Avec le rachat d’Arcelor par le maître de l’acier Lakshmi Mittal, le premier groupe sidérurgique mondial avait fière allure et de sacrées perspectives de développement nous disait-on.
Mais au lendemain de l’annonce des 1.400 suppressions d’emplois en France, 6000 en Europe, 9000 dans le monde, c'est le désenchantement qui domine, voire une drôle d'impression de s'être fait rouler dans la farine.


Les syndicats s'inquiètent, ils sont bien les seuls tandis que la crise économique et financière deviendrait presqu'un bouc émissaire que cela ne nous étonnerait pas.
Car déjà un an après le rachat d'Arcelor par Mittal Steel, le groupe annonçait de bonnes perspectives pour 2008. Le 13 février, il faisait état d'un bénéfice net record de 10, 36 milliards de dollars (7,5 milliards d'euros), en progression de 30 % sur un an. Le chiffre d'affaires était également en net progrès : + 18,8 %, à 105,2 milliards de dollars (soit 72,36 milliards d'euros). Le groupe né du rachat de l'européen Arcelor par l'indien Mittal Steel pouvait alors se targuer d' un résultat brut d'exploitation de… 19,4 milliards de dollars (+ 27 %), mieux que toutes les prévisions.
C'était l'époque également où le groupe indien annonçait la réduction de 600 emplois dans son usine de Gandrange (Moselle). Dans le même temps toujours, Lakshmi Mittal, le Pdg d’ArcelorMittal, qui détient avec sa famille plus de 43% du capital du groupe confiait à plusieurs banques un mandat pour acquérir à son nom pour… 500 millions d’euros d’actions, soit un peu plus de dix millions de titres et 0,8% du capital…
C'est donc un doux euphémisme que d'évoquer l'incompréhension des 28.000 salariés français encouragés à quitter d'ici 2009 le groupe. Essentiellement dans les fonctions support fortes de 5.600 personnes, qui se verront donc amputer du quart de leur effectif.
Comme on ne prête qu'aux riches, ces mêmes salariés sur la sellette ont pu entendre leur PDG garantir que les dividendes versés aux actionnaires seraient les mêmes en 2008 qu’en 2007, soit un montant d’environ 4 milliards de dollars.
Voilà qui relativise quelque peu l'enthousiasme de certains à l'issue de l'assaut de Mittal sur Arcelor "C'est un atout pour l'Europe industrielle que d'abriter le siège et l'essentiel de l'outil de ce nouveau leader" se complaisait Yves de Kerdrel, éditorialiste du Figaro en 2006. Un visionnaire de plus. Car il n'était pas le seul. François Pinault, le fondateur de PPR, fut ainsi un des premiers à apporter son soutien. L’entrepreneur français est ainsi entré en mai 2006 au conseil d’administration de Mittal Steel en pleine bataille boursière sur Arcelor. "J’ai été choqué par l’attitude raciste de la France à l’égard de Lakshmi Mittal", témoignait le bon François dont on attend impatiemment la réaction au démantèlement progressif et appliqué de notre outil de production par son protégé.
Mais à l'époque il était de bon ton d'apprécier cet homme d'affaires à succès qui n'hésitait pas à marteler qu'il n'y aurait « pas de restructuration, pas de suppression d'emplois, pas de fermetures d'usine ».
« Mittal Steel mesure l’importance que la Lorraine attache à l’industrie sidérurgique. Aucune suppression d’emplois n’aura lieu en Lorraine. Le groupe continuera à investir dans la recherche et le développement. » juin 2006.
La direction d'ArcelorMittal devait pourtant confirmer le 4 avril 2008 à Luxembourg la fermeture partielle et la suppression de 575 emplois à l'aciérie de Gandrange en Moselle. Une aciérie achetait en 1999 au prix redoutable d'un euro.
Droit dans leurs bottes, nos politiques en appelait alors à la Patrie en danger :
Nicolas Sarkozy himself assurait que l'Etat était "prêt à prendre en charge tout ou partie des investissements nécessaires (…) quel que soit le propriétaire, car notre objectif c'est de garder des usines ouvertes en France (…) Soit nous arrivons à convaincre Lakshmi Mittal, le patron d'ArcelorMittal, et nous investirons avec lui, soit nous trouvons un repreneur, et nous investirons avec lui".
Son fidèle sergent, François Fillon en remettait une couche devant micros et caméras, arguant que le gouvernement français "ne se résigne pas" au projet de supprimer quelque 600 emplois dans une usine de l'aciériste ArcelorMittal en Moselle. C'était le vendredi 25 janvier, lors d'une visite à Luxembourg,"toutes les solutions sont possibles" prédisait il, visionnaire aussi. Un an plus tard, il n'en demeurera qu'une : la suppression des 600 postes, sans fleurs ni couronnes, encore moins de caméras et de micros.
"Mon idée, c'est qu'on essaie de faire avec vous ce qu'on a fait avec Alstom", avait expliqué le chef de l'Etat en visite sur le site de Moselle au lendemain de son médiatique mariage. En France, c'est ainsi, on n'a plus de métal mais on a des idées…
Aujourd'hui, le porte-parole du groupe peut tranquillement affirmer "On ne peut pas envisager de priver les actionnaires de dividende" tout en assurant priver 9000 personnes de leur travail, ainsi va le monde industriel d'aujourd'hui même quand il exploite de vieilles techniques et recettes.
D'ailleurs Mittal durement frappé par la crise n'en perd pas pour autant le Nord, enfin surtout l'Est puisqu'un nouveau laminoir à barres, un des plus perfectionnés d'Europe, a été inauguré le 18 septembre 2008 à Varsovie. Il représente un investissement de 80 millions d'euros. Mittal a déjà investi plus de 920 millions d'euros dont un laminoir à chaud, une coulée continue, une ligne de revêtement et la modernisation d'un train à fil.
Comme quoi quand il veut…
Alors bien sûr, les pointilleux me rappelleront que les indiens avaient pris des engagements de ne pas faire de plan social jusqu’à… fin 2008. Et qu'il faut bien reconnaître que les suppressions d’emplois auront lieu à compter de … 2009 », mais cela ne change pas grand chose au problème !

Reste à s'interroger sur le double je des politiques, Sarkozy n'étant jamais revenu à Gandrange malgré ses promesses tout en s'affichant par ailleurs dans d'autres sites du Groupe. Mieux, en octobre 2007, le milliardaire indien Lakshmi Mittal, ne réunissait il pas l'ancien et l'actuel président de la République autour d'un bronze cachemiri datant de plus de 1000 ans. La rencontre se tenait au musée Guimet, dans le XVIème arrondissement. Le mécène séduisait ses hôtes… pourquoi changerait il donc d'opinion à son égard pour quelques suppressions d'emplois conjoncturelles ?
Le mot de la fin aux salariés : « Lakshmi Mittal n’a pas tenu sa promesse de ne pas toucher aux effectifs d’Arcelor Mittal », lancent plusieurs sidérurgistes. Mais ils ne sont pas mosellans, ils travaillent à l’usine d’El Hadjar, en Algérie, elle aussi touchée par le plan de restructuration.
Le mot de la fin ne reviendra pas aux trente-six ouvriers kazakhs morts dans des mines appartenant à ArcelorMittal depuis le début de l'année. Malgré ses déclarations de principes, le roi de l'acier n'a pas amélioré la sécurité de ses installations.
"La puissance ne se montre que si l'on en use avec injustice", en ces temps incertains, force est de constater que les grands groupes, financiers, commerciaux ou industriels ne manquent pas d'imposer leur puissance et qu'ils pourraient bien profiter des crises à venir pour frapper encore plus sans discernement ni cohérence. Qui les en empêchera ?