Les développements judiciaires

Certains souscripteurs avaient depuis fort longtemps décidé de court-circuiter ces étapes (la suite devait les conforter dans l’idée qu’ils avaient eu raison de ne pas se bercer d’inutiles illusions). Des actions avaient donc déjà été introduites par Maître Daniel Richard (à Paris, Nice et Limoges), Maîtres Nicolas Lecoq-Vallon et Hélène Féron (à Paris), Maître Stéphane Andréo (à Clermont-Ferrand et à Dijon), Maître Stanislas Creusat (à Reims), Maître Emmanuel Bonnemain (à Fréjus), Maître Rodolphe Auboyer-Treuille (à Lyon), Maître Sébastien Leguay (à Carcassonne) … et bien d’autres encore, sans doute, qui ne sont pas parvenus à notre connaissance …

Par ailleurs, l’association de consommateurs UFC-Que Choisir avait indiqué le 9 juin 2009 à l’AFP avoir saisi les tribunaux pour dénoncer les pratiques du groupe Caisse d’Épargne en matière de commercialisation des actions de sa filiale Natixis et du produit financier de placement Doubl’Ô. Recevant de plus en plus de plaintes sur les conditions de commercialisation des produits financiers, l’UFC-Que Choisir indiquait avoir décidé d’engager deux actions judiciaires à l’encontre de la Caisse d’Épargne nationale et de l’une de ses agences régionales ; estimant en outre que ces pratiques de commercialisation sont susceptibles de faire l’objet de sanctions pénales, elle avait saisi le Procureur de la République du tribunal de grande instance de Paris.

Les lecteurs pourront trouver toutes les précisions sur le site du Collectif Lagardère ; un site d’une telle notoriété qu’il est visité pluri-quotidiennement, aujourd’hui encore, par la Caisse d’Épargne elle-même (Platform of Services), ainsi que par les cabinets Lovells et Hughes Hubbard & Reed, ses représentants attitrés.

Cette tenace fidélité est des plus étranges, car voici beau temps que les uns comme les autres ont eu loisir de prendre connaissance par d’autres voies des plus récents développements. En effet, le 11 septembre 2009, le Collectif Lagardère publiait le communiqué suivant :

« Le 7 août 2009, une assignation regroupant 243 plaintes individuelles d’adhérents du Collectif Lagardère contre les Abus Bancaires (CLAB) a été déposée contre la Caisse Nationale des Caisses d’Épargne (aujourd’hui BPCE) devant le Tribunal de Paris, pour obtenir réparation des préjudices subis par les souscripteurs de fonds communs de placement à promesse « Doubl’Ô ».

Cette première vague d’assignations sera prochainement suivie d’autres.

Assurément, il s’agira de la plus grande action menée en France par des clients contre leur banque. Toutes les informations sur l’action du CLAB se trouvent sur son site http://doublo.monde.free.fr.

Le CLAB estime que la banque a berné les souscripteurs qui faisaient confiance à une promesse marketing forte : « Doublez votre capital en toute sérénité ».

Le CLAB reproche à l’Écureuil d’avoir abusé de la faiblesse et de l’ignorance de ses clients, pour la plupart habitués à des placements sécuritaires. La banque les a délibérément orientés vers des produits dérivés actions à risque.

La stratégie de détournement était clairement exposée aux commerciaux dans des documents d’information interne que l’on trouve d’ailleurs sur le site du CLAB. La banque, pour placer à tout prix ses produits, est allée jusqu’à proposer des montages de souscription adossés à des crédits.

Le personnel de la Caisse d’Épargne est aussi victime car l’information donnée aux commerciaux lors des périodes de commercialisation des six FCP entre 2001 et 2002 était succincte, tendancieuse et très largement « optimiste ».

Durant les six années de vie des placements, aucune donnée explicative n’a été communiquée sur l’évolution des portefeuilles (et pourtant les souscripteurs interrogeaient leurs conseillers …). Les chargés de clientèle ont été livrés à eux-mêmes à la sortie des placements. Le personnel et leurs représentants se sont plaints de ces carences.

Sous couvert d’un placement illusoirement qualifié « haute performance », la Caisse d’Épargne avait échafaudé une formule sophistiquée basée sur des calculs complexes de probabilités qui faisaient de ce FCP l’équivalent d’une loterie où les chances de gagner, jamais dévoilées, étaient infinitésimales.

Au lieu du doublement annoncé, tout était programmé pour que le souscripteur ne retrouve six ans plus tard que son capital initial amputé de droits d’entrée et de frais de gestion importants.

Le CLAB rappelle que l’Autorité des Marchés Financiers a critiqué sévèrement ce type de pratiques dans son rapport annuel (juillet 2009). Certes, la banque et les produits ne sont pas nommément désignés, mais pour le lecteur averti la cible de l’institution est évidente.

Durant plus d’une année, le CLAB est resté en pointe sur cette action citoyenne et désintéressée pour la défense des petits épargnants. Il a proposé des transactions amiables aux dirigeants de l’Écureuil et il a publié sur son site Internet une documentation exceptionnelle.

En réponse à cette action, la Caisse d’Épargne a préféré attaquer le Président du CLAB en diffamation auprès du Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris, procès dont elle a été aussitôt déboutée en janvier 2009.

Le CLAB est aujourd’hui plus que jamais déterminé à obtenir justice pour que les graves manquements de la Caisse d’Épargne à l’éthique bancaire soient reconnus et pour que les souscripteurs soient décemment indemnisés ».

Les assignations reçues le 7 août sont nécessairement plus précises et argumentées que le site, aussi riche et documenté soit-il !

Elles prennent la forme de trois séries d’actes multi-individuels, rédigés en termes identiques, puisque le litige est le même, et déposés, conformément à la législation et selon le montant du préjudice, devant le Juge de Proximité, le Tribunal d’Instance et le Tribunal de Grande Instance de Paris, siège de la CNCE (aux droits et obligations de qui se trouve désormais la BPCE, depuis la fusion sous son égide des Banques Populaires et des Caisses d’Épargne).

Pour la petite histoire, notons qu’il avait été initialement projeté de déposer des assignations individuelles, à chaque fois au nom commun de chaque requérant et du CLAB. Mais la forme collective s’imposa au final : elle permettait de faire l’économie de plusieurs milliers de feuillets les dossiers déposés au Greffe, et partant d’en réduire d’autant le volume et surtout le temps de la lecture imposée aux magistrats.

Cette décision, Maître Doré se félicite d’autant plus de l’avoir prise maintenant que l’on sait la conclusion de la demande faite par Mediapart à l’encontre de la CNCE, suite à l’attitude pour le moins désinvolte de cette dernière, retirant in extremis ses plaintes, sans la moindre justification, après avoir laissé la justice y investir sans compter son temps et son énergie !

C’est la CNCE qui est assignée par les requérants dans l’affaire Doubl’Ô (le CLAB leur étant associé dans chacune des trois séries) en sa double qualité de concepteur des produits et de responsable de leur commercialisation, en vertu de la façon dont elle se présente elle-même :

« Elle exerce trois missions et activités principales au sein du Groupe Caisse d’Épargne :

§  en tant qu’organe central, elle représente les établissements de crédit qui lui sont affiliés auprès des autorités de tutelle et dans ce cadre veille à l’application des dispositions législatives et réglementaires propres à ces établissements. Elle prend toute disposition pour maintenir la cohésion du réseau et s’assurer du bon fonctionnement des établissements affiliés. La CNCE prend les mesures nécessaires pour organiser la liquidité et la solvabilité de l’ensemble des établissements affiliés. Elle définit les produits et services distribués à la clientèle et coordonne la politique commerciale. Elle fait valoir les intérêts communs en matière de ressources humaines et agrée les dirigeants ;

§  en qualité de holding, la CNCE exerce les activités de tête de groupe. Elle détient et gère ses participations dans les filiales. Elle détermine aussi la stratégie et la politique de développement du Groupe ;

§  en tant que banque du groupe, la CNCE est notamment chargée de centraliser les excédents de ressources des Caisses d’Épargne et de réaliser toutes opérations utiles au développement et au refinancement du Groupe. Elle offre par ailleurs des services à caractère bancaire aux entités du Groupe ».

La responsabilité de principe de la CNCE est donc considérée comme exclusive et totale, ayant manqué à son devoir d’information et de conseil (et même usé de manœuvres publicitaires de nature à abuser de la confiance de ses clients et souscripteurs) et failli à surveiller le comportement de ses caisses régionales.

La procédure suit son cours ; désormais, il n’y a plus que deux séries d’assignations, le Juge de Proximité ayant décidé de se dessaisir au profit du Tribunal d’Instance.

Pour ce qui est de l’action multi-individuelle lancée le 7 août 2009 à l’initiative du Collectif Lagardère, certains se laissent parfois aller à des ricanements : 243 requérants seulement ! A peine plus d’un plaignant pour mille souscripteurs ! Dérisoire !…

Dans l’absolu, la remarque n’est pas dénuée de fondement, encore qu’il s’agisse de la plus vaste procédure jamais lancée à ce jour par des clients déçus, trompés par leur banque.

Pourtant, si l’on en croit le Document de référence Groupe Caisse d’Épargne 2008 (paragraphe 4.14.1 « Risques juridiques », page 193), le Groupe est bien conscient, au travers de sa Direction Juridique, du fait que, durement mise à mal au cours de l’année 2009, l’image de la Caisse d’Épargne gagnerait à faire l’économie de se retrouver de nouveau sous les feux de l’actualité en 2010 :

« Des risques de réputation ou juridiques qui pourraient avoir un effet défavorable sur la rentabilité et les perspectives commerciales du Groupe Caisse d’Épargne ne peuvent être exclus

Plusieurs réclamations ou litiges de portée individuelle limitée pourraient être susceptibles de donner naissance à un risque de réputation et de nuire au Groupe Caisse d’Épargne et à ses perspectives commerciales. Ces problèmes comprennent non seulement les pratiques liées aux ventes et aux transactions sur produits commerciaux, mais peuvent également résulter de la gestion inadéquate des conflits d’intérêt potentiels ; des exigences légales et règlementaires ; des problèmes déontologiques ; des lois en matière de blanchiment d’argent ; des politiques en matière de sécurité de l’information et des pratiques liées aux ventes et aux transactions. Une défaillance dans la gestion adéquate de ces problèmes pourrait aussi donner naissance à un risque juridique supplémentaire pour le Groupe Caisse d’Épargne, ce qui pourrait provoquer une augmentation du nombre des procédures judiciaires et du montant des dommages et intérêts réclamés au Groupe Caisse d’Épargne ou l’exposer à des sanctions de la part des autorités règlementaires ».

L’avenir proche nous dira si cette voie, qui serait d’une prudente sagesse, sera finalement retenue.

 

Voici l’état courant en lequel se trouve, pour l’instant, la tumultueuse saga des Doubl’Ô.