Il y avait eu la prise de la smala d’Abd el Kader par le duc d’Aumale, il y aura la parure d’olives de Basse-Provence sur le képi de Sarkozy après… la prise de Tripoli et l’embastillage de Kadhafi le 14 juillet 2011. Sarko Ier l’aurait dit, selon Kim Sengupta, deThe Independent, au maréchal britannique de l’Air, Sir Stephen Dalton. Notre Joe français a dû prendre Sir Stephen pour Arevell Dalton…

« Le président français, Nicolas Sarkozy, met la pression sur les forces coalisées en Libye pour que le succès intervienne à temps pour qu’il puisse crier “victoire” à Paris le jour de la prise de la Bastille. ». Titre de l’article : « l’Otan divisé sur la Libye alors que la note britannique atteint 250 millions de livres ». Chiffre sans doute sous-estimé, mais Nicolas Sarkozy, lui, ne sous-estime pas son bon vouloir. Le général commandant en chef de la RAF, l’Air Chief Marshal Sir Stephen Dalton s’est refusé à tout commentaire mais les faits sont confirmés par un très haut gradé de l’état-major britannique, rapporte Kim Sengupta, l’envoyé spécial à Paris en charge des questions militaires pour The Independent. Selon le renseignement militaire britannique, des informations remontent, beaucoup plus précises que précédemment, sur les lieux où Kadhafi se « terrerait ». Moins d’un mois devrait donc suffire, c’est l’évidence même, pour concocter une frappe décisive lors du défilé militaire sur les Champs-Élysées. Ne resterait plus à Nicolas Sarkozy qu’à convoquer la presse à l’issue de la parade.

250 millions de livres sterling, en fait, selon d’autres, peut-être davantage (260 selon The Guardian et le secrétaire britannique à la Défense, Liam Fox), côté britannique, soit sans doute 300 millions d’euros côté français, pour annoncer en fanfare la chute d’un homme, en escamotant les risques d’une guerre civile durable. Entretemps, le pilote Rantanplan pourrait commettre d’autres bavures, mais qu’à cela ne tienne.

Rappelons quand même que, selon The Guardian, les chiffres évoqués « n’incluent pas les soldes ni le coût des carburants pour les chasseurs, les hélicoptères Apache, et les avions de reconnaissance. ». Pour un seul chasseur une seule sortie, il faut compter 100 000 livres, rien qu’en carburant. Selon un analyste, les chiffres sont tous sous-estimés, et seul le National Audit Office pourra en approcher la réalité… « dans un ou deux ans. ».

En attendant, pour Mediapart, l’ancien diplomate français en poste à Tripoli, Patrick Haimzadeh, qui s’en était déjà pris à Bernard-Henri Levy dans Libération, en remet une couche. On peut multiplier les frappes à 500 000 euros le missile, dissimuler derrière un « il » (Kadhafi) omniprésent le fait que des Libyens n’ont aucune envie de se rallier à d’anciens séides du régime, les populations civiles trinquent sans qu’une issue se dessine.

Patrick Haimzadeh relève un fait certes isolé, mais significatif : un combattant de Benghazi redoute de se retrouver face à son fils ayant rejoint le clan de sa mère et les forces loyalistes. Ce n’est pas que ce jeune homme ait trouvé en Kadhafi un père de substitution, mais tout simplement le reflet de certaines complexes réalités du terrain.

Ancien officier de l’arme de l’Air, le diplomate dresse la liste des « dix mensonges, contrevérités et erreurs » relayés par les médias français. Je vous en épargne la liste, les détails étant signalés dans divers articles antérieurs sur Come4News. Patrick Hamizadeh revient aussi sur le rôle des insurgés berbères et autres du djebel Nefoussa (à l’est) et ce rappel n’est pas – cette fois – superflu. « Toute incursion de combattants armés en provenance d’une autre région serait mal perçue par les locaux qui risquent fort de ne pas les accueillir en libérateurs, » indique l’officier et diplomate. Cela vaut-il pour les seules villes ou régions encore fidèles au régime ? Il n’est pas exclu que des troupes venant de Benghazi soient fêtées si elles parvenaient dans le djebel Nefoussa, mais il n’est pas sûr qu’il soit souhaité qu’elles s’y incrustent.

« Chaque région libyenne devra se soulever par elle-même et c’est au niveau local que tout se jouera… ». Ou pas. Cette tribune a aussi le mérite de souligner que le sud, le Fezzan, attend l’issue des opérations militaires pour se déterminer : « on a oublié qu’il ne s’est pratiquement pas soulevé. ». Ne l’avaient oublié que ceux que cela arrange, lesquels peuvent au moins en supputer les raisons, en se fondant sur les rapports diplomatiques provenant du Tchad, d’Algérie, et d’autres pays limitrophes.

Le Canard enchaîné indique de son côté que des contacts sont pris entre certains « insurgés » (sans doute plutôt des proches de Kadhafi ayant fait défection, des émigrés, et l’occasionnel émissaire de Benghazi), et des envoyés du régime, à Paris même. Sans que l’Élysée ou le Quai d’Orsay en soient tenus véritablement informés. De même, la Grèce avait concocté secrètement un plan de résolution du conflit (et incidemment d’épuration d’une partie de sa dette) avec la diplomatie de Tripoli, mais c’est le président français qui avait mis le plus tôt et le plus véhémentement son veto.

On veut croire que Moussa Koussa, qui a fait défection comme le général Younès et d’autres responsables du régime, pourrait encore jouer un rôle éminent. En fait, il s’agit plus ou moins de remplacer les mêmes par les mêmes, une fois Kadhafi et sa famille éliminés, au besoin physiquement. L’ennui, c’est qu’à Benghazi même, en dépit d’une propagande forcenée, l’idée de s’être fait rouler commence à émerger. Jean Ping, de l’Union africaine, estime que « le risque, c’est celui d’une somalisation du conflit. ».

Les frappes « contribuent à entretenir le ressentiment d’une majorité d’habitants de cette région [la Tripolitaine], tant à l’égard des Occidentaux que des habitants de Cyrénaïque, accusés à juste titre d’avoir appelé à l’intervention militaire directe de puissances étrangères contre d’autres Libyens. ». Pas que, votre Éminence. Des habitants de la Cyrénaïque commencent aussi à douter du jeu occidental et même si la Ligue arabe est discréditée, son secrétaire général, Amr Moussa, qui appelle à un cessez-le-feu et une solution de sortie, contribue à alimenter les supputations. Hillary Clinton, Nicolas Sarkozy et d’autres peuvent bien assurer les « nations arabes » veulent la chute de Kadhafi, ce type de déclaration ne fait plus trop illusion.

Bizarrement par ailleurs, des civils de Benghazi préfèrent rejoindre leurs familles à Tripoli. La Croix Rouge internationale va prendre en charge 66 détenus libérés à Tripoli pour les acheminer à Benghazi, mais à l’inverse, 110 personnes quitteront Benghazi pour Tripoli.

À Misrata, les insurgés, à présent globalement sécurisés, restreignent la présence de la presse internationale. Certains correspondants sont à présent suspectés d’agir « en espions de Kadhafi ». Les communications sont contrôlées. Les traducteurs doivent aussi obtenir une autorisation pour travailler avec la presse étrangère. Il s’agit officiellement de « protéger les journalistes ». Donc, non pas de faire en sorte que, comme pour ceux postés à Tripoli et tout autant surveillés, ils ne puissent témoigner d’éventuelles purges d’opposants réels ou présumés. Cela peut aussi répondre à l’inquiétude de la population qui se voit encore frappée des missiles loyalistes et peuvent se demander qui est vraiment qui.

4 000 militaires français sont engagés, à des titres divers (marins, pilotes, techniciens principalement) dans l’opération mais cela ne suffit évidemment pas. Une intervention au sol, que certains suspectent programmée, en dépit des multiples déclarations contraires, pourrait sans doute aboutir à traquer les Kadhafi. Mais pour quel résultat ? Selon un observateur américain, Kadhafi « pourrait bien être remplacé par un autre dictateur, voire par une junte militaire, ou encore la Libye pourrait sombrer totalement dans la guerre civile. » Totalement. Ce qui n’est d’ailleurs pas contradictoire avec la prise de pouvoir d’une junte militaire.

Selon un autre « spécialiste » américain, la stratégie de l’Otan consisterait désormais à favoriser une insurrection à Tripoli, et un universitaire britannique estime « qu’on verra de nombreux groupes armés se soulever à Tripoli. ». En fait, la dernière frappe meurtrière notable, après celle qui a coûté la vie à des petits-enfants de Kadhafi, visait un autre membre de sa famille, Khouildi Hamidi, l’un de ses gendres. Le régime fait état de 19 morts, de la famille ou de voisins. La regrettable « erreur » due a une mauvaise information ou un incident technique déplorée par l’Otan n’en était sans doute pas une. On ne sait si Tripoli sera par elle-même libérée, mais il n’est pas du tout sûr que ce soit le 14 juillet prochain. Ni même, en fait, le 14 juillet 2012, après la présidentielle et les législatives (10 et 17 juin) françaises.