Difficile, pour les vacanciers français à l’étranger, d’oublier le Woerthgate. Certes, aux États-Unis, le New York Times a titré sur la xénophobie, au Royaume-Uni, ce fut le Guardian, sans trop glisser les noms de Bettencourt ou Woerth dans les mêmes articles ou éditions. Mais même dans les belles régions « françaises » périphériques, tout comme dans les destinations de vacances plus lointaines, difficile de ne pas se faire interpeller sur le mode « ¿L’Oréal, que tal ? ». Autour des barbecues, dans les campagnes françaises, l’actualité dominicale fournit de quoi parler d’autre chose… Après les Rroms, les polygames de fait…


Du côté du Mont Parnasse (Grèce), comme à Montparnasse, on entend : « Yvonne, fais la valise, on rentre à Plougastel, Sarközy y veut plus du traité du Plessis-Bourré ! ». Ce sont nos Bretons de la diaspora qui parodient George Marchais (« Liliane… on rentre à Paris, Mitterrand il veut plus de l’Union de la Gauche… »). Les dernières subtiles saillies de Nicolas Sarközy sur les Rroms et autres « gens du voyage » ont inquiété nos Keveren et nos Gaëlle du bout du monde. Et s’il s’avisait de nous retirer nos passeports français ? Breton « souchien » (trois grands-parents bretons, un Celto-Ardennais), moi aussi, je commence à m’inquiéter : serais-je bientôt, à ce train, apatride ? Autant le vivre au pays breton. Il n’y a guère que les Ciganers (comme Cecilia Ciganer-Albaniz, ex-épouse Sarközy), ces Tziganes de Roumanie, à ne pas trop le prendre au sérieux. Le retour des lointains parents de la diaspora dans les palais de quelque 40 pièces sur trois étages du Banat ou de Transylvanie ne fait pas trop jaser autour de l’âtre, le soir à la veillée.  On en a vu d’autres, on est parfois au mieux avec les Bettencourt, les Woerth, les de Maistre du cru, tout Rrom qu’on puisse être. Il ne faut pas confondre xénophobie et détestation de la plèbe, racisme et haine des gueux. On finira peut-être par organiser des nocturnes aux Galeries Lafayette pour que les femmes voilées puissent faire leurs emplettes accompagnées de seuls costauds eunuques, mais il ne suffira pas de porter une burqa pouilleuse pour y être admise.

 

En revanche, en Galice, autre pays celte, El Xornal de Galicia titrait encore ce dimanche « L’Oréal desmaquilla Woerth ». « Le labyrinthe des querelles familiales s’est transformé en scandale politique », détaille le quotidien de Pontevedra. Si on passe la frontière, voilà que l’accession de José Eduardo Fragoso Taveres de Bettencourt à la tête « do Sporting » suscite des questions adressées au touriste français de passage. Ce très catholique et désormais cathodique richissime financier ne serait-il pas un parent d’André Bettencourt ? Ernesto Ferreira da Silva a considéré que son élection était la « réponse à une campagne propre », et au Portugal, cela évoque des échos. Même en Alsace, les Dernières Nouvelles évoquent au passage Liliane Bettencourt dans un rappel estival des dossiers pour abus de faiblesse. Le Woerthgate risque bien de devenir un « marronnier » (article récurrent) collant aux basques de Nicolas Sarközy bien au-delà de 2012. Même la très peu suspecte d’impertinence Radio France Internationale ne peut s’empêcher d’évoquer la « diversion », occultant le Woerthgate, que pourrait être le thème des « gens du voyages » développé par Nicolas Sarközy.

 

N’empêche, autour des barbecues des campings et des résidences secondaires françaises, le Woerthgate reste une notion floue, car ce qu’on a pu en voir ou entendre dans les étranges lucarnes n’est pas propice à prendre conscience de son ampleur. Pour l’essentiel, on a compris. D’ailleurs, la consultation du Courrier Picard au sujet de la démission de Woerth a fait passer doucement la proportion des répondants favorables à son départ de 81 % à 82 % ce dimanche. D’ailleurs, celle d’Expression publique renforce les tendances avec désormais près de 4 500 réponses : 71 % des répondants ne considèrent pas Nicolas Sarközy honnête, et c’est 66 % pour Woerth tandis que 65 % ne souhaitent pas son maintien au gouvernement (56 % souhaitant qu’il se démette dès cet été).

 

Si 23 % des réponses à la consultation d’Expression publique confèrent encore à Éric Woerth une aura d’« honnêteté » (9 % restant sans opinion, 1 % ne se prononçant pas), c’est qu’il faut faire les parts des choses. Celle du soutien mordicus au fusible renforcé au point de risquer de faire cramer le compteur présidentiel. Celle qui conduit à râler contre le démantèlement de l’hôpital public tout en prenant encore la fraude fiscale pour un sport national sans conséquence fâcheuse. Celle qu’on doit à une désinformation par omission, et qui n’est pas la moindre de ces parts. Décortiquer les participations des grandes fortunes françaises dans les sociétés de paris en ligne n’a rien de très sexy lorsqu’on présente le journal télévisé. S’intéresser à Sébastien Proto, qui se fait de plus en plus discret, et aux relations de ce chef de cabinet avec Antoine Arnault (LVMH, Betfair, Betwin…), ce n’est pas un « angle » très porteur : on lasserait le panel de l’audimat. Et puis, bien sûr, l’honnêteté s’apprécie différemment, c’est une notion un peu floue. Je considère que l’honnêteté intellectuelle d’Éric Woerth n’est pas en cause : tout ce qu’il fait ou dit correspond à sa « propre » notion de cette vertu qu’il confond peut-être avec la loyauté qui l’a fait passer sans broncher du financement d’une possible campagne présidentielle d’un Juppé à celle d’un Sarközy. Ne pas trahir ses intérêts ou ceux des siens, c’est une forme d’honnêteté. De même, sans me sentir trop malhonnête, la primauté, à mes yeux, de la présomption d’innocence sur d’autres considérations fait que, si j’étais sondé, je me classerais dans les « sans opinion » sur la question d’une éventuelle culpabilité d’Éric Woerth.

 

J’estime en revanche que si mes interlocutrices ou questionneurs autour des barbecues de l’été disposaient d’un véritable organigramme complet avec noms, dates, lieux, nature des relations entre les protagonistes du Woerthgate, mes « sondages » sauvageons dégageraient une autre perception du pouls de l’opinion. Cet organigramme est trop complexe pour tenir dans une quadruple page centrale insérée en dépliant au pli central des magazines. Et il faudrait un long panoramique pour en faire une infographie télévisuelle digeste.

 

Tentons cependant d’en donner quelques entrées ou repères. Nous aurions ainsi…

 

Amiel, Eva (Nordlund, baronne Gilles Amiel) – C’est la banquière de Patrice de Maistre et son époux, le baron Gilles, le côtoie à l’occasion au Jockey Club. À la BNP, elle est chargée du secteur du « luxe », donc des comptes du groupe LVMH de Bernard Arnault. Elle appartient au Maxim’s Business Club, qui se réunit, en réservant sous le nom de Cercle MBC, au Fouquet’s, du groupe des casinos Barrière. Le Cercle MBC a une branche suisse. Nadine de Rothschild se rattache à la branche suisse, Jean Poniatowski fait le lien entre les deux branches. La baronne est une amie proche de la sœur de Patrice de Maistre. Détails sur Bellacio.org. La famille se rattache à la noblesse d’Empire (Napoléon Ier puis Napoléon III).

 

Ouart, Patrick – Conseiller privé de Nicolas Sarközy pour les affaires judiciaires depuis le gouvernement Balladur (Nicolas Sarközy est alors ministre du Budget) jusqu’en 2009. Redevenu membre du comité exécutif du groupe LVMH (Bernard Arnault, père d’Antoine, beau-fils de Maistre).

 

Proto, Sébastien – Ancien, comme Éric Woerth et d’autres, du cabinet Arthur Andersen. Inspecteur des finances, arrivé selon ses dires, dans la campagne présidentielle de Nicolas Sarközy grâce à « des contacts » qui pourraient être la famille Bernard Arnault, de Sérigny ou de Maistre. Initié aux affaires de l’État, immobilières entre autres, par André Santini qui vient de remplacer Christian Blanc à celles de l’aménagement du « Grand Paris » (mutuel urbain peut-être aussi…). En charge auprès d’Éric Woerth de divers dossiers, dont celui des paris en ligne. Ami d’Antoine Arnault, beau-fils de Maistre, dont il partage les villégiatures corses et les virées en mer sur un yacht sous pavillon de complaisance.

 

Woerth, Florence – Fondatrice d’une écurie de course, Dam’s. Préside aux destinées de la Fondation Condé, institution hospitalière gériatrique de Chantilly, ville dont le maire est son mari, distante d’une quarantaine de kilomètres de Compiègne, ville qui compte trois maisons de retraite propriété d’Antoine Gilibert, président de la Société des courses de Compiègne, attributaire d’un domaine comprenant un golf et un hippodrome.

 

Abrégeons, tant pour les noms que pour le descriptif de leurs divers intérêts, souvent « respectifs ».

Passons aux lieux qui pourraient inclure le Cap Nègre (Villa Mauresque, à La Cavalerie, ou Antoine Gilibert organise une régate à la mémoire du frère de Carla Bruni), Chantilly bien sûr, la Corse (voir ci-dessus), mais aussi des hôtels parisiens dotés de salles de réunions, Vevey pour le versant L’Oréal-Bettencourt en Suisse, Singapour, diverses îles dotées de gouvernements propices à créer des places financières, &c.

 

Une date, une seule, peut-être ? Ou plutôt une période…

 

199?-1994 – Période l’apparition flagrante d’un dénommé Banier dans l’entourage très proche d’André Bettencourt, et non de Liliane Bettencourt, qui ne manque pas de chevaliers servants à peine moins discrets. Ce n’est que lorsque le passé collaborationniste d’André Bettencourt le rattrape et qu’il commence à mettre en avant Liliane et Banier que cette association fructueuse (mais on se demande bien pour qui ? Possiblement aussi pour Sir Lindsay, patron de L’Oréal…) monte en puissance. La fable d’une Liliane Bettencourt évaporée, rencontrant Banier dès le milieu des années 1980, et s’entichant de lui, est ensuite savamment élaborée. Banier n’est alors qu’un vibrion comme tant d’autres autour des Bettencourt. Certes, François-Marie Banier a « tapé la plaque » de Liliane dès 1987 : il fait alors des portraits photographiques de tous les « pipeule » du Tout-Paris. Mais le montage de trois sociétés immobilières communes à Banier et Liliane Bettencourt n’intervient qu’à partir de 1997. Entre-temps, André Bettencourt – et non Liliane – organise ses placements. La seule question qui vaille d’être posée dans ce volet, c’est qu’elles sont les contreparties consenties par Banier et à qui (particuliers, sociétés, fondations…), et sous quelles formes ? L’île d’Arros n’est pas une libéralité, une tocade, mais un montage financier complexe, avec tout d’abord une acquisition largement surévaluée. Le vendeur et l’intermédiaire ont-ils été les seuls bénéficiaires de cette forte différence entre le prix estimé et le prix de cession ?

 

L’organigramme est en fait tentaculaire. Récemment, la presse, au sujet des affaires de succession, citait celle du père d’Arnaud Lagardère, Jean-Luc. Arnaud, « frère » de Nicolas Sarközy selon ce dernier, fut aussi membre du CA d’EADS, et réalisa un joli coup boursier. Il déclara alors, en juin 2006 : « J’ai le choix entre passer pour quelqu’un de malhonnête ou d’incompétent, qui ne sait pas ce qui s’est passé dans ses usines, j’assume cette deuxième version… ». Ce n’est pas tout à fait du Woerth avant l’heure, mais cela pourrait y ressembler très fort.  Transposons : « qui ne sait pas ce que fait sa femme, ce qui s’est passé dans ses divers ministères. ». La sortie du livre de Jean Galli-Douadi sur les affaires Clearstream et EADS, mais aussi sur les passations de marchés dans divers ministères, viendra à point, ce mois d’août, pour éclairer les ressorts d’une omerta liant la haute-fonction publique aux dirigeants politiques. Comme le disait Patrick Baudoin, syndicaliste, lors de la chute boursière d’EADS : « On demande à l’État ou à des organismes parapublics de financer, puis quand l’entreprise est remise à flot, on livre alors le morceau à des groupes privés ou à des fonds de pension. ».  Le morceau, et ses bénéfices, sont alors, de manière très souvent opaque, répartis hors du contrôle du fisc, ou bénéficient de niches fiscales, d’arrangements concertés, &c. Mais quand un procureur Courroye est désigné ou se désigne, les mémoires flanchent, plus personne ne sait plus trop qui a décidé quoi, comme dans l’affaire Galli-Douadi , dont il eut à connaître, comme dans le Woerthgate, dont il s’est emparé. L’organigramme se réduit alors à des Banier, des Bettancourt.

 

Alors, autour des barbecues, on pense et passe à autre chose, on parle de retourner en Bretagne, on se dit que, « de toute façon, on n’y peut rien… », puis il se trouve toujours quelqu’un pour évoquer un Liès Hebbadj, le Nantais dont les femmes voilées lui verseraient le montant de leurs allocations familiales. Ce genre de détournement d’aides publiques à des fins d’enrichissement personnel est très facile à comprendre, à exposer dans la presse. Nationaliser les pertes (des régimes sociaux), privatiser les bénéfices, faire couvrir les déficits par des taxes, laisser s’évader les profits, c’est toujours d’actualité. Mais c’est complexe. Les merguez sont halal, on n’en a plus cherché ou trouvé d’autres au supermarché, mais elles sont goûteuses quand même. Si elles sont plus chères, elles rapportent davantage de TVA, et il faut bien payer les pompiers si on venait à renverser le barbecue par inadvertance, sinon, bientôt, ce serait comme en Russie, où les pompiers ont fini par se chercher un autre boulot. Liès Hebbadj a été déféré dimanche après-midi devant le parquet de Nantes. Éric Woerth n’ayant pas souhaité de caméras pour le suivre à Chamonix, on s’en contentera pour le journal de 20 heures…