La nouvelle a éclaté comme un coup de tonnerre annonçant un violent orage en plein mois d’août (on rigole) : Renaud Dutreil quitte la vie politique. Ancien ministre des gouvernements Raffarin puis Villepin, ancien député de l’Aisne et candidat malheureux à la mairie de Reims, il restera pour l’éternité l’auteur de ce remarquable discours, prononcé le 20 octobre 2004 (et rapporté par Charlie Hebdo) devant la Fondation Concorde, cercle de réflexion proche de l’UMP : "Les retraités de la fonction publique ne rendent plus de services à la nation. Ces gens-là sont inutiles, mais continuent de peser très lourdement. La pension d’un retraité, c’est presque 75% du coût d’un fonctionnaire présent. Il faudra résoudre ce problème. (…) À l’heure actuelle, nous sommes un peu méchants avec les fonctionnaires. Leur pouvoir d’achat a perdu 4,5% depuis 2000. Comme tous les hommes politiques de droite, j’étais impressionné par l’adversaire. Mais je pense que nous surestimions considérablement cette force de résistance. (…) Le problème que nous avons en France, c’est que les gens sont contents des services publics. L’hôpital fonctionne bien, l’école fonctionne bien, la police fonctionne bien. Alors il faut tenir un discours, expliquer que nous sommes à deux doigts d’une crise majeure". Quel bonheur d’entendre un homme de droite quand il avoue ce qu’il pense vraiment : il faut baisser les pensions des fonctionnaires retraités qui "ne rendent plus de services à la nation" et "sont inutiles" – il rejoint le vice-président du Comité national d’éthique qui entend trier les malades entre "rentables" et "non-rentables" – et pour casser le service public dont les Français sont contents, il faut leur faire peur !

Mais l’histoire ne retiendra pas seulement cette sortie sur les fonctionnaires. Car Renaud Dutreil, qui annonce qu’il s’en va diriger la filiale new-yorkaise du groupe LVMH, a déjà fait baronla preuve d’un remarquable sens des affaires. Pour bien comprendre l’histoire, il faut savoir qu’il est l’époux de Christine Dutreil, ancienne directrice de la communication du MEDEF, à l’époque où le syndicat patronal était dirigé par Ernest-Antoine Seillière. Lorsque Laurence Parisot l’y remplace, le baron emmène sa collaboratrice dans ses bagages : la voilà Dir Com chez Wendel. C’est là qu’il nous faut citer le contenu explosif d’un article du Monde paru le 30 avril 2008 : "Le 29 mai 2007 restera marqué d’une pierre blanche pour le "management", l’équipe de direction de Wendel. Ce jour-là, les actionnaires ont offert à quelques-uns de leurs cadres d’acheter près de 5 % du capital du groupe, ce qui représente une somme colossale, 324 millions d’euros en actions, à se partager à quinze. Le prix à payer était modeste : pour acquérir ces 5 %, il n’y avait à débourser que 83 millions. Le management est même parvenu à n’en sortir que moins de la moitié de sa poche. C’est grâce à un montage juridique et fiscal infiniment complexe, pensé avec les plus grands cabinets d’affaires, que l’équipe dirigeante de Wendel, qui passe pour l’une des meilleures de la place, a réussi à obtenir ces 324 millions d’euros. (…) Presque tous les éléments du dispositif sont très légalement accessibles auprès du tribunal de commerce, mais le montage, d’un formalisme parfait, est ardu, et s’y retrouver tient d’une véritable aventure, financière et fiscale. Chaque étape s’inscrit dans un cadre légal, mais l’ensemble pose pour le moins des questions éthiques. Trois dirigeants se sont taillés la part du lion. Ernest-Antoine Seillière d’abord, le président du conseil de surveillance de Wendel, a reçu pour 79 millions d’euros de titres." Bon. Mais Christine dans tout ça ?

chris dutreilLe Monde encore, même date : "Christine Dutreil, la directrice de la communication du groupe Wendel, a, comme d’autres cadres, été directement intéressée dans le montage de mai 2007. Elle a reçu 8 millions d’euros en actions, et a mis en place un dispositif fiscal semblable à celui des autres membres de la direction. Mme Dutreil a créé le 26 mars 2007 une société civile, Harcelor, avec son mari Renaud Dutreil, alors ministre des PME, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales du gouvernement Villepin. Les époux Dutreil, mariés sous le régime de la communauté de biens, apportent chacun 500 euros à Harcelor, domiciliée chez eux. Un mois plus tard, le 24 avril 2007, ils fondent une seconde société, baptisée Gatsby, clin d’oeil à Gatsby le Magnifique, le célèbre roman de Francis Scott Fitzgerald. Le capital de la société civile est de 3 000 euros (…). Les époux versent chacun 1 499 euros ; leur société Harcelor 2 euros. Christine Dutreil est gérante de Gatsby, domiciliée à la même adresse. Le 3 mai 2007, la Compagnie de l’Audon, qui détient les 324 millions d’euros destinés au management du groupe Wendel, autorise ses associés à vendre leurs parts aux petites sociétés qu’ils ont créées. Mme Dutreil possède 419 712 actions de la Compagnie de l’Audon, achetées 1 euro chacune à partir de décembre 2004. Elle en vend 385 800 à sa société Harcelor, à un prix modeste : 23 388 euros, soit 6 centimes l’unité – les cessions d’actions sont en effet imposées. Le même jour, la société Gatsby reçoit les 385 800 actions que lui apporte Harcelor, et 33 912 autres actions qui restaient à Mme Dutreil. La valeur du titre, fixée par la Compagnie de l’Audon, est cette fois de 19,17 euros : le portefeuille des Dutreil chez Gatsby vaut ainsi 8 047 490 euros. Mais il ne s’agit encore que d’actions de la Compagnie de l’Audon, invendables sur le marché. C’est réglé le 29 mai : la Compagnie rachète ses propres actions à ses associés, dont Mme Dutreil, avec des titres Wendel Investissement, cotés sur le marché. La Compagnie les a vendues et rachetées à Mme Dutreil au même prix : pas de plus-value, donc pas d’impôt. Gatsby vaut alors 8 millions d’euros, dont la moitié appartient de facto à l’ex-ministre. Mme Dutreil, interrogée par Le Monde, a indiqué que ces informations relevaient de sa vie privée. Renaud Dutreil n’a pas souhaité répondre à nos questions." Du grand art, d’autant que, comme le relève L’Humanité, "l’ancien ministre et son épouse Christine Dutreil, directrice de communication du groupe Wendel, sont parvenus au terme d’une opération relativement complexe mais légale, à transformer leurs 419 712 euros d’actions dans une filiale du groupe, en 8 047 490 euros sans rien devoir au fisc. Cette opération devant beaucoup, pour se réaliser, à une loi de 2003 sur l’ISF appelée « loi Dutreil »."

Concluons sur ces belles paroles, prononcées par Renaud Dutreil interrogé sur les patrons voyous (ici en vidéo) : "on a certains managers qui exagèrent, donc qui créent une très mauvaise image de l’entreprise. C’est le cas lorsqu’ils se sucrent excessivement, avec des golden parachutes, des stock options et un enrichissement sans cause". On note que, sans doute frappé par l’hypocrisie de son propos, Dutreil avale à ce moment-là sa salive à grand peine. Puis il poursuit : "Il faut que les Français comprennent que nous, on n’est pas là pour faire l’apologie, la défense du capitalisme dans ses excès, dans ses dérives, dans tout ce qu’il a d’injuste et de provocateur. En revanche, on est là pour soutenir ceux qui travaillent 50 heures par semaine, qui créent de la richesse, qui prennent des risques". Voilà résumée toute l’essence de la droite : "faites ce que je dis, pas ce que je fais, trimez comme des bêtes, nous et nos amis les grands patrons nous en mettons plein les fouilles sans rien foutre". Renaud Dutreil quitte donc la politique ? Dommage, il nous manquera !

dutreil compte

 

 

 

 

 

"…Six, sept et huit : huit millions, le compte est bon !