Imaginez qu’un commissaire divisionnaire de police, secrétaire général d’une préfecture, ami personnel et bras droit de son préfet assassiné – rien moins qu’un rigolo – reçoive de la part d’un informateur le nom de deux suspects qui pourraient avoir un rapport avec l’assassinat en question. Qu’il en informe le procureur de la République de Paris, Yves Bot, dès 2002, puis le président de la cour d’assises Didier Wacogne, ainsi que le procureur général Laurent Le Mesle par lettre fin décembre 2008. Comment cet homme pourrait-il imaginer qu’aucune investigation ne soit faite au sujet de ces deux suspects ? Lorsqu’il témoigne en 2007 au procès d’Yvan Colonna, accusé d’être le meurtrier du préfet Claude Érignac – puisque c’est bien sûr de cette affaire qu’il s’agit – Didier Vinolas, notre commissaire, se borne à évoquer la mémoire du fonctionnaire défunt et de raconter comment il a annoncé la nouvelle à sa veuve et l’a aidée à choisir un cercueil et une cravate. "Il ne dit rien, parce qu’il pense que les enquêteurs vont eux-mêmes en parler, explique France-Soir. Il est assis parmi le public lorsque le commissaire Frédéric Veaux témoigne que « Colonna a peut-être le profil du tueur mais qu’il y en a d’autres.  » M. Veaux cite plusieurs noms de suspects, qui n’ont pas été inquiétés, dont celui d’un des deux hommes incriminés par M. X, l’informateur de Didier Vinolas.

Le 29 décembre 2008, parce que le procès est audiencé et que rien n’a évolué, il rédige une note de synthèse, qu’il remet au greffe du parquet général de Paris, dirigé par Laurent Le Mesle. Didier Vinolas transmet également sa note à Didier Wacogne, désigné pour présider les assises de février 2009. Vendredi soir, M. Wacogne a confirmé avoir reçu la lettre mais «  je ne l’ai pas lue. Je ne lis que les certificats médicaux des témoins ne pouvant pas venir au procès." Colonna est condamné mais fait appel. C’est ainsi que nous en arrivons au second témoignage de Didier Vinolas qui, cette fois, crache le morceau : "Il y a peut-être deux hommes dans la nature qui ont participé à l’assassinat du préfet. Ça m’est insupportable", a-t-il déclaré vendredi dernier, ses propos ayant fait l’effet d’une véritable bombe. La défense n’a jamais eu connaissance de son témoignage et par conséquent de l’existence de ces deux suspects. Leurs noms ne figurent pas au dossier. Parce qu’on n’a pas voulu suivre cette piste ? Comment expliquer de telles fautes, au plus haut niveau, qui entachent irrémédiablement la crédibilité de la procédure judiciaire en cours ?

 

gsPour Gilles Siméoni, l’un des défenseurs de Colonna, la réponse est claire, qu’il a livrée au cours d’une conférence de presse relayée par le blog de l’avocat Gilles Devers : "On a fabriqué un faux coupable ! Nous avons aujourd’hui la preuve que des éléments de nature à démontrer l’innocence d’Yvan Colonna ont été délibérément écartés. De façon délibérée, organisée, réfléchie, de hauts magistrats et de grands policiers antiterroristes ont décidé de taire, parfois de détruire des éléments à décharge pouvant conduire à démontrer l’innocence d’Yvan Colonna. Sans crainte d’être démentis, nous l’affirmons solennellement. Le témoignage de Didier Vinolas est d’une gravité extrême, d’autant qu’il était l’ami et le collaborateur direct de Claude Érignac. Tout cela révèle que, dès 1999, une vérité d’État a été décrétée et que plus personne n’a voulu s’en écarter. Dans ce dossier, il y a déjà eu la révélation au procès Castela et Andriuzzi d’un faux rapport d’enquête antidaté ; puis la disparition d’écoutes téléphoniques judiciaires dont a témoigné Roger Marion, le chef de la DNAT (Division nationale antiterroriste), sous serment devant le Sénat, lors de l’enquête parlementaire – ces écoutes d’Yvan Colonna le mettaient hors de cause. Il y a eu la deuxième voiture sur les lieux du crime dont on n’a jamais identifié les occupants. Puis la fameuse empreinte relevée sur le ruban adhésif à la gendarmerie de Pietrosella qui n’appartient à aucun membre du commando et encore moins à M. Colonna ! Le légiste dit que le tireur était aussi grand que le préfet (Colonna est de bien plus petite taille, NdA) et aujourd’hui, on apprend que d’autres éléments capitaux ont été étouffés ! C’est scandaleux." Maître Gilles Devers partage l’indignation de son confrère, qu’il exprime avec des mots très durs : "Truandage de l’enquête à une échelle inconnue. Je suis atterré par ce que j’ai lu. Et tout risque de dégringoler avec la plainte pour «  entrave à la manifestation de la vérité  » déposée aujourd’hui par les avocats d’Yvan Colonna".

 

j-mbUn scandale d’État ?, c’est le titre du billet consacré à l’affaire par notre ami Jean-Marcel Bouguerau, journaliste du Nouvel Observateur, sur son blog : "Y aurait-il au détour du procès Colonna non seulement un nouvel Outreau mais peut-être aussi un scandale d’État ? Les erreurs de l’enquête ont déjà été soulignées par un rapport de l’Assemblée qui fustigeait la "guerre des services et les logiques personnelles" qui avaient prévalu pendant les dix-huit mois d’enquête et surtout, s’agissant d’Yvan Colonna, l’absence de preuves, ni empreinte digitale ou génétique, ni trace d’une communication téléphonique sur son téléphone portable. A cela s’ajoutent d’autres éléments troublants : la présence d’Yvan Colonna sur les lieux du crime fait également débat. Or, malgré cela, il a été condamné en décembre 2007 à la perpétuité. C’est déjà beaucoup. Mais si à cela s’ajoute un scandale d’État, la coupe est pleine. Or, vendredi soir, Didier Vinolas, qui était secrétaire général du préfet lors de son assassinat, a affirmé détenir les noms de deux nouveaux membres présumés du commando nationaliste à l’origine de l’assassinat, qui n’auraient jamais été inquiétés et seraient "peut-être dans la nature". Ces noms, a-t-il assuré, avaient été transmis notamment en 2002 à Yves Bot et en 2004 au chef du Raid Christian Lambert. Ceci signifie que des éléments à décharge, favorables au berger de Cargèse, ont été mis sous le boisseau. L’affaire se corse, si l’on ose dire, lorsqu’on examine les antécédents d’Yves Bot : magistrat autoritaire, il n’a jamais caché sa proximité avec Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur à l’époque de l’arrestation d’Yvan Colonna qui était alors son principal fait d’armes. Ses détracteurs, au rang desquels plusieurs magistrats spécialisés dans les affaires financières, avaient souligné sa capacité à bloquer la progression de certains dossiers en refusant par exemple d’octroyer aux juges l’autorisation d’enquêter sur des faits nouveaux apparus au fil de l’enquête. Il s’est également fait remarquer en s’érigeant en défenseur du système judiciaire face aux caméras en novembre 2005 lors du procès en appel d’Outreau, même s’il avait spectaculairement présenté ses "regrets" aux accusés avant même qu’ils ne soient acquittés."

 

couvPuisque Jean-Marcel cite Nicolas Sarkozy, citons-le à notre tour : "Nous avons arrêté Yvon Colonna (il s’est trompé ce jour-là de prénom ! NdA), l’assassin du préfet Érignac", a-t-il annoncé le 4 juillet 2003. Invraisemblable sortie : la déclaration universelle des droits de l’Homme ne stipule-t-elle pas que "toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées" ? Mais le ministre de l’Intérieur de l’époque s’était royalement assis sur la déclaration des droits de l’Homme. Un tribunal peut-il aujourd’hui le déjuger, lui qui avait décrété la culpabilité du berger de Cargèse ? Apparemment, tout est fait pour que Colonna soit bien condamné, coûte que coûte, et les révélations de Didier Vinolas accréditent encore davantage cette thèse. La raison d’État ne vient-elle pas d’être prise en flagrant délit ?

 

PS : Nous avions déjà écrit un billet à propos de l’affaire Colonna, juste avant le premier procès, dans lequel nous émettions de sérieux doutes puisque nous l’avions titré Yvan Colonna déjà condamné ? Cet article n’est actuellement plus en ligne, puisque nous y remettions en question l’indépendance d’un magistrat qui nous a attaqué en justice pour "injures publiques". Nous vous en parlions dans notre billet "Plume de presse" mis en examen. Depuis a été prononcé notre renvoi en correctionnelle. Le procès est à venir, à une date non encore fixée. Nous aurons l’occasion de vous en entretenir à nouveau.