« Eau chaude, eau froide, eau mitigée, » chantait Boby Lapointe. Très mitigée, l’eau des sondages, quant à une possible démission d’Éric Woerth de son ministère du Travail. En ébullition, celle des consultations des Internautes ? Alors qu’il apparaîtrait que Patrice de Maistre figurait sur la liste des 3 000 évadés fiscaux qu’Éric Woerth ne dément pas avoir consultée, la question d’une très prochaine démission se repose vivement, avec une toute autre acuité. N’est-elle pas finalement « accessoire » ?
L’électorat UMP serait-il sur le point de frissonner et de faire « la part du feu » afin de réduire la pression dans la bouilloire dans laquelle se trouvent les protagonistes les plus évidents du Woerthgate ? Il est sans doute prématuré de le penser, pas tout à fait de s’interroger. Le Woerthgate, c’est depuis le glissement de « l’affaire Bettencourt » à « l’affaire Woerth » et l’émergence du néologisme « Sarkogate », d’abord et surtout une question d’appréciation de l’opinion. Le fameux « nous sommes tous des Éric Woerth » de Xavier Bertrand a conféré une toute autre dimension aux péripéties d’une présumée affaire de financement parallèle de l’UMP.
Au fur et à mesure que l’opinion découvre de nouveaux éléments, d’autres affaires (le micro-parti de Wauquiez qui s’est déplacé lui-même pour visiter un job center à Londres alors que la présence d’un attaché d’ambassade aurait été plus logique, l’absence d’appel d’offres dans la cession d’un hippodrome et d’un golfe à Chantilly alors que des émirs auraient, selon le Canard enchaîné, manifesté leur intérêt…), la pression monte. Les dernières « révélations » n’étonnent même plus. Ainsi que Liliane Bettencourt aurait voulu retirer 500 000 euros en numéraire quatre mois avant l’élection présidentielle de 2007 paraît plus conforme à la réalité telle que la ressent l’opinion que l’éventuel versement d’un « pourboire » au soldat riz-pain-sel, soit à l’ex-trésorier de l’UMP. Ainsi, la divulgation par Le Point que Patrice de Maistre n’aurait fait l’objet d’aucune investigation des services d’Éric Woerth – sa cellule fiscale ad hoc – alors que son nom figurait sur la liste des noms de 3 000 évadés fiscaux brandie souvent par l’ancien ministre du Budget. Que ce soit vrai, faux ou plus vraisemblablement approximatif, incomplet, complexe, n’importe plus, la cause est entendue, en tout cas par l’opinion.
Cette opinion ne se divise plus vraiment entre partisans de l’UMP et opposants, lesquels considèrent tous autant les uns que les autres que, si Woerth avait agi tel que supputé, ce serait admissible et véniel ou, au contraire, qu’il aurait menti, de manière éhontée ou maladroite, et qu’on ne saurait plus l’admettre. Elle se scinde finalement entre celles et ceux qui estiment qu’un grand ménage est non seulement idoine mais nécessaire, et vite, et d’autres qui, pour des raisons diverses, voire des intérêts opposés, ne le souhaitent pas, en tout cas pas dans l’immédiat, ou considèrent que tout changement de têtes UMP ou UMP-like (affidés membres de la « société civile » ou d’autres formations voisines) serait illusoire, superflu.
Revenons sur les sondages et les consultations. Les sondages, comme celui d’Ipsos-Le Point, datent un peu. Début juillet, Éric Woerth aurait gagné quatre points de popularité par rapport à juin 2010 tant bien même enregistrait-il quatorze points d’opinion défavorables. Tout est affaire de présentation et Le Point titrait : « Les Français épargnent Éric Woerth ». C’est à peu près cohérent avec les résultats d’un sondage OpinionWay pour le gratuit 20 minutes de fin juin dernier. Oui, mais, comme en typographie, l’essentiel est dans les détails. Tout d’abord, à la question « Éric Woerth doit-il démissionner du gouvernement ? », les réponses n’étaient pas « oui » ou « non », mais « oui, car les soupçons… » ou « non, car il faut respecter la présomption d’innocence ». Grands principes. Certes, le « oui » permettait aux proches de l’UMP d’exprimer que le fusible devait sauter pour éviter d’ultérieurs approfondissements du Woerthgate. Mais pour beaucoup de démocrates, tous bords confondus, le « non » s’imposait. Mais ce n’est même pas l’« essentiel », c’est le « détail » qui importe. Plus les sondés s’intéressaient de près à l’affaire et aux affaires, plus ils se prononçaient pour une démission, et inversement. Or, ce qui change la donne, c’est qu’au fil des jours, il est devenu impossible d’ignorer l’ampleur du Woerthgate et de se réfugier derrière des principes en faisant fi d’autres considérations, et surtout, de l’affect.
Les consultations sont, elles, rares, mais plus récentes, et les questions plus tranchées. Pour celle du Courrier Picard, c’est blanc ou noir. Au fil des jours, la participation faiblit fortement (quelques « votes » quotidiens seulement), mais le « oui, Éric Woerth doit démissionner » progresse inversement : de 80 à 81 % des premiers jours à ce vendredi 23 juillet à 13:00. Le nombre des indécis reste stable, « infime » ou presque. Alors que pour un sondage CSA-Le Parisien de fin juin, les refus de se prononcer dépassaient le cinquième (21 % des consultés) du panel. Comparaison n’est pas raison et on peut penser que les Picards s’exprimant, plus proches des réalités du et des terrains (de Chantilly dont le ministre est maire), s’intéressent davantage que d’autres à et aux affaires Woerth. Le nombre des répondants est faible (un peu plus de 500), même si le panel de la plupart des sondages (moins d’un millier de consultés, 815 seulement pour OpinionWay) est restreint. Tout autre sans doute sera la participation à l’étude approfondie d’Expression publique. À ce jour et cette heure, « le nombre des répondants n’est pas suffisamment élevé ». En général, ce type de consultation, même en périodes de congés, atteint facilement les 5 000. Sans pouvoir se prononcer sur les « biais » qu’induit une telle consultation, relevons pour qui n’aurait pas fait de solides études de sociologie (ou de mercatique incluant un réel approfondissement des méthodes des consultations ou sondages directifs et non-directifs) que les questionnaires d’Expression publique, avec leurs items dits « pièges » ou faussement redondants, sont en général très finement conçus. Il faut aussi relever que les sondeurs eux-mêmes sont très souvent beaucoup plus nuancés dans leur appréciation de leurs analyses que ce que laissent envisager les titres de la presse en rendant compte. Ainsi Roland Carol (CSA) a-t-il considéré que l’UMP est allée trop loin dans la défense d’Éric Woerth pour se sortir, par une démission, de « cette véritable impasse politique ». Frédéric Dabi (Ifop), lâche le morceau : 18 des 20 points de notoriété acquis par Éric Woerth entre juin et début juillet correspondent à de « mauvaises opinions » (cité par le quotidien L’Alsace, moins impliqué que certains titres de la presse nationale).
La question de la démission de Woerth, ou d’un drastique, total remaniement, et celle plus générale de la confiance que les Françaises et les Français accordent aux protagonistes du Woerthgate en vrac n’est pas encore tout à fait posée. Pour le cas d’Éric Woerth, en revanche, un indicateur significatif est que « près d’un tiers des sympathisants UMP, » selon l’institut LH2 (pour Le Nouvel observateur), considèrent, en substance, qu’il a menti et ment. Ce qui ne veut pas dire qu’ils approuvent ou désapprouvent ces présumés mensonges. Ce sondage est récent (9 et 10 juillet). Il marque ce qu’on pourrait analyser trop grossièrement comme un retournement de situation : seuls 19 % des sondés souhaitent que Nicolas Sarközy exige la démission d’Éric Woerth. Là aussi, tout est dans le détail. Qui souhaite que le Woerthgate « plombe » durablement Sarközy et l’UMP, qui souhaite qu’au contraire sa démission apporte « une bouffée d’air » au président et à l’UMP, qui considère que de toute manière, plus rien ne suffira vraiment à changer la donne ? Qui, au fond, estime que doter de nouveaux venus de points de retraite de ministres est superflu ?
Le sondage Vivavoice du Journal du dimanche, qui tend à estimer que 64 % des Français estiment que « les dirigeants politiques sont plutôt corrompus », et moins d’un tiers (29 %) « honnêtes » peut induire l’hypothèse que changer de fusible(s) n’est pas si adéquat. Remplacer un Jean-Marie Bockel (Gauche Moderne) qui a engrangé 62 000 euros de dons de personnes physiques et 108 000 de la part de tierces « formations politiques » (d’autres micro-partis proches de l’UMP ? Allez savoir…) par un clône chargé de l’administration pénitentiaire ou des Anciens combattants ? À quoi bon si la Françafrique, dans laquelle il faisait figure de gêneur en tant que chargé de la Coopération (vocable sénégalais synonyme de magouille), reste pilotée depuis Levallois (Balkany) ou l’Élysée ?
À quoi bon remplacer L’Oréal par un autre groupe pour financer la Fondation Carla Bruni (qui selon The Daily Mail a reçu de Lancôme, filiale L’Oréal, 500 000 euros pour des activités médiatiques dont l’effet est incertain, qui ont aussi bénéficié de 500 000 autres euros de la part de la financière Goldman Sachs Trading Corps) ?
L’évolution des sondages et consultations est une chose. Leur présentation par la presse est tout autre, et il ne faut surtout pas s’en tenir aux titres, trop souvent simplificateurs à l’extrême et très fréquemment contredits par la teneur même des articles. Tout comme le titre du Monde voulant qu’Éric Woerth n’aurait pas bradé le domaine forestier de Chantilly est contredit par ce qui suit (et les précisions ultérieures du Courrier Picard et du Canard enchaîné), les titres traduisent surtout les directives des directions des rédactions selon des intérêts qui ne sont pas toujours celui d’une meilleure compréhension des faits, ou d’un coup de pouce aux ventes. Ces indicateurs, en revanche, donnent l’occasion de réfléchir. Anne Hidalgo (PS) s’est affirmée « hostile à tous les lynchages publics et médiatiques ». Mais s’il ne s’agit que d’offrir une pause à La Lanterne, la résidence élyséenne, à des époux Woerth dont les soucis de financement de leurs retraites sont peu cruciaux, et dont la présence dans les médias « commence à suffire », le terme semble quelque peu exagéré. C’est pourtant ce qui, pour France-Soir, a donné la matière d’un titre surmontant un entretien portant sur nombre de questions dont celles relatives aux feux rouges de la rive droite parisienne, aux immeubles de grande hauteur, à l’aménagement des berges de la Seine, de Roland-Garros et du Stade Jean-Bouin.
Le réel ne serait-il pas au-delà de ce qu’impliquent les conflits entre magistrats, mère et fille Bettencourt, partis ou micro-partis, que dans le Woerthgate, « affaire de tous les excès, de tous les conflits, » selon Me Metzner pour France-Soir, que, comme le résume le titre de l’entretien, au fond, « Woerth, on s’en fout ! » ? Effectivement, la question de la démission du ministre, voire aussi du maire de Chantilly, pourrait devenir « accessoire ». Le Woerthgate, selon les termes d’Éric Woerth, c’est que le reste, tout le reste, les affaires de financement du Front national incluses, « ça commence à bien faire ! ».
P.-S. – faire figurer cette contribution dans la rubrique « Vacances et voyages » n’est pas fortuit. On peut estimer que les époux Woerth, au lieu de se répandre dans les médias, gagneraient à se réfugier, sans masque de fer, à La Lanterne, résidence élyséenne, ou à La Cavalerie, au Cap Nègre, petit gîte rural géré par un certain Gilibert, de la Société des courses de Compiègne, qui se fera un plaisir de faire connaissance avec le maire de Chantilly, qu’il n’a « jamais rencontré ». On peut douter qu’il y côtoiera les émirs qui, selon Le Canard enchaîné, se seraient montrés intéressés par l’acquisition de l’hippodrome et du golf. Mais il risque de croiser leurs épouses sur la plage.