"Yvan Colonna, chronique d'une erreur judiciaire commanditée" ou "otage de la raison d'Etat" : c'est en ces termes que le Comité de soutien au berger de Cargèse, accusé du meurtre du préfet Erignac, présente l'affaire examinée depuis hier par la Cour d'assises spéciale de Paris.
A ses côtés pour réclamer simplement un procès équitable, la Fédération internationale des droits de l'Homme, qui a dépêché sur place deux observateurs. C'est qu'on peut en effet nourrir de sérieuses craintes sur l'impartialité de la Cour, soumise à d'incroyables pressions de la part de la classe politique.
Deux ministres de l'Intérieur ont ainsi successivement affirmé la culpabilité de Colonna : Jean-Pierre Chevènement d'abord et Nicolas Sarkozy ensuite, qui n'a pas craint d'annoncer le 4 juillet 2003 : "nous avons arrêté Yvon Colonna (il s'est trompé ce jour-là de prénom !), l'assassin du préfet Erignac". Invraisemblable sortie : la déclaration universelle des droits de l'Homme ne stipule-t-elle pas que "toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées" ?
Du reste, Sarkozy ne se gêne pas pour invoquer la présomption d'innocence quand il s'agit des membres de son gouvernement André Santini et Bernard Laporte (plus de détails à la fin de l'article en lien) ! Pas pour Colonna.
Et pourtant, cinq témoins disent avoir vu deux hommes sur les lieux du crime, et pas trois. Or Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, déjà condamnés, ont reconnu qu'ils y étaient. Ajoutons qu'on a refusé à la défense l'organisation d'une reconstitution. Dernier élément, Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, aurait convoqué fin octobre Roger Marion, ancien chef de la division nationale antiterroriste, afin de "cadrer" sa déposition – inadmissible ingérence du pouvoir dans les affaires de la justice ! -, d'après un article du Point en date du 8 novembre. Démarche qui lui vaut d'être cité à comparaître au procès. C'est dans ce climat de suspicion, les jeux apparaissant déjà faits et Colonna condamné avant que d'être jugé, que les 7 magistrats professionnels composant cette Cour spéciale anti-terroriste vont devoir se prononcer. Et qu'apprend-on au sujet de sa composition ? Que parmi eux figure l'inénarrable ancien substitut du procureur de Toulouse, Marc Bourragué. Une présence dont s'émeut un adhérent de l’association Stop à l’Oubli, qui défend les victimes du tueur en série Patrice Alègre, dans une lettre adressée à la Fédération internationale des droits de l'Homme, dont nous sommes en mesure de vous révéler le contenu : "Il se trouve que, dans le cadre de nos actions, nous avons eu à nous intéresser aux dérapages très graves du magistrat Marc Bourragué. (…) Ce magistrat est très gravement mis en cause par un rapport très documenté (93 annexes) de son supérieur, le Procureur Bréard, qui a été transmis à la Chancellerie depuis plus de 2 ans et demi ; ce rapport est gardé secret par la Chancellerie qui refuse, ainsi que les hauts magistrats qui en ont le pouvoir, de le transmettre au Conseil Supérieur de la Magistrature et de le verser dans les dossiers. L’association Stop à l’Oubli a demandé maintes fois au Cabinet du Garde des sceaux le versement de ce rapport dans les dossiers concernés ainsi que la transmission au CSM ; la dernière demande date d’un peu plus d’un mois, lorsque l’association a été reçue à la Chancellerie par M. Guéant, conseiller de Mme R. Dati en charge des victimes. Ce rapport est maintenant connu de tous car il été publié dans une version résumée fin juin dernier dans l’ouvrage de Gilles Souillès, «Affaire Alègre : la vérité assassinée». Ce qui est rapporté dans cet ouvrage correspond exactement à la connaissance que nous avons de ce rapport et nous disposons de nombreux témoignages cités dans ce rapport. Le magistrat Bourragué, qui a le procès en diffamation extrêmement facile, n’a pas attaqué, à ma connaissance, cet ouvrage qui le met très gravement en cause et le délai de 3 mois pour une plainte en diffamation est maintenant dépassé. On peut donc légitimement s’interroger, connaissant le CV de ce magistrat, sur son «indépendance» dans le cadre d’un tel procès, tant il est évident qu’il est en «coma professionnel avancé» et soutenu par son administration pour des raisons que nous ignorons et qui n’ont rien à voir avec l’éthique." On peut en effet légitimement s'interroger.