«S'il y a un bain de sang, ils en seront tenus directement responsables.» C'est  en ces termes que le guide suprême, Ali Khamenei, s’est adressé dans son prêche du vendredi aux Iraniens, prenant fait et cause pour le président réélu Ahmadinejad. L’avertissement de Khamenei semble en avoir fait reculer certains. Les partisans du candidat défait Mehdi Karoubi ont renoncé à descendre dans les rues ce samedi. Quant au camp de Hossein Moussavi, la manifestation reste encore probable. Si plusieurs crient à la fraude pour expliquer la défaite de leur candidat et que l’Occident s’est montré dubitatif face aux résultats des élections,une question, peut-être candide, se pose quand même : et si Mahmoud Ahmadinejad avait réellement gagné?

 

Sommes-nous en train d’assister à une mascarade orchestrée, au nom des droits de l’homme et de la démocratie? Une prodigieuse démonstration d’une foule en colère, scandant des slogans hargneux contre le vainqueur; une vision hallucinée qui n’est pas sans rappeler la France quelques mois après l’élection de Sarkozy ou les États-Unis en janvier 2005, à l’aube du second mandat de George Bush. On a les dirigeants que l’on mérite, il faut s’y faire. Les médias et journalistes, hissent d’ores et déjà le candidat Moussavi au rang de  «star», presque hollywoodienne, de la révolte populaire (ici). Lui qui, rappelons-le, prône une politique étrangère toute aussi inquiétante que son rival. A cet égard : «quand les élections iraniennes seront passées […] les truismes sur les maux de la prolifération nucléaire se mêleront aux témoignages sur la nature brutale du régime iranien, sur la soif des Iraniens de plus de liberté et de démocratie, et sur le discours écœurant et inquiétant des dirigeants iraniens.» Analysait avec clairvoyance Shmuel Rosner sur le site slate.com avant même le scrutin du 12 juin.

 

manifiran1.jpgDans cette cacophonie qui dure depuis une semaine, le peuple iranien est plus divisé que jamais. Chacun choisit son camp; les uns pour Ahmadinejad célébrant sa victoire arborant des pancartes, aux slogans écrits en persan; pendant que les autres du côté de Hossein Moussavi s’étonnent, s’offusquent : «Where is my vote?», où est mon vote? S’écrient-ils dans la langue de Shakespeare. Pourtant aucun candidat des chefs  Moussavi, Karoubi ou Mirhossein n’a donné suite à l’invitation du Conseil des gardiens de la constitution d’assister au recomptage de 10% des suffrages. Aucun n’a pris part à la session extraordinaire, tenue ce samedi, par le président Ahmadinejad, afin de régler l’impasse. Où sont-ils ? Peut-être trop occupés à préparer leur prochaine manifestation, alors que le dialogue semble encore possible afin d’éviter le pire.

 

Si la France, les États-Unis et l’Angleterre demeurent circonspects face à la crise iranienne, du moins pour l’instant ; officieusement, le jeu des Obama, Brown et Sarkozy est déjà enclenché. «Le monde entier regarde l'Iran», de déclarer les chefs d’État britannique et américain. Mais le monde entier observait aussi l’Iran en 1953, lors de l’opération Ajax, ourdie de concert par les compères CIA et MI6, afin de renverser le gouvernement démocratiquement élu de Mossadegh au profit du Chah. Le monde aussi observait lorsque la France hébergea l’ayatollah Khomeini en 1978, se faisant complice de l’instrumentalisation de la théocratie qu’elle condamne aujourd’hui en Iran. Mais toujours aussi prudente de jouer sur deux tableaux, pour ne déplaire ni à l’oncle Sam, ni au peuple iranien pourvoyeur de pétrole, cette France s’enquit bien de se garder un plan B. En planifiant « d’organiser un accident mortel pour Khomeini » dans l’éventualité où le Chah parviendrait à revenir dans les bonnes grâces de son peuple, rapportait l’ancien patron du SCDCE, Alexandre de Marenches.

 

Si Mahmoud Ahmadinejad est un dirigeant lamentable, d’aucuns ont l’autorité morale de l’en blâmer. Combien d’autres chefs d’État, donneurs de leçons, devraient regarder le palmarès de leurs réalisations avant de juger celui des autres. D’autant plus qu’avec ou sans Ahmadinejad, l’Iran restera une théocratie dont le sort du peuple, aussi triste soit-il, fait pleurer des larmes de crocodiles à un monde politique occidental qui n’en a que pour leur pétrole.