Woerthgate : stratégie de la tension, tactique de l’inattention…

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Le Monde, sous la plume de Françoise Fressoz, vient d’exprimer ce que, de la « gauche » de l’UMP ou de divers partis de droite (FN inclus peut-être) à la « gauche de la gauche », tout le monde ou presque finit par penser. Sous le titre « Les colères du président », elle dénonce une stratégie de la tension. L’inattention aux « détails » qui font la vie d’une majorité d’électrices et d’électeurs n’en est que plus flagrante.

Juste un extrait de ce billet de Françoise Fressoz (l’intégrale devrait rester, à mon sens, au moins quelques jours en ligne et libre d’accès) : « C’est comme si l’Élysée était devenu un volcan cracheur de feu. Et, par capillarité, c’est le pays tout entier qui se retrouve en tension. Dans la France d’en bas, on s’inquiète du désordre qui s’est installé au sommet de l’État. ». Cette surenchère permet à présent à un Roger Heurtebise, de Riposte laïque, de titrer « Combien de Français blancs devront encore mourir avant que vous agissiez, Messieurs Sarkozy et Hortefeux ? ». Même Jeanne-Marine Le Pen n’oserait pas… ou peut-être, pas déjà. À Valence, Matthieu Guillon, 27 ans, est décédé le 16 septembre. Il a été agressé par des amis d’Amri Redha, dont on suppose qu’il a fait chuter sa victime en le menaçant d’une fourchette… Même la section FN de Villeurbanne (la plus active qui soit proche de Valence, et la base est presque toujours plus virulente que le national) n’en a pas encore fait état. Peut-être parce que « ses parents ont foi en la justice et ne veulent surtout pas que cela [une marche de soutien, dimanche] dérape » (déclaration au Dauphiné Libéré), mais n’en présumons pas gratuitement.

 

Constatons simplement que plus Nicolas Sarkozy déclare la « guerre » aux délinquants, plus il entretient, sur de multiples fronts, une stratégie de tension, plus il se trouve de « bonnes âmes » pour surenchérir. Au point que, peut-être, la candidate du FN finira par paraître beaucoup plus maîtresse d’elle-même et en possession de ses dossiers que l’imprécateur négligeant qui la pousse à une possible outrance qu’elle se préserve bien d’exprimer. Un second tour 2012 opposant PS élargi à un FN lui aussi élargi par des renforts de voix exprimant un « plus jamais cela » ? L’hypothèse a été avancée, on verra.

 

L’insécurité est un problème vécu et surtout ressenti tant par le corps électoral que la population résidante au sens large, ni Nicolas Sarkozy, ni ses successeurs au ministère de l’Intérieur (dont la marge de manœuvre consiste à atténuer, si c’est possible, la portée de ses foucades), n’ont réussi à lui apporter un remède. Éric Le Douaron, nommé à Grenoble sur un « coup de sang » présidentiel, à fait ce qu’il lui a été dicté de faire : « descentes à grand spectacle », suivies de convocations « des caméras », résume Le Canard enchaîné. Ajoutons sans doute des interpellations vexatoires, et retirons peut-être aussi de la présence effective et suivie des effectifs sur le terrain du quotidien.

 

Lorsque l’USM (le syndicat majoritaire des magistrats), a plus ou moins sommé MAM de répondre vertement aux remarques d’Hortefeux, Marie-Pierre de la Gontrie (PS) a aussitôt embrayé en dénonçant la « fébrilité » du ministre de l’Intérieur et enchaîné : « Désigner les magistrats comme boucs émissaires de sa propre inefficacité est inacceptable : la réalité, c’est la disparition de 11.000 policiers, c’est la disparition de la prise en charge de mineurs délinquants faute de moyens, c’est la paupérisation de la justice. ». Tension et fragilité, rodomontades et poudre aux yeux… l’argument, hier convenu, est repris au sein même de l’UMP (et pas que par les villipinistes), avec parfois des accents hugoliens évoquant Naboléon, dans les buvettes des deux chambres, entre soi…

 

 

Mais il n’est pas que l’insécurité qui préoccupe le corps électoral. Or, pour la réforme des retraites, Nicolas Sarkozy a fait passer en force les désidératas avouables ou inavoués de la bancassurance. Or, sur l’emploi, son bilan n’est plus maquillé de manière crédible. Et même sur l’accession à la propriété, peu propice à la mobilité des salariés, susceptible de propager de nouveaux germes de déséquilibres financiers, il reste critiquable. Finalement, hormis les non-fumeuses et non-fumeurs réellement indisposés, et quelques bénéficiaires de niches fiscales qui subsisteront, qui est satisfait de ses poussées de fièvre ? Tactiquement, c’est l’inattention à toute chose qui ne lui semble pas un « élément de langage » favorisant, croit-il, sa réélection, qui le caractérise. En coulisses, peut-être escompte-t-il des retombées positives de ses expulsions d’étrangers dont le coût profite aussi à des groupes privés dont il a favorisé le quasi-monopole, tout comme Éric Woerth espérait peut-être que ses « facilitations » inavouées lui vaudraient des bénéfices qui ne soient pas que symboliques. France 24 reprend aussi le terme de tension avec un débat sur « un gouvernement sous tension ». Lequel, surtout, néglige tout ce qui ne se rapporte pas à sa survie. Benoît Hamon, pour Le Point, renchérit : « Tout échappe à Nicolas Sarkozy, il est devenu incontrôlable, il ne contrôle rien. ». Autre petite phrase de Hamon qui fait mouche : « Sarkozy prône la tolérance zéro pour tous les Français, sauf pour lui et ses amis. ». Ou sauf pour sa famille, qui n’est pas que politique. Ajoutons à cela que les Françaises et les Français n’ont pas pour Nicolas Sarkozy les yeux d’une majorité précaire de l’Italie pour Berlusconi : « je vous plains, » disait voici peu un Turc à l’un de mes compatriotes, et ce dernier n’a pu que soupirer. Le Petit Journal (.com), le « média des Français et francophones à l’étranger », repris par Mediapart, titre : « France – le pays le plus détestable au monde ? ». « Le Sarkozy bling-bling du début de mandat adoré par les médias internationaux, n’est plus que l’ombre de lui-même, et encore heureusement qu’il y a Carla, » estime Damien Bourhours. Et allez donc évoquer la corruption avec des Roumaines et des Roumains à présent ! Le jour où les arrangements relatifs aux expulsions transpireront dans les presses roumaine, moldave, bulgare, finirons-nous par nous rendre dans les centres culturels français en catimini, histoire de ne pas surprendre des sourires narquois ?

 

En fait, hormis les riches donateurs de Suisse ou des États-Unis, les Françaises et Français de l’étranger, ou les visiteurs, se sentent aussi tendus et négligés. Ils espèrent aussi que Kouchner n’héritera pas de leur ambassade. Et pour ceux de l’hexagone ou des départements d’outre-mer, quel que soit la ou le futur Premier ministre, le sentiment que la tension subsistera et que l’inattention perdurera est vivement, majoritairement, ressenti. Au Japon, le Premier ministre, placé dans la position de Nicolas Sarkozy, aurait démissionné, il y a eu des exemples dans d’autres pays. On attend… mais quoi ?

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

5 réflexions sur « Woerthgate : stratégie de la tension, tactique de l’inattention… »

  1. Commentaire de Nicholas Domenach sur [i]Marianne2[/i] :
    « [i]Ce n’est certes pas un sondage, mais la plupart des passants que je rencontre ou qui m’interpellent dans la rue, ne se sentent pas fiers. Ils se disent même honteux. Comme s’ils étaient désormais gouvernés par Berlusconi. Ils ont la tête basse. Plus basse encore qu’après la victoire à [/i]« la triche » [i]de l’équipe de France contre l’Irlande, ce n’est pas peu dire…[/i] ». Fermez le ban…

  2. Cela étant, traduction de Gilles Bruno, de [i]L’Observatoire des médias[/i], des propos d’Umberto Eco au sujet de Berlusconi (c’était en juillet) :
    « [i]L’histoire a été pleine de l’aventure d’hommes aventureux, non dénués de charisme, avec peu de sens de l’État, mais avec une très haute estime de leurs propres intérêts, qui veulent établir un pouvoir personnel, sans passer par les parlements, les magistrats et les constitutions, distribuant des faveurs à leurs courtisans et (parfois) à leurs courtisanes, en définissant leur plaisir avec l’intérêt de la communauté.
    Le fait est que ces hommes n’ont pas toujours conquit le pouvoir auquel ils aspiraient, parce que la société ne leur avait pas permis. Lorsque la société leur a donné son consentement, pourquoi blâmer ces hommes et non pas la société qui les a laissé faire ?[/i] ».
    Oui, pauvre France…

  3. Intéressante, la conclusion du Parisien à propos de son sondage CSA (Rroms : 56 % approuvent l’Europe) :
    « [i]Alors que la gauche approuve massivement l’UE (85 %), le peuple de droite juge nettement (71 %) qu’elle n’est pas dans son rôle et n’attache qu’une faible importance (à 64 %) aux critiques internationales.
    Si la fermeté affichée sur les Rroms visait avant tout à ancrer le cœur de son électorat, la séquence de l’été serait donc loin de constituer un échec pour le locataire de l’Élysée. Mais elle a ébranlé la cohésion nationale[/i]. »
    On ne va pas en déduire que Sarkozy a fait reculer la droite, et qu’une partie de l’électorat de Sarkozy se classe à présent à « gauche ».
    Mais on relèvera la contradiction avec les résultats de l’opportun récent sondage OpinionWay-[i]Le Figaro[/i], dont l’intitulé de la question « insufflait » peu ou prou la réponse, et qui tendait à établir qu’une majorité ne désapprouvait pas Sarkozy sur la question des « reconduites accompagnées » des Roumaines et Roumains.
    Inutile de « tirer à soi » un sondage qui, pas plus qu’un autre, n’est très fiable en raison de l’échantillonnage de son panel (trop peu d’interrogés par tél. fixe).
    En revanche, un sondage après lecture d’un exposé sur les coûts par tête des expulsions avec le détail de la répartition des frais et des bénéfices d’une opération à coût moyen risquerait d’être amusant. Cela dépasserait sans doute le clivage droite-gauche.

  4. « On arrête tout, on réfléchit », titre [i]Mediapart[/i] qui ne rajoute pas, comme les partisans de l’an 01, « et c’est pas triste ».
    Il y a bien sûr comme une relation symbiotique entre le [i]Mediapart[/i] de Niel et [i]Le Monde[/i] de Niel.
    Toujours dans [i]Mediapart[/i], Mathieu Potte-Bonneville (sociologue) : « [i]Dans le même temps, s’efface du paysage le risque de voir évoqués les liens privés entre le pouvoir et ses soutiens – ce n’est pas seulement qu’une affaire chasse l’autre, et que les campements roms font oublier les terrains de Chantilly ; il s’agit surtout de changer de registre, de rendre en quelque sorte à l’État sa majuscule en se positionnant sur le terrain du maintien de l’ordre, terrain où la distinction est la plus nette entre l’État et la société.[/i] »
    Il ne faut pas prendre Merkel ou d’autres pour des niais. Ils prennent Sarkozy pour ce qu’il est, un « jean-foutre », et Berlusconi pour Berlusconi. La cohésion européenne n’est pas en danger parce que les soutiens provisoires de Sarkozy, comme Albert Frère par exemple, voire le Québécois Desmarais, imposent leur vision européenne et que les gesticulations de l’absence de politique intérieure de Sarkozy ne leur font ni chaud, ni froid. En revanche, l’électorat est sensible à de petites choses. Je n’étais pas particulièrement gaulliste, mais je me souviens qu’en 1967, je pouvais pérégriner en Iran, Irak, &c., sans pour autant me voir regarder avec suspicion si, en Irlande, je sympathisais avec des sabras israéliennes en permission. Ce n’est pas Bush qui aurait pu me mettre en froid avec mes amis Américains ([i]some more Liberty fries, old chums ?[/i])qui savaient à quoi s’en tenir sur les relations famille Bush-famille Sarkozy. Ce genre de petite chose joue tant à droite qu’à gauche, et sans le moindre sondage, j’estime que cela aura son importance en 2012. Bien davantage, hélas sans doute, que les doctes analyses de [i]Mediapart[/i].

  5. Stratégie de la tension, suite (et pas fin).
    Je prends avec des pincettes les analyses de Thierry Meyssian.
    Mais quand même :
    « [i]En définitive, rien, absolument rien de la version Lévy-Sarkozy de l’histoire de Mme Sakineh Mohammadi-Ashtiani, n’est vrai. Peut-être Bernard-Henry Lévy a t-il relayé de bonne foi des imputations fausses qui servaient sa croisade anti-iranienne. Le président Nicolas Sarkozy ne peut invoquer quant à lui la négligence. Le service diplomatique français, le plus prestigieux du monde, lui a certainement adressé tous les rapports utiles. C’est donc délibérément qu’il a menti à l’opinion publique française, probablement pour justifier a posteriori les sanctions drastiques prises contre l’Iran au détriment notamment de l’économie française, pourtant déjà gravement blessée par sa politique.[/i] ».
    Mais quand même : le « voyou de la République » n’est pas raciste (sinon, il n’aurait pas épousé une Ciganer), mais voyou.
    Voir quand même les arguments du réseau Voltaire :
    [url]http://www.voltairenet.org/article166999.html[/url]
    Voir aussi :
    [url]http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/ce-mensonge-sur-la-lapidation-en-79904[/url]
    Cela étant, certains arguments, notamment sur le nombre d’étudiantes dans les universités, manquent de consistance : qui peut s’offrir une inscription universitaire en Iran ? Les familles de celles et ceux qui envoient le fils étudier à l’étranger et la fille en Iran ?
    Les prostituées ayant besoin d’une couverture sociale, comme le dénoncent des sites anti-iraniens ?
    En revanche, oui, on peut penser que jamais Carla Bruni n’aurait mêlé sa voix à celles et ceux qui condamnent l’Arabie saoudite (cliente et accueillante pour un corps expéditionnaire français sur son sol) :
    [url]http://www.amnestyinternational.be/doc/article5361.html[/url]
    Ne pas dédouaner l’Iran, mais cesser de se laisser prendre pour des niais (voir [i]supra[/i] ce qu’en dit Umberto Eco).

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