Lettre à mon  Père, Papa, je prends la plume pour te tenir au courant de tous les changements qui sont intervenus depuis ton départ. Si tu voyais ce qu’on a fait des paysans! et que dire de nos fermes !Quelques nouvelles de ces terres du Poitou que tu as défriché mètre par mètre avec maman: nous continuons de les cultiver, ça va, on survit.Tu fus un des tous premiers migrants dans les années 50 et tu pestais déjà à cette époque, contre les injustices, les prix bas et le système agricole .Beaucoup se souviennent encore de tes coups de gueule. Mais tu étais,  toujours le premier, quand il s’agissait d’aider un agriculteur en difficulté, nombreux sont ceux  venus te voir pour avoir conseils et soutien. En ces années là ; il suffisait de monter à la Chambre ou de prendre rendez-vous avec nos représentants et le dialogue s’installait. Maintenant, si tu voyais !Il n’y a pas seulement un ou plusieurs agriculteurs en difficulté, nous sommes tous en danger, notre survie ne tient qu’à un fil et dépend de cette maudite PAC !


Il est bien loin et pourtant si proche le temps du dialogue. Le dialogue! il n’existe plus, c’est un mot bannit à jamais du vocabulaire de nos têtes pensantes. Ils ont décidé d’agrandir nos frontières, pour avoir plus de poids face aux marchés américains, de tout centraliser par un pôle nommé Bruxelles. Tout est informatisé, comptabilisé, répertorié, contrôlé. Même nous, nous ne sommes plus des agriculteurs mais des numéros de pacage, de Siret ou d’élevage ! Nous n’avons plus d’identité, perdu aussi notre fierté, on nous a réduit au statut de serf de l’Europe. Pour survivre il nous faut plier, rentrer dans ce moule qu’ils appellent la PAC. Malheur à qui enfreint les donnes, les lois! Leurs lois!

Lois imbéciles, instaurées par des technocrates ou grattes papiers tout droit sortit des grandes écoles et ne connaissant rien à notre monde, ne sachant même pas ce qu’est le métier d’agriculteur. Pour eux 1 et 1 font 2, tout est mathématique, planifié. Dans leurs bureaux climatisés, ils ont oublié les aléas de la météo, les mauvaises récoltes, les soucis de rentrées d’argent, attendant patiemment leur salaire de fin de mois, tiré de notre sueur et notre travail. Ah, papa, j’oubliais il y a aussi des contrôleurs, afin de vérifier si nous respectons les règles de bonne conduite, car sais-tu, nous ne vivons plus de notre travail, mais de la mendicité de l’Europe. Malheur aux fraudeurs ils risquent de perdre leurs droits, leurs primes, leurs terres. (pour eux il n’y a pas d’erreur, mais fraude) Oui nous en sommes réduits au statut de chasseurs de primes, mais au dessus de nous, il y a des chasseurs de tête ! Même des contrôleurs qui contrôlent les autres. De quoi en perdre la tête. Au fait, nos vaches l’ont perdu, la tête, il paraît que certaines sont folles et on les abat! nos moutons et nos chèvres tremblent : Abattus eux aussi, quand à nous leurs maîtres je crois que c’est la rage que nous allons attraper !Tu trouveras sans doute mes propos bien amers, mais je ne peux rester sereine lorsque je vois une telle catastrophe. Notre beau et noble métier de nourrisseur et gardien de la terre a perdu toute sa dignité. Tous ces agriculteurs ruinés ou qui vont arrêter par découragement. Les jeunes n’osent plus reprendre la suite. Il paraît que nous produisons trop, alors que 25 000 personnes meurent chaque jour de faim. Nous essayons de nous mobiliser, mais nos rangs deviennent clairsemés, de peur de représailles sans doute, ou par fatalisme, et que faire et à qui s’adresser ? Avant nous avions un seul interlocuteur maintenant nous n’en