Début novembre 2007, la Société Générale est la première banque française à publier ses résultats. Elle dévoile un profit en baisse du fait de la crise des Subprime, qui l'a obligée à des dépréciations plus lourdes que prévues. La banque annonce un résultat net en repli de 11,5% au troisième trimestre. A l’époque, elle dit avoir passé 404 millions d'euros de dépréciations dans ses comptes du 3e trimestre, dont 230 millions au titre de son exposition aux Subprime. Un chiffre sans commune mesure avec les 10 milliards (environ) de dépréciations dévoilées au même moment par le groupe bancaire américain Citigroup (première groupe bancaire mondiale), mais qui est supérieur à celui annoncé par la banque française en septembre. Pour chiffrer son exposition aux Subprimes, la Société Générale a retenu l'hypothèse du scénario le plus pessimiste, correspondant à une perte d'environ 200 milliards de dollars pour l'ensemble du secteur immobilier résidentiel américain. Le reste des dépréciations est lié à la crise des marchés du crédit, qui a conduit la banque à reconsidérer son risque et inscrire des provisions de 98 millions d'euros sur son portefeuille de prêts de LBO (rachat par effet de levier) et de 76 millions sur ses activités d'incubation de hedge funds. Les analystes économiques accueillent avec soulagement ces résultats, le titre de la Générale bondit avant de baisser suite à des rumeurs sur la faillite d'un fonds non identifié. Toutefois, les analystes concluent que les réseaux France (Société Générale et Crédit du Nord) n'ont pas été affectés par l'environnement difficile des marchés financiers, mais ont bénéficié au contraire de la hausse des taux d'intérêt et de la volatilité boursière : La marge d'intérêt affichant une hausse de 3,5% et les commissions financières de 14,1%.
Deux mois et demi plus tard, le jeudi 24 janvier 2008, la Société générale révèle avoir été victime d'une fraude massive d'un montant de 4,9 milliards d'euros – un montant qui sera révisé à la baisse (4,8 milliards) par Daniel Bouton, son PDG, quelques jours plus tard – auxquels s'ajoutent 2 milliards de pertes liées à la crise des Subprimes, soit un total de 6,9 milliards. La fraude a été commise par un seul courtier qui n'a pas révélé à la hiérarchie de la banque des positions prises sur les marchés. Malgré cette perte colossale, le bénéfice net de la banque, l'une des trois principales banques françaises, sera positif en 2007, estimé entre 600 et 800 millions d'euros, soit environ 8 fois inférieur au résultat net de 5,221 milliards de 2006. La SG avec un CA (produit net bancaire) de 22,4 milliards d’euros et 29,1 milliards de capitaux propres au 31 décembre 2006, aurait pu connaître son « jeudi noir » sous forme d’un dépôt de bilan, si la position prise par le trader incriminé, soit 50 milliards, n’avait pas été débouclée à temps.
Une note explicative de la Société Générale du 27 janvier 2008, concernant la fraude exceptionnelle, décrit les activités d’arbitrage, le mode opératoire de la fraude, les conditions dans lesquelles la fraude a été découverte, le débouclage de la position frauduleuse et les actions immédiates engagées, tels qu’ils ont été investigués par Société Générale au 26 janvier 2008. Cette note précise que dans le cadre du développement de ses activités d’arbitrage, la Société Générale a mis en place un grand nombre de contrôles permettant de les encadrer et que la fraude exceptionnelle qui a touché la banque a consisté à détourner ces contrôles ou à les rendre inopérants par le biais d’opérations fictives enregistrées dans les systèmes de Société Générale ne correspondant à aucune réalité économique. Par ailleurs, ce document ajoute que le trader incriminé était salarié du Groupe depuis 2000 ; qu’il avait travaillé pendant 5 ans en tant qu’agent de différents middle-offices (l’un des départements qui contrôle les traders), et qu’il était devenu en 2005 trader dans la division en charge des arbitrages. Il s’occupait d’opérations sur les contrats à terme (Futures) sur indices européens, qui faisaient l’objet de contrôles quotidiens et notamment d’appels de marges avec les principales chambres de compensation. Le trader aurait fait croire que ses positions s’équilibraient grâce à des contreparties fictives, et grâce à son expérience des procédures en place.
Ces fraudes auraient été découvertes dès le vendredi 18 janvier : Une position anormalement élevée de risque de contrepartie sur un courtier avait été détectée dans les jours précédents. Le 19 janvier, le trader reconnaît avoir commis des irrégularités et, en particulier, avoir créé des opérations fictives. L’équipe d’investigation commence à détecter la position réelle. Le 20 janvier, l’ensemble des positions sont identifiées. Daniel Bouton avertit immédiatement le Gouverneur de la Banque de France. Le 21 janvier, on déboucle la position frauduleuse dans des conditions de marchés particulièrement défavorables (les marchés perdent 6,83%). Celle-ci sera définitivement fermée le 23 janvier. Le 24 janvier, avant l’ouverture des marchés, la Société Générale informe les marchés de la fraude et demande la suspension de son cours. Cette position s’élevait à environ 50 milliards d’euros de nominal équivalent.
Même si ces explications paraissent tout à fait plausibles, on peut s’interroger à partir d’autres éléments insignifiants mais étranges, relevés à la même période, ou d’expériences vécues quelques années auparavant. Tout d’abord, comment un jeune ayant seulement quelques années d’expérience et qui n’est pas un spécialiste de l’informatique, peut-il dissimuler des opérations fictives sans que son entourage certainement plus expérimenté que lui, et les procédures de contrôle mises en place ne détectent les « dérives ». Sur les marchés optionnels, il y a des appels de marge régulièrement pour couvrir les positions et éviter toute situation irréversible. Dans le cas de la Barings, c’était différent. Il y avait bien un compte fictif 88888, par lequel transitaient des opérations à terme, mais les appels de marge réclamés pour couvrir les positions sur le Nikkei étaient toujours honorés par des transferts de fonds du siège social au compte de la filiale de Singapour, car Nick Leeson trouvait toujours des justifications à ses engagements. Interrogé récemment sur l’affaire de la Générale, il a considéré que « l'ampleur de la fraude dépassait l'entendement. Les gens du règlement chez SocGen auraient dû se rendre compte que quelque chose n'allait pas ». Et il ajoute que ce genre de scandale est monnaie courante : « Je pense même que cela arrive tous les jours. Ils se font attraper rapidement et ils sont virés. Les banques n'en font pas la pub et tout le monde se remet au travail".Etudions justement le cas de la Barings » (l’Express.fr, 25/01/08). Si on en juge par le nombre de procès en cours aux Etats-Unis contre des courtiers véreux on ne peut que lui donner raison. En 2003, « Plus de 1.000 victimes et des millions de dollars de préjudice : 47 courtiers de Wall Street sur les marchés des changes de New York sont poursuivis pour « des actes criminels », a annoncé dans un communiqué le procureur du district sud de la ville, James Comey qui ajoute : « Il y a peut-être des activités légales, mais il y a beaucoup de requins dans ces eaux » (AFP, 19 novembre 2003). Voir aussi mon ouvrage « KRACH 2007 : la vague scélérate des subprimes », Le Manuscrit, novemvre 2007.
Des similitudes existent bien évidemment entre « l’affaire » de la Générale et la Barings. Après 233 années d’existence en février 1995, la banque Barings, qui comptait la reine Elisabeth parmi ses clients, a fait faillite, puis a été acquise par le groupe bancaire hollandais ING pour une livre sterling symbolique. Un courtier dénommé Nick Leeson, âgé de 28 ans, a fait perdre à la Barings la somme de 1.3 milliards de dollars dans des activités de trading sur produits dérivés. Leeson, petit courtier britannique, avait fait le pari que le marché des actions japonaises allait progresser (Jérôme Kerviel, 31 ans, pensait que ce seraient les marchés européens). Nick Leeson a spéculé sur la hausse de l’indice Nikkei de la Bourse japonaise. Si la Bourse avait progressé, il aurait reçu de l’argent au fur et à mesure que la Bourse progressait sous la forme d’appels de marges (appels d’écart). Malheureusement pour lui, le Nikkei a baissé. Dès lors, il lui fallait débourser quotidiennement des sommes de plus en plus importantes correspondant à des appels de marges proportionnels à la régression de l’indice de la Bourse japonaise.
Afin de payer une partie de ces sommes, il a du faire appel à la société mère. Pour le solde, il a vendu des options et là encore il a fait fausse route. Les pertes se sont cumulées avec les précédentes atteignant un niveau tel qu’il ne lui était plus possible de trouver de financements supplémentaires. Leeson s’est alors enfui pour devenir ensuite l’homme le plus recherché du monde. Comme nous l’avons vu précédemment à propos des traders, les sommes grimpent vite car avec ce genre de produits on peut prendre des positions jusqu’à 200 fois (voire plus) supérieures à la couverture (garantie) offerte.
On peut se demander pourquoi la Barings n‘a pas réagi plus tôt ? Tout simplement parce qu’il avait fait gagner 20 millions de dollars à la banque en 1994 et que depuis ce jour là on lui faisait entièrement confiance. Ainsi Leeson n’était plus contrôlé et lorsqu’il y avait des recommandations négatives qui le concernaient, ces dernières étaient tout bonnement ignorées par la maison mère à Londres. L’analyse de la faillite de la Barings nous montre que Leeson, qui avait un compte spécial sur lequel s’accumulaient les pertes, n’informait pas son siège à Londres. Il n’est pas le seul fautif car la banque qui avait déjà fait l’objet d’un audit un an auparavant l’avertissant que Leeson avait trop de liberté et qu’elle devait mettre en place plus de contrôles, n’en avait pas tenu compte. Par ailleurs, la maison mère aurait du s’interroger davantage lorsque celui-ci lui avait demandé des fonds. Côté marché à terme, le régulateur (le SIMEX ) aurait du s’inquiéter et intervenir compte tenu des positions très importantes, les deuxièmes plus importantes du marché prises par le trader.
Dans cette histoire ce qui est le plus incroyable, c’est que ce trader ait pris des positions pendant des semaines de plus en plus importantes et déficitaires au nom de la Barings sans que celle-ci ne s’en inquiète. En effet, Leeson, s’apercevant qu’il perdait de plus en plus d’argent, relançait systématiquement la Barings pour qu’elle le couvre pour des positions de plus en plus risquées sur des montants de plus en plus colossaux en pensant à chaque fois se refaire. Malheureusement ces pertes ont atteint un tel niveau que la Barings a été incapable de payer en précipitant sa faillite.
Sur la corde raide toute la journée, le trader ou day trader achète pour revendre des dizaines de fois par jour, des devises, des emprunts ou des obligations, des matières premières, des produits dérivés, brassant au passage des millions de dollars pour faire fructifier un capital alloué par la banque ou la société de négoce qui l’emploie. Le soir il doit avoir liquidé sa position, c’est à dire avoir vendu ce qu’il a acheté ou l’inverse (ventes à découvert).
Même si le trading est loin d’être une science exacte, le flair ou l’intuition ne font pas tout. Le trader peut notamment s’appuyer sur des logiciels d’aide à la décision qui analysent les fluctuations présentes. Et s’il se fie à son feeling pour fixer son propre prix à l’achat ou à la vente, il ne s’aventure pas sans avoir décrypté l’information en ligne communiquée par les places financières, les agences comme Reuters ou Bloomberg pour saisir la tendance.
Comme le précise le directeur d’une salle des marchés d’une grande banque française : « L’œil rivé sur les écrans, le trader sait, en temps réel, fixer le montant en euros d’un achat ou d’une vente de 5 millions de dollars. Il se détermine notamment à partir de transactions déjà conclues ou des cours proposés par des courtiers électroniques ». Tout se joue souvent sur quelques centièmes de point, par rapport aux offres concurrentes. Mais c’est suffisant pour faire la différence, vu les sommes en jeu. Chaque jour, un cambiste spécialisé en devises, peut facilement vendre et acheter pour 300 à 500 millions de dollars, compte tenu de la rapidité des échanges.
Le trader doit aussi composer avec l’effet boomerang de certains événements sur les produits. Les contrats Futures, produits dérivés de taux d’intérêt, par exemple, sont suspendus aux déclarations du président de la Banque centrale américaine (Federal Reserve ou FED). Un autre responsable de salle de marché raconte : « Les discours d’Alan Greenspan qui défilent en direct sur les écrans agissent comme des électrochocs sur les marchés. S’il annonce que la croissance américaine faiblit, dans la seconde qui suit, les taux d’intérêt baissent. Qu’il enchaîne en disant que la tendance peut s’inverser, et les taux remontent sur-le-champ ». Les cours des matières premières sont aussi très sensibles à l’actualité. Un autre trader explique : « Nous constituons des stratégies et des modèles de trading avec effet spéculatif qui s’appuient sur des données de base économiques mais aussi politiques et parfois climatiques ».
Le trader n’est pas seul, il travaille en tandem avec un commercial représentant les intérêts des particuliers, entreprises ou institutionnels (caisse des dépôts, assurances …) qui achètent ou vendent. Mais cette mécanique, en apparence très souple, où tout est enregistré sur bande magnétique, peut aussi se gripper lorsque le marché est nerveux. En effet, des antagonismes se créent entre équipes de traders de salles de marchés différentes, les uns refusant d’acheter ce que les autres vendent et inversement. Il devient alors impossible de déboucher les positions (de vendre ce que l’on a acheté précédemment ou l’inverse), ce qui est stressant. On peut citer aussi l’exemple d’un cambiste indépendant (traders sur devises) qui n’a pas hésité à vendre sa maison pour investir la totalité de la somme dans son nouveau métier, afin de vivre sa passion.
Outre-atlantique, tout est surdimensionné et c’est là que le terme trader prend toute sa signification pour évoquer la spéculation hors normes et hors du temps. Sur les marchés financiers, les brokers battent record sur record. En août 2001, l’équipe de Merrill Lynch ne cachait pas sa fierté d’avoir eu besoin de deux heures à peine pour placer un milliard d’euros auprès des investisseurs du monde entier. Quant aux 50 000 day traders qui opèrent régulièrement sur le New York Stock Exchange (NYSE) ou le Nasdaq leur horizon de placement se limite à deux heures à moins que ce ne soit…20 secondes. Et celui qui conserve une position pendant une heure fait déjà figure d’investisseur à long terme.
En ce qui concerne l’affaire de la Générale, parmi les faits troublants, il y a eu cette journée du mardi 22 janvier. Alors que la Bourse de Paris décrochait à l’ouverture perdant jusqu’à 5%, après avoir perdu la veille 6,83%, la cotation des warrants (produits dérivés !) de la Société Générale a été suspendue – ce qui a rendu toutes opérations d’achat ou de vente impossible – jusqu’à 14H, au moment où le marché reprenait des couleurs pour terminer à + 2,07% (du jamais vu avec une amplitude de 400 points soit 8,4%). Pour la direction Warrants de la SG, qui est le premier émetteur pour ce genre de produits financiers, l’ordre venait de NYSE Euronext (1er groupe mondial de places boursières qui gère la Bourse de Paris)… drôle de concordance entre ces évènements.
On entre ici dans les interventions directes ou indirectes (pour ne pas dire des manipulations) qui faussent les cours et les opérations, et où l’Etat n’est jamais très loin, sachant que son bras interventionniste s’appelle la CDC (Caisse des dépôts et consignations), le plus important des institutionnels («zinzins ») qui a les moyens de venir au secours de la veuve et de l’orphelin, en l’occurrence la Bourse de Paris ou les banques en pleine déconfiture, comme il l’a déjà fait avec Lagardère en lui rachetant 50% des parts qu’il avait dans EADS. Mais à quel prix ? en multipliant les moins-values (qui deviendront des pertes), et qui grèvent d’autant les revenus des citoyens français (comptes d’épargne ou impôts).
En ce qui concerne la faisabilité de « détourner le système et les moyens de contrôle », on peut être sceptique. On peut toujours trouver des dysfonctionnements, des bugs informatiques dans n’importe quel système, mais pas à ce niveau de risques et vu les sommes colossales engagées sur les marchés optionnels. Cela était peut-être valable il y a dix ans, lorsque, par exemple, les traitements informatiques du Crédit du Nord n’étaient pas encore très performants, et permettaient en une nuit (à l’époque des traitements batch), de faire des virements d’un montant plusieurs fois supérieur – en réalité autant de fois que l’on voulait – au montant de son compte Revolving (réserve d’argent), à son compte courant sans la moindre entrave. Par contre à cette époque, le moindre détournement de procédure (même de façon non-intentionnelle) d’un gestionnaire de patrimoine, était immédiatement détecté et entraînait son renvoi pour faute grave dans les 48H.
Quid des clients et du personnel de la Générale ? Côté client, à l’exception de vieilles personnes, que les responsables d’agence ont su rassurer, il n’y a pas eu de panique, rien à voir avec les files interminables de clients venus retirer leur argent à la banque britannique Northern Rock au bord de la faillite. Le message est resté au niveau des inquiétudes. Malgré les propos racoleurs et populistes de certains journalistes de RMC (émission « Les grandes gueules ») prônant la sanction de la Générale par le changement de banque. Les clients semblaient soulagés face aux dernières mesures prises par la gouvernance de la banque, parmi lesquelles la décision du patron de la Société Générale d’abandonner une partie de son salaire annuel. Daniel Bouton et son adjoint, Philippe Citerne ont en effet décidé de renoncer à leurs salaires au moins jusqu’au 30 juin 2008, ainsi qu’à leur intéressement 2007.
Le personnel pourtant habitué à la culture du secret, n’a pas compris les atermoiements de la direction qui a attendu plusieurs jours avant d’annoncer la fraude. Mais, imaginez la Société Générale annonçant 7 milliards de pertes en pleine tempête boursière. La bourse aurait décroché de 8 à 10% (seuil maximum avant blocage) et la panique aurait ajouté à la panique avec quelles conséquences sur le secteur bancaire ? Cela nous amène à nous poser une autre question : que se serait-il passé si au lieu d’annoncé 4,9 milliards d’euros de pertes dues à des malversations d’un trader indélicat et deux petits milliards dus aux Subprime, Daniel Bouton nous avait annoncé 7 milliards de pertes à cause des Subprime ? Alors même que la première banque mondiale Citigroup n'a annoncé qu’une dizaine de milliards de pertes et appelle à son secours les fonds souverains !!! Cela aurait inévitablement provoqué un cataclysme, car personne n’aurait pu prévoir pareil désastre, du fait surtout de l’effet de surprise qui aurait semé la panique dans tout le secteur bancaire, sur les marchés financiers français, européens et même mondiaux, en pleine crise de confiance et de doute. C’est la raison pour laquelle cette répartition des fautes nous interpelle au moment où la crise des subprime s’invite partout, sur le marché immobilier, les marchés actions, obligataires et surtout sur celui des produits dérivés camouflés dans des fonds hautement spéculatifs (hedge funds) que toutes les banques possèdent. Il serait intéressant que l’on regarde du côté des CDO. La banque n’a-t-elle pas pris des positions aventureuses sur des marchés optionnels (Futures, contrats à terme), en rapport avec le crédit immobilier à risques où elle aurait perdu quelques milliards, et elle noie le poisson en faisant l’amalgame, ce qui l'arrangerait ! Les CDO (Collateralised Debt Obligations) sont les fruits d’innovations financières relativement récentes, c'est-à-dire des titres représentatifs de portefeuilles de créances bancaires ou d’instruments financiers de natures diverses. Au confluent de la titrisation et des dérivés de crédit, ces produits de finance structurée, en plein essor, recouvrent des montages répondant à différentes motivations des institutions financières, celles-ci pouvant chercher aussi bien à réduire leur coût de refinancement ou à exploiter des opportunités d’arbitrage qu’à se défaire de risques de crédit. On parle aussi maintenant de CDS (qui représentent des montants dix à cent fois supérieurs aux dégâts occasionnés par les crédits Subprime, de l’ordre de dizaines de milliers de milliards de dollars). Les crédit default swaps ou swaps de crédits sur défaillance, quasiment inexistant il y a cinq ans, sont des opérations spéculatives hautement rentables qui n’apparaissent jamais dans les bilans des banques et hedge funds qui en tirent profit. Le but de ces contrats étant d’assurer les acheteurs d’obligations d’entreprises contre la défaillance de ces obligations, des montages très compliqués et complexes
Pour rassurer aussi ses clients, les marchés financiers (son rating ou notation s’étant largement dégradée chez les agences de notation américaines) et l’Etat, la Générale doit procéder à une augmentation de capital de 5,5 milliards d'euros, qui devrait être souscrite par les banques américaines JP Morgan et Morgan Stanley (aussi en difficultés !) et l'assureur français Groupama. La banque de France, qui se sent un peu marri d’avoir été tenu à l’écart, reconnaît que la SG était dans une situation dangereuse le vendredi 18 janvier mais qu’à ce jour, une semaine après, elle était tirée d’affaires. Mais, une enquête est en cours. De son côté, la ministre de l’économie, Christine Lagarde précise : « j'ai demandé à la Commission bancaire de proposer des contrôles additionnels, et notamment opérationnels destinés, à éviter que ne se reproduise ce type de situation ».
Nous n’avons pas su tirer les leçons de l’affaire de la Barings, ni des différents rapports qui soulignaient la mauvaise appréhension des risques sur les marchés financiers et des banques en particulier. A titre d’exemple, cette mission que Lionel Jospin, Premier ministre, confiait le 18 mai 1998, à Olivier Davanne, conseiller : « préparer un rapport sur les causes de l’instabilité sur les marchés financiers et les progrès envisageables pour réduire le risque de nouvelles crises monétaires et financières ». Il lui demandait de « rechercher les moyens d’améliorer le fonctionnement des marchés financiers internationaux et de réfléchir aux recommandations découlant de son analyse en ce qui concerne la coopération économique et financière internationale. »
Le conseiller de Jospin soulignait que « pour éviter que de telles erreurs ne se reproduisent, la rénovation en profondeur de l’architecture du système financier international exigeait probablement deux types d’actions :
– Des réformes profondes en matière de surveillance des secteurs bancaires dans les pays en développement comme dans les pays industrialisés afin, notamment, de mieux responsabiliser les acteurs.
– Une surveillance internationale des régimes de change beaucoup plus active et la recherche d’une flexibilité maîtrisée. Le FMI a vocation à jouer un rôle central dans un domaine où l’ampleur des réformes nécessaires justifie probablement l’emploi du terme de nouveau « Bretton Woods », c’est à dire un régime de change flexible avec une intervention plus volontariste des autorités monétaires en utilisant plus souvent et plus efficacement les armes de la politique monétaire et de l’intervention sur les marchés ».
Dans ses propositions, Olivier Davanne évoquait aussi tout un arsenal d’enquêtes, de contrôles et de suivis des opérations passées par les investisseurs (entre autres sur les hedge funds) et des risques encourus sur ces marchés. Il suggérait une meilleure communication entre les différents agents financiers (FMI, banques internationales et centrales) pour un meilleur suivi des principaux agrégats qui pouvait prendre la forme de rapports ou de conférences. Il évoquait aussi « le Lancement d'une réflexion large associant banques centrales et milieux académiques sur les avantages et inconvénients de différentes méthodes de contrôle monétaire en matière de stabilité financière internationale. »
Lorsqu’on feuillette les différents rapports gouvernementaux sur le FMI et le système financier international, on retrouve l’esprit et l’inspiration du rapport dans les paroles mais aussi dans les faits. Malheureusement, pour pouvoir avancer, il fallait un consensus au niveau européen et au niveau mondial et c’est là que le bât blessait, certains pays n’ayant aucun intérêt à suivre ces sages préceptes et recommandations. Cette analyse que fit Davanne, beaucoup y adhéraient sur la forme, l’objectif, mais sur le fond et sur les moyens à mettre en place, les points de vue différaient. Le problème c’est que rien n’a changé depuis malgré les accords de Bâle 1 et ceux en cours de Bâle 2…
Parmi les solutions à la crise monétaire internationale, il y a celle, radicale, que propose l’économiste suisse Pierre Leconte, fondateur d'une société financière en Suisse, membre des bourses des marchés à terme de Londres et de New York, puis conseiller d'une banque de développement et d'une banque centrale sud-américaine et auteur de : « Une monnaie extra-nationale : le new-bancor de Jacques Riboud» et « La Grande Crise monétaire du XXIe siècle a déjà commencé ! ». Face au manque d'indépendance des banques centrales vis-à-vis des forces de marché – comme nous l’avons constaté durant deux décennies avec Alan Greenspan, l’ancien patron de la Réserve fédérale américaine, longtemps considéré comme le maître à penser de l’économie mondiale, passé du rôle de magicien à celui d’illusionniste – Pierre Leconte préconise que l’on en termine avec le régime des taux de changes flottants et le retour à l'étalon or. Il suggère que l’on écarte les Banques centrales de toute production de monnaie. En effet, de plus en plus d’analystes et d’économistes considèrent que la connivence d’Alan Greenspan avec les milieux d’affaires, l’a poussé à trop baisser les taux d’intérêts pour améliorer la croissance et leurs profits, ce qui nous a conduit à la situation d’endettement catastrophique et à la crise du crédit que nous connaissons actuellement.
Dans son dernier ouvrage, Pierre Leconte constate que : « L'abandon progressif de l'étalon-or et des taux de change fixes depuis le début du XXe siècle a provoqué un vertigineux tourbillon : perte constante du pouvoir d'achat de toutes les devises ; pyramide de crédits gagés sur le néant ; déséquilibres monétaires, économiques et sociaux majeurs à l'intérieur des Etats et entre pays ; " capitalisme fou " ; mondialisation monopolistique et les guerres les plus meurtrières de l'Histoire ! La crise des crédits gagés sur les emprunts immobiliers américains d'août / septembre 2007 ne fait que commencer. Elle sera suivie de l'effondrement du dollar, puis de toutes les monnaies de papier, les unes après les autres. Si la réforme complète du Système monétaire international n'est pas entreprise au plus vite, la Chine deviendra le " maître du monde " avec la complicité résignée des Etats-Unis, l'euro implosera et l'Europe perdra sa puissance économique et politique. Pierre Leconte, en praticien et en théoricien des questions monétaires, nous prévient que nous sommes déjà entrés dans la Grande Crise monétaire du XXle siècle, dont les effets seront pires que ceux de la Crise de 1929. » (résumé de : « La Grande Crise monétaire du XXIe siècle a déjà commencé ! », Jean-Cyrille Godefroy éditeur, novembre 2007, sur le site de decitre.fr).
En opposition avec cette utopie ultra-libérale, où l’on verrait « un foisonnement d'initiatives privées qui se mettront à émettre des monnaies qui, elles, répondront aux lois de l'offre et de la demande, et pourraient être gagées sur des métaux précieux », le premier quotidien de Suisse romande, Le Temps, (dans son édition du 28 janvier) présente également l'alternative défendue par Jacques Cheminade, économiste français, président de Nouvelle Solidarité, « admirateur du Plan à la française » qui estime que : « les banques centrales sont soumises aux influences de la pensée monétariste et manquent leur cible. Lorsqu'elles injectent massivement des liquidités, en jetant de l'argent sur de l'argent, elles alimentent l'économie virtuelle des marchés financiers. Cet argent ne parvient pas à l'économie productive ». Le quotidien suisse note que : Ce franc-tireur relève au passage qu'à présent « Alan Greenspan se défausse et critique lui-même le système qu'il a mis en place ». Ensuite, Le Temps écrit que Cheminade préconise « une refonte du système selon un nouveau Bretton Woods : taux de changes fixes entre les quatre principales monnaies, détermination d'un nouvel étalon qui serait un panier de matières premières. Comme Pierre Leconte, le but premier est de limiter la production de monnaie et de lui restaurer sa crédibilité […] L'important, selon lui, est de revenir à davantage de régulation, de renforcer le lien organique entre les Banques centrales et les Etats, et de restaurer le sens « des responsabilités citoyennes » des dirigeants, qui a « disparu car ces mêmes dirigeants sont assiégés par des intérêts privés ». En revanche, le plan de sauvetage de George Bush ne lui parait guère mieux que de la « masturbation financière » (en s'excusant du propos), car il omet de revenir à la racine du problème, à savoir l'investissement dans l'outil de production de biens réels. »