Depuis les débuts de la crise financière, une question hante la classe politique : la moralisation du capitalisme. L’intervention de nombreux Etats a pu un instant laisser croire à l’émergence d’une instance sociale de régulation de la finance. Un instant, seulement… car l’affaire Madoff rappelle, si besoin était, que nous risquons de ressentir longtemps les effets de la crise et que le mal est peut être plus profond que ce que nous pensions. La question morale semble trouver une réponse avec l’apparition de la finance islamique dans le monde des affaires françaises : depuis le 18 décembre, elle bénéficie d’un cadre fiscal adapté et officiel.

 

L’institut Europlace (1) a publié, le 8 décembre, un rapport dans lequel il est dit que la France pourrait devenir une grande place de la finance islamique dans un avenir proche. Pour ce faire, Christine Lagarde, ministre de l’économie, souhaiterait apporter les menues réformes des codes civil, monétaire et financier nécessaires pour rendre notre pays attractif (2). Les investissements islamiques pourraient attirer quelques 100 milliards d’euros (sur un total d’au moins 700 milliards, selon diverses sources).

Début décembre, le directeur d’Europlace (3) précise d’emblée qu’un travail de communication va être nécessaire : la finance et le terrorisme islamiste n’ont aucun rapport. Nulle méfiance de type idéologique ne saurait donc faire preuve de pertinence. Le but étant, à terme, que cette finance crée un indice boursier comme cela se fait dans les grandes bourses anglo-saxonnes (New York, Londres…).

La question étant posée par les principaux intéressés, que recouvre cette notion de « finance islamique » ?

De fait, il s’agit d’une finance qui respecte les grands principes de l’Islam : en gros, pas d’intérêts (assimilés à de l’usure), mutualisation des pertes et des profits entre prêteurs et emprunteurs et…grande nouveauté : soumettre les transactions à des produits réels ! Des principes qui font dire aux promoteurs de cette finance qu’elle représente une alternative éthique au capitalisme à l’occidentale !

Mais cette finance est-elle réellement éthique ? A écouter le ministre de l’économie, elle condamnerait la spéculation et le hasard ; il semble également qu’elle interdise les manipulations financières douteuses qui ont fait école jusqu’ici : à savoir habiller de billets le néant total !

 

De nombreuses banques islamiques sont intéressées et des expériences sont déjà en cours…mais reste à se poser une question : si la dimension éthique est à ce point importante, pourquoi ne pas réformer en profondeur les règles du jeu financier ? En l’état, l’adoption de la finance islamique ressemble plus à l’opportunité d’attirer des capitaux supplémentaires, par définition rétifs à certains marchés ! Ceux dont la moralité ou l’intérêt stratégique imposent des choix « charia-compatibles » confieront plus facilement leur argent…quant aux autres, peu importe ! Ils continueront de faire ce qu’ils ont à faire !

Mais au-delà du problème financier, c’est de la question politique dont on pourrait se soucier. Il se dit que la « Banque Islamique du Qatar » souhaiterait s’associer à la Caisse d’Epargne ou à la Banque Postale. Son objectif ? Proposer une offre bancaire islamique pour les particuliers dans les domaines du logement, de la retraite et plus tard de l’énergie ou des infrastructures…S’il est vrai que la finance islamique est née pour minorer les contacts avec les non-musulmans, comment appréhender le fait que des établissements divers soient un jour financés par des banquiers soucieux d’éthique ? La question, contrairement à ce qu’affirment les promoteurs de cette finance, se pose légitimement.

Plus prosaïquement : comment se fait il que les médias couvrent si peu certains éléments de cet évènement ? Le 26 novembre a eu lieu le forum de la finance islamique à Paris (4), véritable acte de naissance du premier comité de conformité « charia » dédié à la validation de produits financiers. Or, les médias en ont assez peu parlé…(5)

Quant aux articles relatifs à l’adoption de cette finance, pourquoi sont-ils tous consensuels ? On assiste à des débats pour moins que ça ! (6) Le gouvernement Français ne vient il pas de se plier à un système de valeurs religieuses ?

Pourquoi n’y a-t-il pas de débat public ? Il ne s’agit pas de se montrer réticent par principe ou par aversion pour la religion musulmane…mais juste de comprendre de quoi il retourne.

Serions-nous tous indifférents à l’adoption de cette finance ? Est-elle le vernis éthique qui va octroyer aux profiteurs la permission de continuer leur démolition du système ? (7)

 

Toujours est-il que si un jour ouvre près de chez moi une banque islamique, je crois que je vais en devenir client ! Pensez : comment mon banquier oserait-il me harceler au téléphone pour rembourser mes créances si l’usure est interdite ?

 

 

 

 

       1.     L’institut Paris Europlace a pour fonction de promouvoir la Bourse de Paris auprès des investisseurs étrangers.    

2.     OuestFrance.fr

3.     Voir l’article de Yann Le Galès, Le figaro.fr

 http://www.lefigaro.fr/societes/2008/12/01/04015-20081201ARTFIG00288-la-finance-islamique-peut-investir-milliards-en-france-.php

4.      Voir l’article sur Al Kantz, du 04/12/08 : http://www.al-kanz.org/2008/12/04/acerfi-comite-conformite-finance-islamique/

5.      Si l’on s’amuse à taper « ACERFI » sur Google news, on ne dénombre que 4 articles référencés…Ce n’est bien sur pas une méthode en soi, juste un indicateur parfois intéressant…

6.      Un article au moins fait défaut à ce consensus : les propos tenus n’engagent que l’auteur mais je crois bon de le mentionner : oudeis, http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=48128.

7.   Merci à LOXIAS pour son exposé « accessible »…sans jeux de mots ! J’ai hâte que tu publies…en attendant, merci de me laisser rendre public un résumé de tes « recherches » !

 « Le principe de base n’est pas très compliqué : un système quelconque, comme une entreprise ou une société, consomme certaines ressources (x) pour en produire d’autres (y). Le capitalisme classique repose sur un déséquilibre x<y tel que le système produit un excédent de ressources convertissable en richesses. Or le libéralisme actuel consiste à faire tendre x vers son minimum possible. Sauf qu’au bout d’un moment, le risque est de faire s’écrouler le système (…). Une exploitation intelligente consisterait à respecter des paramètres de stabilité et de pérennité : on ne peut imposer à un système n’importe quel rythme, n’importe quel rendement. Le plus important est de définir les limites réelles du système, sachant que les éléments qui le compose sont des humains qui ont, en tant que tels, des besoins qui échappent aux nécessités économiques. Un salarié fier et bien dans son entreprise travaillerait certainement mieux que celui qui la subit. La morale n’a rien à voir avec ces considérations : le tout est de savoir si les richesses doivent profiter à ceux qui les produisent et à leur entreprise ou à un groupe de financiers.»