Mais qu'arrive-t-il donc à La Voix de son Minc ? Yildune Lévy, dite l'inculpée de Tarnac, aurait-elle interprêté son chant du cygne ? C'était déjà Le Monde qui avait donné – suivant l'une des règles les plus basiques du journalisme voulant qu'on prenne l'avis des deux parties – la parole à Julien Coupat, encore en détention. C'est encore Le Monde qui « récidive » en publiant une tribune libre de la compagne du « cerveau » de « l'ultra-gauche », Yildune Lévy. Tentative de regagner un peu de crédibilité après le traitement réservé aux chercheuses et chercheurs s'opposant au ministère de l'Enseignement supérieur ? Ou, perdu·e·s pour perdu·e·s, chant du cygne avant remise en ordre ou liquidation ?
Transformer une communauté de refuzniki à l'ordre ambiant en cellule d'extrémistes violents et déclencher à leur encontre la « war on terror », c'était bien joué à la veille d'élections européennes qui se sont soldées par le succès que l'on sait : on peut désormais régir un pays en n'étant plus ou moins approuvé ou toléré que par 10% des adultes. La supercherie, la duperie, la mascarade peut continuer. Rétablir le cens, le suffrage censitaire réservé aux seuls possédants, sans le dire, mais de facto, n'a pourtant de sens que tant que l'état de narcose narközique dure et perdure et que rien ne vient secouer la torpeur désirée.
Or, voici qu'une partie de la rédaction de La Voix de son Minc se prend à jouer les papys résistants, les porteuses de valises, et les propagandistes du réveil. On arguera qu'Alain Minc, proche haruspice de Nicolas Sarközy, n'est plus nominativement à la tête du groupe Le Monde et qu'il ne saurait favoriser sa prise de contrôle totale par Lagardère Médias (ou sa filiale, Hachette Filipacchi Médias). Avant de confier à Philippe Val et France Inter et Télérama (fleuron le plus rentable du groupe Le Monde, que vise Lagardère Médias), Alain Minc devra sans doute encore un peu patienter. À moins que Nicolas Sarközy, qui gère la France pour le compte des mandants d'Alain Minc, ne précipite les choses, le désavoue en nommant Claude Allègre à un poste doté d'une administration et de réels pouvoirs, et fasse reprendre en main Le Monde par des affidés et stipendiés sachant rendre des comptes.
L'outrage est commensurable
Voici que Le Monde, dans son édition en ligne du 20 juin, diffuse, à l'égal d'une tribune d'un Bernard-Henri Lévy ou d'un André Glucksmann, un « point de vue » de Yildune Lévy qui révèle la petitesse, la mesquinerie, de qui a laissé perdurer, s'il ne l'a suscitée, la mascarade de la supposée « ultra-gauche ». L'extrémisme violent (qu'est-ce que l'extrémisme quand toutes les dispositions du Conseil national de la Résistance doivent être éradiquées une à une ? qu'est-ce que la violence quand la Françafrique tranchera brutalement entre Pascaline et Ali Bongo pour prendre la suite de leur père, Omar, au Gabon ?), c'est l'une des hantises de Nicolas Sarközy qui craint de le susciter et d'en subir les conséquences mais l'appelle aussi de ses vœux afin de paraître plus républicain que monarque.
Ayant renoncé à faire de Julien Coupat son masque de fer, Nicolas Sarközy tient à le conserver, ainsi que sa compagne, Yildune Lévy, et leurs compagnons de Tarnac, en otages à vie de son État. Otages et non mis en examen « sursitaires ». Le sort qui leur est fait est bien plus pernicieux que l'obligation du port d'un bracelet de détenu assigné à résidence. Et c'est déjà ce que détaille Yildune Lévy. Non pas dans Politis ou Siné Hebdo, mais dans Le Monde.
Il avait fallu près de 190 jours, plus de six mois, pour que Le Monde, seul titre français à s'y risquer (sauf erreur involontaire de notre part), fasse enfin la démarche élémentaire que tout journaliste stagiaire est supposé diligenter par réflexe acquis en école de journa : prendre l'avis des deux parties. Soit interroger Julien Coupat. Quand, le 13 octobre 1970, Angela Yvonne Davis, présumée coupable de meurtre et de rapt et d'insterstate flight (cavale inter-États), est incarcérée, la presse nord-américaine n'attend pas le 4 juin 1972 et son acquittement pour lui donner largement la parole. Autres temps, autres rivages, autres mœurs… Pour Coupat, cela parut le 25 mai 2009 et il en subsiste, en ligne, une version « mise à jour » le 4 juin dernier. L'outrage du Monde n'est pas de s'en tenir aux faits, de signaler que Julien Coupat réfute formellement les accusations et dément être l'auteur de L'Insurrection qui vient. Il est de lui donner réellement la parole, ainsi pour dire ce qu'on sait au Monde mais qu'on ne lit jamais, ou très rarement, et jamais si clairement et limpidement. Bref, l'outrage est d'avoir laissé Julien Coupat faire du journalisme dans Le Monde puisqu'il est pratiquement devenu impossible d'en faire au Monde ou ailleurs, sauf rares exceptions minoritaires et contingentées au marges.
Que dit Julien Coupat ? Cela…
« Nous vivons actuellement, en France, la fin d'une période de gel historique dont l'acte fondateur fut l'accord passé entre gaullistes et staliniens en 1945 pour désarmer le peuple sous prétexte d'"éviter une guerre civile". Les termes de ce pacte pourraient se formuler ainsi pour faire vite : tandis que la droite renonçait à ses accents ouvertement fascistes, la gauche abandonnait entre soi toute perspective sérieuse de révolution. L'avantage dont joue et jouit, depuis quatre ans, la clique sarkozyste, est d'avoir pris l'initiative, unilatéralement, de rompre ce pacte en renouant "sans complexe" avec les classiques de la réaction pure – sur les fous, la religion, l'Occident, l'Afrique, le travail, l'histoire de France, ou l'identité nationale. (…) Dans la sphère de la représentation politique, le pouvoir en place n'a donc rien à craindre, de personne. Et ce ne sont certainement pas les bureaucraties syndicales, plus vendues que jamais, qui vont l'importuner, elles qui depuis deux ans dansent avec le gouvernement un ballet si obscène. Dans ces conditions, la seule force qui soit à même de faire pièce au gang sarkozyste, son seul ennemi réel dans ce pays, c'est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires. »
Que divulgue habituellement Le Monde et l'ensemble de la presse (à quelques exceptions près, dont Marianne qui a su remettre l'abstention en perspective, et la formidable faiblesse de la représentativité de la droite parlementaire) ? Que l'UMP est sortie grande gagnante des élections européennes, que Nicolas Sarközy a les mains plus libres que jamais, &c. Bref, le journalisme fallacieux de rigueur, celui des stipendiés du et des pouvoirs réels.
Une cinglante récidive
Il a fallu attendre la levée d'écrou de Julien Coupat pour qu'un François Hollande consente à s'interroger à haute-voix sur le sort qui lui avait été réservé. On se demande à présent quel Prévert – qui avait dédié un poème à Angela Davis, l'Angela de John Lennon et Yoko Ono ou le Sweet Black Angel des Rolling Stones – élèvera la voix pour réclamer la libération réelle de Yildune Lévy, assignée à résidence, confinée à l'isolement et condamnée à la « douleur de la séparation ». D'Angela Davis, Jacques Prévert écrivait : « Eux qui ne sont que les frères d'armes des fabricants et des trafiquants d'armes du monde entier doivent rendre des comptes, c'est à dire se rendre compte combien il est absurde d'accuser une femme ici ou là de ce qu'ils vendent partout ailleurs. Il faut libérer Angela Davis – en attendant le jour où seront condamnées toutes les portes derrière lesquelles la vie noire est enfermée. ».
En attendant, dans ses « Deux ou trois choses que j'avais à vous dire », Yildune Lévy, dans Le Monde, écrit tout fort ce que nous savons intimement en notre for intérieur. On nous fragnole autant qu'elle. Nous sommes assujettis aux pouvoirs de ces « assis » qui déploient passionnément « par mille manœuvres minuscules », l'art et la manière de rendre « la vie impossible aux autres ». En les maintenant, non point au travail, il n'y en a plus pour elles et eux, mais dans la précarité jusqu'à 67 ans si possible (allez, 66, après de rudes négociations avec des oligarques syndicaux qui sauront faire valoir qu'ils ont su préserver l'essentiel). Ce n'est qu'un exemple. Vous vivez tous les jours les autres. On nous laisse bien sûr, à la marge, à l'ultra-extrême frange, le loisir de consommer un peu (ou beaucoup pour qui n'a plus le temps mais compense par la. Et comme le conclut Yildune Lévy, « toutes les occasions sont bonnes pour reprendre la rue, même la Fête de la Musique. ». Simplement, il ne nous est pas déjà infligé le niveau d'absurdité tatillonne et proche du sadisme que savent mettre en œuvre les « assis ». Soit celles et ceux qui, comme MAM ou Dati, ou le magistrat instructeur chargé du cas de Yildune, Manon, Julien, Ivan et Bruno, Benjamin, sans compter d'autres à Tarnac, près de Rouen, près de Manosque, et en tant d'autres lieux, s'emploient, à nos frais, en puisant dans les ressources financières que nous consentons, par les taxes ou l'impôt, à leur fournir, à pourrir la vie des autres.
« L'appareil d'État dans tous ses organes se dévoile peu à peu comme une monstrueuse formation de ressentiment, d'un ressentiment tantôt brutal, tantôt ultrasophistiqué, contre toute existence collective, contre cette vitalité populaire qui, de toutes parts, le déborde, lui échappe et dans quoi il ne cesse de voir une menace caractérisée, là où elle ne voit en lui qu'un obstacle absurde, et absurdement mauvais. ». La démonstration de Yildune Lévy est d'autant plus implacable que ce qu'elle décrit, c'est le vrai terrorisme, c'est les méthodes mêmes des terroristes, des preneurs d'otages, de celles et ceux qui organisent « l'état de séparation scrupuleuse qui règne de nos jours, où le voisin ignore le voisin, où le collègue se défie du collègue, où chacun est affairé à tromper l'autre, à s'en croire le vainqueur, où nous échappe tant l'origine de ce que nous mangeons, que la fonction des faussetés, dont les médias pourvoient la conversation du jour, n'est pas le résultat d'une obscure décadence, mais l'objet d'une police constante. ».
Il s'est trouvé, au Monde, des voisins, des collègues, pour défier, en donnant la parole à Julien Coupat, puis à Yildune Lévy, l'organisation terroriste qui les et nous régit pour le compte de celles et ceux qui en retirent les profits. C'est rare. Et sans doute éphémère. En attendant qu'un Philippe Val vienne remettre tout ce monde au pas – et ce n'est sans doute qu'une question de montage financier, de chantages aux postes, de jeux de chaises musicales –, saluons ce sursaut. Sans doute trop tardif, mais au moins, avant de passer à l'ubuesque trappe, réconfortant. Le Monde est déjà mort, mais une partie de sa garde ne s'est pas totalement rendue…
merci de nous informer de la suite de cette hitoire tragique.
la lettre de Mme Levy est tres emouvante.