"Vous êtes peut-être comme moi: vous avez peut-être été cueilli, au réveil, par la désagréable nouvelle de la prochaine hausse du prix du gaz, écrit aujourd'hui Daniel Schneidermann sur Arrêt sur images. Hausse non négligeable: 3,5%. Ou peut-être bien 4%, ou même 4,2%. On n'a pas parfaitement compris. Mais on ne va pas s'arrêter à ces peccadilles. On le verra bien sur les factures. Peccadilles, car aussitôt, vous avez été rasseréné par la seconde partie de la phrase, dans la bouche des speakers unanimes du matin: "on est loin de la hausse de 6% qui était demandée par Gaz de France".

 Là, votre journée a été sauvée. Rendez-vous compte: on a échappé à 6% ! Merci le gouvernement, tout de même. Cette information ainsi construite, c'est ce qu'on appelle: une certaine présentation des choses. Elle n'est pas fausse, notez bien. Il est sans doute exact que Gaz de France avait réclamé une augmentation de 6% des tarifs. Et si les speakers unanimes du matin adoptent cette présentation, c'est parce qu'ils y sont incités par les agences de presse qui, dans la nuit, ont livré la même présentation."

Et le journaliste d'ensuite rappeler les éléments contenus dans notre billet du 19 décembre, Pourquoi la hausse du gaz est scandaleuse, en y renvoyant aimablement ses lecteurs. Voilà ainsi, souligné par Schneidermann, comment fonctionne l'information, façonnée suivant un moule unique, qui zappe d'un sujet à l'autre sans la mise en perspective qui permettrait aux citoyens de se forger une opinion.

Et justement, il est un autre élément dans cette affaire qu'il nous semble indispensable de préciser : alors même que ses dirigeants obtiennent du gouvernement la permission d'augmenter les tarifs du gaz, non seulement GDF fait d'énormes bénéfices, non seulement son PDG Jean-François Cirelli touche une prime sur résultats, qui l'incite à faire davantage payer les clients de l'entreprise pour augmenter sa rémunération personnelle, non seulement les dividendes distribués aux actionnaires explosent mais, comme si tout cela ne suffisait pas, GDF a entamé vendredi dernier un programme de rachat en bourse de ses propres actions, pour un montant d'un milliard d'euros !

L'information a été livrée par l'AFP, dans une dépêche en date du 21 décembre, reprise par le site de Paris Match et des Echos le jour même, puis par L'Humanité le 24. Objectif de l'opération expliqué par la direction : "redonner de l’argent aux actionnaires". Tel quel ! "Quand une entreprise rachète ses propres actions, elle diminue le nombre de titres sur le marché et augmente donc la valeur de chaque action, explique Anne Renaut pour l'AFP, reprise par Bétapolitique. Les bénéficiaires de cette opération seront les actionnaires privés de GDF, car le groupe va racheter des actions qui sont sur le marché, détenues par des investisseurs, et non la part de l’Etat". Mais pourquoi donc GDF va-t-il consacrer un milliard d'euros à ce rachat ?

Selon les syndicats FO et CGT, qui parlent d'un "nouveau scandale financier", il s'agit de réduire le différentiel entre ses actions et celles de Suez, dans la perspective de la fusion. "Si GDF a un milliard d’euros à dépenser pour racheter ses actions, c’est qu’il n’a pas besoin d’une augmentation des prix du gaz", estime FO. On voit mal comment lui donner tort. Peut-on imaginer plus grand cynisme que celui des dirigeants de GDF, qui réclament à cor et à cris une augmentation des tarifs dans le même temps qu'ils dilapident un milliard dans le seul but de doper les profits de leurs actionnaires ?

En attendant, cette hausse des tarifs ne les contente pas, ces actionnaires qui osent faire grise mine, comme l'expose L'Express : "Jean-Francois Cirelli, le patron de Gaz de France, demandait une augmentation de 6,1%. Les pouvoirs publics ont décidé qu’elle serait de 4% le 1er janvier 2008. Si Gaz de France est déçu, la Bourse l’est également. L’action de GDF a certes limité sa baisse, ce jeudi matin (- 1,68% à 39,80 euros), mais parce que le marché avait largement anticipé cette déception. De fait, dès le 18 décembre, Christine Lagarde, ministre de l’Economie, avait indiqué que la hausse des prix du gaz ne serait pas aussi importante que le réclamait GDF. (…) les experts constatent que la fixation des tarifs domestiques reste très politique, ce qui n’enchante guère les actionnaires qui espèrent que l’Etat ne se mêlera plus de fixer les prix du gaz quand le mariage avec Suez sera consommé." Qu'en termes clairs ces choses sont dites ! Le gaz, pour ceux qui l'utilisent comme source d'énergie, est un bien vital : impossible d'arrêter de se chauffer pour faire des économies. En cédant au secteur privé GDF pour des raisons purement idéologiques, le pouvoir sarkoziste va autoriser les gloutons actionnaires à tondre la laine sur le dos des ménages modestes, alors même qu'il prétend lutter contre la baisse du pouvoir d'achat ! L'énergie devrait pourtant évidemment rester un service public, puisque nul ne peut vivre sans elle. Mais non. Pas sous le règne de l'homme qui murmurait à l'oreille des patrons. Le jour où l'on coupera le gaz à ceux qui n'ont plus assez d'argent pour le payer et qu'ils mourront de froid, il faudra leur expliquer que c'est parce que les actionnaires de GDF-Suez exigent des dividendes toujours plus élevés.

Comme il est dit dans le film La haine de Mathieu Kassowitz, "jusqu'ici, tout va bien".