Après avoir évoqué, dans un précédent article, la marche à suivre pour obtenir l'agrément, quelques chiffres nous permettront de mesurer toute la difficulté dès cette première étape. Précisons que certains départements (ce n'est pas le cas partout) organisent d'abord, avant toute autre démarche, une réunion d'information à l'intention de tous ceux qui font une demande d'agrément. Nous allons voir, dans le tableau ci-dessous, que cette réunion est loin d'être inutile, qui nous fait toucher du doigt la réalité de l'adoption.
Les quatre colonnes indiquent, dans l'ordre, le département, le nombre de demandes déposées au cours de l'année 2006, le nombre d'abandons, pour la même année, suite à cette première réunion, et le nombre d'abandon au cours de la procédure d'investigation (donc avant même d'avoir obtenu, ou non, l'agrément) :
AIN 150 41 16
B. du RHONE 455 98 83
GIRONDE 255 116 35
ISERE 218 26 39
MOSELLE 128 60 8
HAUTS de SEINE 598 216 14
Suite aux procédures d'investigation, et suivant les départements, ce sont encore entre 0 et 35 % d'agréments qui seront refusés. Pour cette même année 2006, nous avons, par exemple, pour la France (DOM compris) 12 608 demandes et 8 783 ont obtenu l'agrément. La décision de rejet doit être motivée. Mais elle peut faire l'objet d'un recours gracieux ou contentieux auprès du Tribunal Administratif dans un délai de deux mois. Suite à un rejet, il n'est possible de présenter une nouvelle demande que passé un délai de trente mois. Le rejet, comme l'agrément, ont une valeur nationale.
Mais soyons optimistes, et supposons que nous avons obtenu l'agrément. Celui-ci a une validité de cinq ans, à condition, toutefois, de confirmer son projet d'adoption chaque année auprès du Président de Conseil Général. A partir de là, trois voies s'ouvrent actuellement au postulant :
– Une démarche accompagnée par un OAA (organisme privé autorisé pour l'adoption) qui vous accompagne en prenant en charge toute la suite de la procédure. En France, il en existe une quarantaine (www.diplomatie.gouv.fr/fr/les-français-etrangers_1296/conseils-aux-familles_3104/a )
– Une démarche strictement individuelle, c'est-à-dire que le postulant (couple ou célibataire) se tourne directement vers les pays d'origine qui l'autorisent (ce qui n'est pas possible avec les pays ayant ratifié la Convention de la Haye de 1993 – www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.text&cid=69
www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.status&cid=69 )
– Une démarche individuelle, mais en lien avec l'AFA (Agence Française de l'Adoption) qui vous aidera et vous accompagnera dans votre procédure individuelle. Inaugurée en 2006, c'est un organisme sous tutelle de l'Etat.
Mais avant d'opter pour un chemin ou un autre, il est important de connaître d'abord le contexte actuel de l'adoption, tant nationale qu'internationale. …/…
Petit rappel historique de l'adoption en France : L'adoption des enfants n'est légale en France que depuis une loi du 19 Juin 1923, quand il fallut se préoccuper des enfants de ceux qui étaient tombés à Verdun ou sur d'autre champs de bataille. Ensuite, c'est le code de la famille, le 29 Juillet 1939, qui créé l'adoption moderne telle que nous la connaissons aujourd'hui, suivie par la grande loi de réforme du 11 Juillet 1966.
Si les chiffres de l'adoption ont été crescendo pendant un certain nombre d'années, le paysage aujourd'hui a changé et il y aurait de moins en moins d'enfants adoptables dans le monde. Tout d'abord, le nombre d'orphelins diminue : selon le journal "La Croix", ils ne représentent qu'environ 15 % du total des enfants adoptés. Les autres ont au moins un parent, une famille ou un tuteur, même s'ils sont placés dans une crèche ou un orphelinat. Dans des pays en guerre, des enfants se retrouvent arrachés à leur famille, abandonnés… Cela ne fait pas d'eux, automatiquement, des orphelins. Tout doit d'abord être tenté pour retrouver leur famille. En outre, des pays comme la Chine, l'Inde, le Brésil, qui ont connu une croissance rapide ces dernières années, ont vu se développer une classe moyenne qui est aujourd'hui en mesure d'adopter ces enfants au niveau national. La France elle-même a été confrontée à cette situation. Alors qu'en 1900, avec 22 millions d'habitants, 150 000 étaient pupilles de la nation, aujourd'hui, avec 64 millions d'habitants, nous n'avons plus qu'environ 3 300 pupilles. Comment ne pas souhaiter que ce que notre pays a connu, d'autres le connaissent aussi ? D'après l'UNICEF, il y aurait dans le monde 50 demandeurs pour un enfant disponible, et l'écart s'accentue chaque année. Devons-nous considérer cela comme une catastrophe nationale ? Evidemment, ceux qui sont en attente d'un enfant ont du mal à entendre cela. Et on peut comprendre leur souffrance. Parfois, il y a même un acharnement adoptif de la même façon qu'il y a un acharnement procréatique… D'où certaines dérives…
– Au début des années 1990, des familles en attente d'adoption se sont précipitées en Roumanie après la chute de Ceausescu, pour y adopter des enfants placés dans des orphelinats, mais qui n'étaient pas nécessairement des orphelins. C'était un véritable marché aux enfants, choisis par certains en fonction de l'âge, la taille, la couleur des yeux… On a même vu des parents ramener des enfants après quelques semaines parce que quelque chose n'allait pas. Il y avait en quelque sorte un défaut de fabrication… (www.causeur.fr/rony-brauman )
– Août 2001 : en Espagne, une jeune mère Bolivienne vend ses deux jumeaux pour 2 400 euros à un couple basque, avant de changer d'avis et de dénoncer la transaction.
– En Ukraine, début 2003, ouverture d'une enquête après la disparition de documents concernant 4 000 des 8 400 enfants adoptés par des étrangers de 1997 à 2003. En 2002, deux bébés enlevés à leurs mères après l'accouchement.
– En Juillet 2004 : trafic de ventes de bébés bulgares en Seine-Saint-Denis
– Août 2004 : au Portugal, vente par deux femmes bulgares de leur bébé, pour un montant de 10 000 euros.
– Avril 2005, jugement de deux couples Français dont les femmes avaient acheté en Décembre 2000 un nouveau-né au Maroc.
– Madagascar, fin Juillet 2005 : démantèlement d'un réseau de trafic d'enfants par la police Malgache. Arrestation d'une Française qui hébergeait huit enfants en bas-âge sans papiers, ainsi que de deux directrices de centres pourtant agréés pour l'adoption internationale.
– Vietnam, Août 2002 : condamnation de huit Vietnamiens, dont un officier de police, pour avoir participer à un trafic de 36 nouveaux-nés, revendus de 300 à 500 dollars à des couples Français.
http://archquo.nouvelobs.com/cgi/articles?ad=societe/20051019.OBS2774.html&host
– Vietnam, Avril 1999 : les familles Françaises recueillaient près de la moitié des petits vietnamiens adoptés par des étrangers, mais en Avril 1999, Paris a suspendu les adoptions. L'adoption était devenu un business nauséabond : faux documents, rapts, mensonges aux parents, tarifs exorbitants (jusqu'à 10 000 dollars par enfant) Depuis 2002, la France a signé une convention avec le vietnam, et les adoptions ont repris. (www.vninfos.com/archives/cultsoc_-_no_17.html )
– Haïti : Selon l'Institut gouvernemental Haïtien chargé de l'aide social, qui supervise notamment les procédures d'adoption, "beaucoup de centres d'accueil sont impliqués dans le trafic d'enfants en vue de leur adoption à l'étranger" mais les autorités Haïtiennes indiquent manquer de moyens pour mener des enquêtes et fermer les établissements impliqués (www.pyepimanla.com/dec_jan_07/accueil/aout/article/Trafic-a-l-adoption-a-Ha )
Voir aussi sur www.evene.fr/livres/livre/celine-giraud-et-emilie-trevert-j-ai-ete-volee-a-mes-parents
Et ce ne sont que quelques exemples…
D'autre part, s'agissant de l'adoption internationale, les normes concernant l'adoption ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Les législations des Etats sont plus ou moins favorables à l'adoption. Il y a donc parfois "conflit" de lois entre deux Etats. La Convention de la Haye du 29 Mai 1993 a justement pour but d'instituer une coopération entre les Etats signataires, ainsi qu'une harmonisation des lois et des décisions. Surtout, les Etats qui ont ratifié cette convention ont l'obligation de privilégier l'accueil des enfants adoptables par des compatriotes, afin de ne pas les déraciner. De plus, pour enrayer ces trafics, bien des pays ont durci leur législation, et les critères ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre. Par exemple, si les célibataires comme les couples peuvent adopter en Bulgarie, ce n'est pas le cas au Burkina Faso, au Cambodge ou en Chine, où il n'est pas proposé d'enfant aux célibataires. Au Cambodge, il faut disposer d'un revenu mensuel net de 3 000.00 euros. En Chine, il faut, entre autre, que le couple ait au minimum 2 ans de mariage, qu'il n'ait ni maladie ni handicap sérieux, que les deux parents soient diplômés, travaillent tous les deux et disposent d'un revenu minimum de 30 000.00 euros annuels (20 000.00 pour le couple + 10 000.00 pour l'enfant à venir + 10 000.00 par enfant supplémentaire). Il faut également qu'il soit propriétaire d'un bien immobilier d'une valeur minimum de 80 000.00 dollars.
En Inde, en Lettonie ou en Lituanie, les propositions d'enfants à l'adoption internationale concernent principalement des enfants à "particularités", c'est-à-dire âgés de plus de 6 ans ou présentant des handicaps ou problèmes de santé plus ou moins lourd, ou des fratries.
Le Népal n'a pas encore ratifié la Convention de la Haye, et l'AFA n'est pas encore accréditée en tant qu'intermédiaire.
En Roumanie, l'adoption n'est plus réservée qu'aux seuls cas où un lien de parenté existe entre l'adoptant et l'adopté. Les familles qui avaient déposé des dossiers dans ce pays avant la fermeture à l'adoption internationale, en Juin 2001, et qui étaient sur le point d'adopter des enfants qu'elles avaient déjà rencontrés, sont invitées à orienter leur projet vers un autre pays.
Le Tchad n'a pas non plus ratifié la Convention de la Haye, et ni l'AFA ni aucune OAA ne sont habilitées à intervenir. Seules, les démarches strictement individuelles sont possibles (A la lumière de ces précisions, on comprend mieux l'action de l'Arche de Zoé)
( www.agence.adoption.fr/home/spip.php?article )
Mais ces dispositions sont loin d'être suffisantes. Dans un tel contexte, même les organismes officiels ne sont pas à l'abri d'un dérapage. Et puis, tous les pays n'ont pas ratifié la Convention de la Haye 1993. Et les trafics se déplacent aujourd'hui vers ces pays qui acceptent les procédures individuelles.
La complexité du système, les délais d'attente (actuellement 5 ans pour la Chine)et les perspectives de résultats aléatoires font que 50% des postulants qui ont pourtant eu l'agrément se découragent et renoncent.
Le mot "aventure", dans mon précédent article, n'était donc pas inapproprié. Il est vrai que le tableau, vu sous ces angles-là, parait bien noir. J'ai volontairement voulu aborder tous ces aspectes, parce que, dans l'imaginaire collectif, adopter un enfant tient plutôt du conte de fée, et qu'en tant qu'adultes responsables, nous ne devons pas nous voiler la face. Non, le monde n'est pas le Pays des Merveilles d'Alice. Et tout l'amour que nous sommes capables de donner à un enfant ne doit pas nous faire oublier cette réalité. Bien au contraire.
Il reste que, si effectivement le nombre d'enfants ayant besoin d'être adoptés en dehors de leur pays (en espérant que les statistiques ne soient pas faussées) a diminué, on ne peut que s'en réjouir, n'est-ce pas ? Les chiffres de l'année 2006 indiquent pour la France (y compris les DOM) 12 608 demandes, 8 783 agréments et 3 977 adoptions.
Il reste que, également, les quelques études effectuées montrent que la majorité des enfants adoptés réussit tout aussi bien que les autres, tant dans leur scolarité que plus tard, dans la vie sociale.
Souhaitons donc bonne chance et bon courage à tous ceux qui ont entrepris cette belle aventure.
Bravo pour cet article factuel
Les chiffres parlent d’eux même, 31% d’adoption. Ensuite il faudrait pouvoir avoir les chiffres des parents qui abandonnent leur enfant adopté, pour faire encore diminuer la statistique. Je suis toujours à la recherche de cette info introuvable.
Et pourtant tant d’enfants adoptables restent dans les orphelinats, car ils sont trop grands, ou ce sont des fratries. Ceux qu’on appelle les enfants à particularité.
Bonjour Thiery et merci pour votre intérêt.
Il semble qu’environ 15% de ceux qui sont adoptés rencontrent des problèmes (temporaires ou définitifs ?) et se retrouvent à nouveau placés dans des foyers, ou même parfois en hôpital psychiatrique (http://abandon-adoption.hautefort.com/archive/2005/12/04/enfants-adoptes-l-envers )
Je ne l’ai pas précisé parce que, pour être équitable, il faudrait pouvoir comparer ces chiffres avec ceux concernant les enfants biologiques, qui eux aussi rencontrent des problèmes…
Le blog http://lavoixdesadoptes.blog4ever.com/blog/lirarticle-2995-9051.html nous apportent aussi différents témoignages d’enfants adoptés et de parents…
C’est vrai que, même à l’international, ce sont de plus en plus souvent des enfants plus grands, des fratries… qui sont proposés à l’adoption. Mais certains parents sont fixés sur l’image du nourrisson. Et il faut bien dire que les opérations médiatiques des stars posent parfois un problème d’éthique…
L’adoption
C’est un sujet à mon avis trop compliqué pour qu’on puisse avoir une opinion tranchée.
La priorité est le bonheur de l’enfant qui n’est pas un produit comme certains ont l’air de le croire.
Mais nous avons dans notre entourage plusieurs couples n’ayant eu la chance d’avoir d’enfant. Leur souffrance est énorme. Il faut aussi en tenu compte.
Mais un enfant ne doit pas être une marchandise ni un caprice.