La reproduction sociale

En 1993, à peine plus d'un homme de 40 à 59 ans sur trois occupe la même catégorie socio-professionnelles que son père. Il y a donc une certaine mobilité sociale (la mobilité sociale désigne en effet les changements de positions sociale exprimée par l'appartenance à telle ou telle catégorie socio-professionnelle). Elle apparaît plus forte pour les fils d'employés et les fils de professions intermédiaires. Même si elle a augmenté depuis les années 960, la mobilité reste faible. Si la situation des fils était complètement indépendante de la position sociale des pères, un sur cinq seulement occuperait la même catégorie socio-professionnelle que son père et non pas un sur trois. La mobilité est particulièrement faible pour les fils de cadres et les fils d'ouvriers. La mobilité apparaît étroitement liée aux changements de structures de l'économie. Les mutations sectorielles intervenues dans l'appareil productif ont modifié la structure des emplois et engendré des transferts de population active. La diminution de la part des agriculteurs dans la population active (20% de la population active en 1962 contre 5% en 1995) explique que les fils d'agriculteurs sont une minorité à occuper la même catégorie socio-professionnelle de leur père : ils se sont tournés vers des catégories proches (ouvriers ou professions intermédiaires). Il y a eu circulation d'une catégorie socio-professionnelle à l'autre. Pour autant, il n'est pas certain qu'elle renvoie à un réel changement de position sociale (les ouvriers et les agriculteurs ne sont pas des groupes sociaux très éloignés). De toute façon, la mobilité se fait en général vers la catégorie socio-professionnelle la plus proche dans l'échelle sociale ; c'est une mobilité de proximité. L'idéal de l'école républicaine est d'offrir à tous les mêmes chances de réussite. Elle participe donc de la rupture avec les statuts assignés par la société selon des normes préétablies (comme dans les société d'ordres ou de castes) au profit de statuts acquis par l'individu au terme d'une compétition plus ou moins ouverte. Les diplômes vont en effet sanctionner des niveaux de compétence et permmettre aux meilleurs d'accéder aux postes dirigeants. C'est le mérite qui permet d'accéder au plus haut niveau de l'échelle sociale et non l'hérédité ou les privilèges de naissance. Les lois Ferry de 1881-1882 ont rendu l'enseignement primaire obligatoire. Les enseignements secondaire et supérieur connaissent une forte croissance de leurs effectifs à partir des années 1950. Pourtant, cette démocratisation scolaire n'a pas abouti à une société beaucoup plus fluide et la mobilité nette reste singulièrement limitée.

L'étude des trajectoires de mobilité révèle une reproduction de la tructure sociale et la perpétuation des inégalités en dépit de l'idéal méritocratique. Pour Pierre Bourdieu, cette reproduction de l'ordre social s'explique par les multiples stratégies que les agents sociaux mettent en oeuvre pour la conservation ou l'appropriation du capital sous ses différentes espèces (capital social, économique, culturel et symbolique). Pierre Bourdieu poursuit l'analogie avec l'approche économique induite par le terme même de capital et décrit de véritables stratégies d'investissement : stratégies d'investissement biologique (contrôler le nombre de descendants afin d'assurer la transmission des capitaux ou limiter volontairement la fécondité pour favoriser l'ascension sociale), économique (perpétuer ou augmenter la capital social et le capital économique de la famille avec un "beau" mariage), symbolique (conserver ou augmenter le capital de reconnaissance et de réputation) éducatives. Dans les sociétés capitalistes et bureaucratiques modernes, l'importance prise par le diplôme et les grandes écoles a modifié les stratégies de reproduction en conférant au mode de reproduction scolaire une prédominance incontestable. L'expérience de la mobilité sociale peut être douloureuse lorsqu'elle est vécue comme une rupture avec le milieu d'origine et "une double absence", pour reprendre le titre de l'ouvrage d'Abdelmalek Sayad consacré aux immigrés algériens déplacés entre deux pays déchirés entre deux cultures. Cette situation sociale songulière produit en retour un regard sociologique d'une grande acuité, comme en témoignent remarquablement certains des romans autobiographiques d'annie Ernaux, fille unique de petits commerçants devenue professeur de lettres.