flegme habituel.
Quant à la cause d’une telle charge éthylique alors que midi n’avait pas encore sonné, elle trouve son explication dans la dizaine de pastis que la dame avait ingurgités ce matin-là. Alcoolique chronique, la prévenue ? Oui, à l’évidence parce que, avec un tel taux, on ne se trouve pas en capacité de répondre positivement à une « réquisition » de son patron, accomplir des gestes professionnels, prendre la route sans encombres avec un engin d’une quinzaine de mètres si on n’est pas régulièrement voire quotidiennement imprégné et si on ne possède pas un organisme accoutumé à « fonctionner » dans de telles conditions.
Le procureur ne manque pas de souligner les circonstances aggravantes que constitue la présence d’enfants à bord du véhicule et réclame pas moins de cinq mois de prison ferme et huit autres avec sursis ainsi qu’une amende de 300 €.
Le défenseur de la prévenue, pour sa part, s’appliquera à retracer le quart de siècle durant lequel cette dernière a pratiqué son métier sans le moindre accroc : « parcours sans le moindre incident et aujourd’hui un gros accident dans son parcours » résumera-t-il, faisant au passage remarquer que sa cliente, le jour des faits, n’était pas censée être en service et que c’est sur une demande expresse de son patron qu’elle a accepté d’effectuer un remplacement au pied levé. Après avoir levé le coude, hélas…
Un propension aux copieux apéritifs matinaux qui vaut à la conductrice deux mois d’enfermement assorti de l’annulation pure et simple de son permis de conduire et d’une amende de 150 €.
Échos de barres : en bonus, quelques petites phrases glanées au fil des audiences.
Un ami qui vous veut du bien : alors que le président s’enquière de savoir où le prévenu qui comparaît pour avoir conduit en état d’ivresse en est avec son permis de conduire, l’intéressé informe : « le sous-préfet, qui était un excellent ami à moi, m’avait mis six mois, ce qui est normal. »
Le mariage de la raison et du repentir : connu pour son sérieux et son attitude irréprochable, ce jeune entrepreneur qui habituellement ne boit pas une goutte d’alcool s’est transformé en une sorte de Mr Hyde, un soir de cuite (sa première et dernière, assure-t-il), dévastant tout sur son passage et causant quelques frayeurs parmi les passants.
– C’était mon baptême d’alcool, plaide-t-il.
– Je ne vais pas vous enterrer, assure le juge, bon enfant.
Pédale pas douce : en plus d’un refus d’obtempérer, il lui est reproché un excès de vitesse conséquent :
– Ben, pour essayer une voiture, il faut bien appuyer sur l’accélérateur, non ?