Le lundi 24 mars 2008, Monsieur Yoshimi Watanabe, misistre japonais des Services Financiers a invité les Etats-Unis dans une interview donnée au Financial Times à intervernir pour résoudre la sévère crise financière mondiale actuellement en cours. Monsieur Watanabe a notamment déclaré en substance que le gouvernement américain devrait injecter des fonds publics dans le système pour éviter une crise financière systémique sans précédent. On peut bien sûr s'interroger : pourquoi le Japon se permet-il de tels conseils, presque impérieux, à l'Amérique ? Cette intervention de Monsieur Watanabe dans la politique intérieure américaine, sous forme de conseils, mérite quelques explications.

Une situation mondiale déséquilibrée

Rappelons d'abord la situation générale. L'Amérique a vécu à crédit pendant des années, générant une bulle financière considérable, qui a elle-même permis un cercle vertueux de l'économie mondiale : les crédits accordés très généreusement ont nourri la croissance mondiale par la consommation et les investissement qu'ils ont généré. Insistons sur ce point : les crédits américains ont nourri la croissance mondiale, et pas seulement américaine, car la machine à consommer américaine a fait venir de l'étranger une part considérable de ce qu'elle a consommé. Parallèlement à l'essor de cette bulle financière monumentale, les déficits commerciaux de l'Amérique face au reste du monde se sont creusés inexorablement. Le Japon qui a fondé son économie sur les exportations, et notamment sur les exportations vers les Etats-Unis, a très fortement profité de cette soif de consommation américaine. Pour rester compétitif, le Japon a d'ailleurs utilisé le marché des changes en sa faveur en maintenant le Yen à des taux artificiellement bas sur les marchés des changes. Il est tout à fait certain que sans intervention de l'Etat japonais, avec le libre jeu du marché des changes, le yen devrait être à un niveau bien plus élevé, ce qui pénaliserait naturellement les exportations japonaises vers le reste du monde.

Le Japon et l'Amérique : la cigale et la fourmi

Si l'on doit résumer la relation entre l'Amérique et le Japon au cours des 25 dernières années, on peut utiliser une métaphore tirée d'une fable de La Fontaine : l'Amérique a été la cigale pendant des années, et le Japon, c'est la fourmi de la fable. Les américains ont vécu à crédit, ont fait travailler les étrangers, et ont consommé sans retenue. Au contraire les Japonais ont travaillé, produit, exporté et accumulé des réserves considérables. Quand on parle de réserves, il s'agit bien entendu de réserves de change. Le Japon est le premier détenteur de Bons du Trésor Américains; depuis février dernier les réserves de changes du Japon ont dépassé pour la première fois de l'histoire les 1.000 milliards de dollars. Le Japon et l'Amérique ont donc des relations financières très imbriquées : à chaque fois que le dollar se déprécie, la banque centrale japonaise perd des milliards de dollars. On comprend donc la nervosité de monsieur Watanabe qui ne souhaite à aucun prix un effondrement du dollar, qui signifierait la dépréciation instantannée de ces énormes réserves financières en plus de la ruine économique de pans entiers de l'économie japonaise.

Les relations sino-américaines : le piège complexe

Le Japon est pris dans un piège : son économie est fondée sur la consommation des étrangers et en particulier des consommateurs américains. Il faut que ceux-ci continuent à consommer sous peine de provoquer une crise économique au Japon. Pour que les américains consomment, il leur faut du crédit, mais la baisse des taux d'intérêts provoque l'inflation (hausse du nombre de crédits) ainsi qu'une fuite des capitaux qui se dirigent vers des cieux plus cléments. Le Japon a donc des exigences assez contradictoire vis-à-vis de l'Amérique : il faut à tout prix éviter un crack boursier mondial qui provoquerait la ruine du Japon aussi bien que celle de l'Amérique. Le Japon est donc contraint de soutenir le dollar. D'un autre côté, le vertueux Japon qui ne parvient pas à consommer tout ce qu'il produit voit d'un mauvais oeil les crédits accordés aux américains en dépit du bon sens.

Réparer « le trou dans la baignoire »

Monieur Watanabe emploie une métaphore à propos de la baisse du dollar très préjudiciable pour le Japon : il dit qu'il faut réparer le « trou dans la baignoire »; ce trou dans la baignoire symbolise fuite des liquités libellées en dollars. Le Japon tente de freiner autant que possible cette fuite. "Une chose est de réparer le trou dans la baignoire", dit Monsieur Watanabe. Mais "nous devons admettre que cette crise n'est pas aussi simple que les crises du dollar antérieures", a-t-il ajouté. On comprend la nervosité japonaise. Les Japonais semblent accepter très difficilement que c'est à eux que va revenir la charge de payer les dettes de l'Amérique. Le Japon appelle donc l'Amérique à une intervention de l'Etat Américain qui doit empêcher les faillites de banques avec de l'argent public.

Il faut suivre le modèle japonais, qui, dans les années 90, a sauvé l'économie Japonaise grâce à des interventions résolues de l'Etat. Il semble bien en effet que c'est la seule solution possible; les marchés ne peuvent pas sortir seuls de la situation dans laquelle ils sont. La « main invisible du marché », qui, dans le modèle libéral, est censé rétablir les équilibres, n'est d'ailleurs qu'un leurre.

Seuls les Etats ont la capacité de résoudre le problème

On a pu avoir l'illusion, au cours des années 80 et 90 que le libéralisme agissait seul, en dehors des Etats. C'est tout à fait inexact. L'interventionnisme monétaire américain ou japonais au cours de ces périodes le prouve abondamment. L'utilisation des réserves de changes par la Chine ou les pays exportateurs de pétrole comme une arme politique face à l'Amérique le prouve également. Ne parlons pas des fonds souverains, qui ne sont qu'une manière pour les Etats d'intervenir dans l'économie de Nations étrangères, surtout pour en prendre le contrôle.

Oui, Monsieur Watanabe a raison : l'Etat Américain doit intervenir; mais il doit intervenir en concertation avec toutes les grandes puissances économiques de la planète. Il faut réduire les déséquilibres mondiaux dans lesquels le Japon a sa part. Il faut moraliser l'économie mondiale : en maintenant le Yen artificiellement bas pendant des années, le Japon a joué l'égoïsme National. Il ne doit pas se plaindre aujourd'hui d'avoir à en assumer les conséquences.