Mediapart, avec un article de Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme, revient sur « Les vérités du majordome face aux enquêteurs ». On pourra lui préférer les entretiens de Stéphane Alliès avec divers participants du film Après la gauche ou les témoignages de l’édition participative « Vivre à gauche ». Car le Woerthgate lasse. Mais tout dépend de la manière dont on en « tire le fil ». On peut d’ailleurs le prendre pour prétexte à fabulations et romans… roses-noires.

« “J’ai choisi les rendez-vous avec M. de Maistre, Me Normand (le notaire), Me Goguel (l’avocat fiscaliste). Ce sont les enregistrements que j’ai fait ensuite graver, car je ne savais pas le faire moi-même, par M. Philippe Dunand. ” Philippe Dunand, informaticien de son état, était connu de Pascal Bonnefoy puisque c’est aussi le compagnon de l’ancien comptable des Bettencourt, Claire Thibout. » C’est l’un des extraits de l’article de Mediapart que je me préserve de « pomper » tout à fait.

 

Suivent quelques détails sur l’état de santé de Liliane Bettencourt qui, selon le majordome, se dégrade à partir du décès d’André Bettencourt, en novembre 2007. On comprend pourquoi François-Marie Banier tient tant à ce que la justice dise que, pour la majorité des faits le concernant, antérieurs à 2008, il y a lieu de passer l’éponge.

 

Liliane Bettencourt fait des malaises, demande son chauffeur, Jean, décédé depuis cinq ans, se croit à Neuilly alors qu’elle se trouve à Formentera (Baléares), &c. François-Marie Banier n’est jamais très loin. Il se trouve en août 2009 à Formentera, et il insiste pour que Liliane Bettencourt tienne sa fille, Françoise Bettencourt-Meyers, à distance. Conclusion de Pascal Bonnefoy : « Je veux dire que je suis écœuré et révolté que des gens d’un âge mûr, qui sont MM. Banier et de Maistre, pour les principaux, en connaissance de cause (protecteurs, tuteurs), se cachent derrière une femme fatiguée et fragile, et n’aient pas le courage d’assumer leurs actes (blanchiment, abus de faiblesse, paradis fiscaux). »

 

Mais Liliane Bettencourt n’était pas si « isolée » qu’on pourrait le penser. Il y avait d’autres visiteurs à Neuilly, Formentera, Arros (dont des médecins). Il y avait Éric Woerth, incidemment, mais aussi de Carolis, alors patron de France Télévisions, et sans doute beaucoup, beaucoup de personnages du Gotha, qui se sont certainement aperçus de quelque chose. Et ne se sont pas tus, se sont sans doute confiés à leur entourage, qui a sans doute été en contact avec des policiers, des magistrats, &c. Bref, de longue date, la plupart de celles et ceux qui pouvaient ou devaient savoir savaient, ou se doutaient. Se retrouver appelés à témoigner à une barre de tribunal, lire son nom dans la presse ne doit guère réjouir toutes ces figures du Bottin mondain. C’est une publication amusante, dont les auteurs relèvent : « certains de nos membres ont en effet la fâcheuse habitude de transformer le Bottin Mondain en champ clos de leurs différends familiaux ou relationnels. ».

 

Il est possible qu’une majorité des membres de l’annuaire du Cercle européen n’ait pas été vraiment au fait de ce qui se tramait autour de Liliane Bettencourt, mais gageons qu’une minorité « nécessaire », voire « suffisante », était au parfum. Pas forcément tous les membres du Comité d’honneur : Yves-Thibault de Silguy, Pierre Cornette de Saint-Cyr, Ivan Rioufol, Christian Saint Étienne, Jean-Jacques Bonnaud, Marc Touati, François de Witt, Arnaud de La Grange, Janez Sumrada, Robert Toulemon, Bernard Debré, Luc Ferry (une belle citation de ce dernier : « Ça me fait de la peine même ; que le show-biz le plus bête, le plus médiocre, s’introduise dans la politique, c’est désespérant […] Ça me fait vomir ! »). Mais on peut supposer qu’au moment des desserts et des cafés, lors du prochain dîner-débat du Cercle européen (c’est peut-être subventionné, vu le prix modeste des couverts, 42 euros pour les membres, 55 pour les autres…), là, entre soi, quelques-unes et quelques-uns pourront y aller de leur anecdote sur Banier et Liliane Bettencourt. Benoît Linéro, photographe-portraitiste des membres du Bottin, par exemple ? C’est peut-être exagéré : il n’y a pas la moindre trace d’une exposition de Banier sur le blogue-notes culturel du Cercle européen. On lui préfère Philippe Perrin et ses autoportraits « d’un artiste tour à tour voyou, brigand, boxeur, victime. ». Les discrets encanaillages de bon ton ont toujours été le signe distinctif d’une certaine société. Mais… motus, on n’en parle qu’entre soi. À d’autres ! Il en filtre toujours quelque chose.

 

À la suite de l’article de Mediapart, certains commentaires valent leur pesant de fiel digne des papotages du « Carnet mondain » du Figaro. « Un homme, dit de confiance, qui fait des enregistrements clandestins, dans le dos de ses employeurs, c’ est un héros ? Drôle de conception de l’héroïsme. ». Ou encore : « Il est évident que ce témoignage, tout comme l’installation des écoutes, a été téléguidé, et probablement stipendié par Mme Meyers-Bettencourt. On peut s’étonner que Médiapart mette à la Une quelque chose d’aussi nauséabond. ». « Éric Woerth a finalement eu raison de tenir bon, il vient de faire passer sa réforme des retraites (dont Médiapart se désintéresse) et on ne s’intéresse plus beaucoup à lui. ».

 

Petit détail relevé par All Jux, qui n’est pas une révélation (j’avais, voici déjà longtemps, fait allusion aux relations de Banier avec André Bettencourt et à celles de Liliane Bettencourt avec l’un de ses chevaliers servants britanniques, qui, avant Banier, l’accompagnait assidûment…). C’est celui des donations faites de son vivant par André Bettencourt à François-Marie Banier. « L’audition n’aborde pas la relation homosexuelle de François Marie Bannier et d’André Bettencourt pouvant expliquer l’origine des donations, dont on ne connaît pas précisément leurs montants et leurs dates. Cela a une incidence importante sur l’affaire Banier-Bettencourt-Meyers… ». Là aussi, tous ceux devant savoir savaient, et ils n’étaient pas qu’une poignée. Frédéric Mitterrand, qui considère sans doute toujours que Liliane Bettencourt jouit de toute sa raison et s’en est exprimé à mots couverts et prudents (sur la vigueur de Liliane Bettencourt), n’est sans doute pas l’un des moindres sachants. De là aux supputations sur la nomination de Kouchner au Quai pour faciliter certaine opération immobilière du Carlyle Group, ou à celles portant sur la dévolution du portefeuille de la Culture à Frédéric Mitterrand, dit « Bambi », il y a un grand pas que je ne franchirai pas. En revanche, on se demande parfois si le débauchage de « l’ouverture » (à « gôche ») n’avait pas d’autres raisons que celles avancées. La « presse des années 1930 » fustigée par l’UMP aurait sans doute poussé beaucoup plus loin que Mediapart. Cette presse, sa postérité, à l’heure ou Lagardère et d’autres figurent au capital de L’Humanité, est moribonde. La rédaction de L’Humanité ne subit pas les diktats de la Société L’Humanité investissement pluralisme, mais rien ne l’empêcherait d’aller interroger l’entourage de ses principaux actionnaires.

 

Autre commentaire : « les Bettencourt ont-ils aussi “arrosé” le PS ? Serait-ce alors un sujet de chantage qui serait encore utilisable par Woerth et ses amis ? ». Ouvrez le ban, fermez le ban.

 

Évidemment, les relations d’André Bettencourt avec François-Marie Banier ont suscité des commentaires. Disons que ce n’est pas parce qu’ils entretenaient des relations étroites qu’Ernst Röhm et Edmund Heines, des Sections d’assaut hitlériennes, vouaient un tel culte au Führer. En revanche, les relations de de Gaulle avec L’Oréal, de Mitterrand avec les Bettencourt (et René Bousquet), évoquent l’adage : « je te tiens, tu me tiens, par la barbichette ». Beaucoup de monde, dans ce Woerthgate, se tient par la barbichette, ou, peut-être, allez savoir, les poils pubiens. On peut donc comprendre que Liliane Bettencourt soit loin d’être la seule à avoir des trous de mémoire. Un déballage général devant un tribunal est donc tout à fait exclu. Cela peut remonter à loin. Tenez, prenez Pascal Wilhelm, avocat de Patrice de Maistre, ancien collaborateur de Me Louis Bouquet. Bah, des Bousquet, il y en a beaucoup en France, bien d’autres que le frère de René Bousquet et le père de Guy Bousquet.

 

Dans ces histoires de familles souvent très élargies, dans lesquelles, si « on tire le fil » (déclaration de Patrice de Maistre sur écoutes du majordome), on remonte fort loin, et le secret immergé pèse. À remonter le fil garni de tous ses petits crochets, de vieux poissons remontent à la surface. Louis Bousquet était considéré l’initiateur de la méthode dite « de la mauvaise foi ». C’était l’avocat de Francis Bouygues, père de l’ami de Nicolas Sarkozy. Méthode selon laquelle il fallait toujours contester ce qui venait d’être dit ou signé. De Me Pascal Wilhelm, qui n’est pas très confraternel avec Mes Paul Lombard et Fabrice Goguel, auquel il impute la confection de vieux « petits-papiers » : Liliane Bettencourt a toute sa tête, les petits papiers ne peuvent être de la main de Patrice de Maistre. Madoff, connaît pas. Ah si ? Oui, mais si de Maistre avait su, il « aurait » pas venu, c’est sûr. Cette histoire fait parfois penser à la Guerre des boutons. En beaucoup moins innocent.

 

Chacun sera juge de l’application de la méthode de Louis Bousquet dans la présentation du Woerthgate. Chacun se doute que dans le « bunker » de François-Marie Banier et Martin d’Orgeval, il y a autre chose que des photos : « On y croise Yves Saint-Laurent, la reine d’Angleterre », relève le quotidien suisse Le Matin. Sans doute croise-t-on aussi Pierre Bergé et Sir Lindsay, le très apprécié sujet de Sa Majesté. « Entre Liliane et moi, ce ne sera jamais fini, » dit Banier. Entre eux et eux, et eux et nous, c’est un peu la même chose. Mais on commence à penser et dire un peu trop qu’il serait temps qu’on en finisse… Ou qu’il faudrait vite que les regards se détournent. C’est selon… La vérité finira-t-elle au fond des coffres du Vatican ? Enfouie en son Enfer ? Comme le disait en substance André Gide, « croyez ceux qui cherchent la vérité, doutez de ceux qui la trouvent. ». On a beaucoup évoqué Balzac, Zola, pas assez l’Émile Gaboriau de L’Argent des autres (La Pêche en eaux troubles, Les Hommes de paille), voire le Gide des Caves du Vatican. Pour la première fois, Gide s’inspirait de faits-divers pour écrire une pochade. Qui sait ce qu’amenait vraiment Nicolas Sarkozy en la bonne Cité du Saint-Siège ? Allez, fabulons !

 

Gaboriau : « Où avez-vous vu l’argent honnête, l’argent du travail donner douze ou quatorze pour cent ? L’argent qui rapporte cela, c’est l’argent du tapis vert, c’est l’argent de la Bourse. Pourquoi m’avez-vous apporté vos fonds? Parce que vous étiez persuadés que je saurais bien tenir les cartes. Ah! si je vous annonçais que j’ai doublé vos capitaux, vous ne me demanderiez pas comment je m’y suis pris, ni si je n’ai pas fait sauter la coupe. Vous empocheriez vertueusement. J’ai perdu, je suis un voleur… Eh bien ! soit, mais alors vous êtes mes complices. C’est l’avidité des dupes qui fait la friponnerie des dupeurs… ». Jeux en ligne, Madoff… Affaires Visionex et Sébastien Proto… Comme chacune et chacun, je me lasse du Woerthgate. Comme tout un chacun, parfois, j’y reviens avec une certaine passion… littéraire.

 

Et puis, et puis, parfois, comme dans le Woerthgate, de vieilles histoires « de famille » remontent à la surface. Ainsi de la tribune libre de Denis Robert qui s’en prend à Fabrice Lhomme. C’est sur Rue89. « Cela dit, je félicite Arfi et Lhomme pour leur boulot sur cette affaire Bettencourt, même si je n’ai effectivement pas la même conception du boulot qu’eux. Qu’ils me fichent la paix, c’est tout ce que je demande… ». D’un autre Bettencourt, un dirigeant sportif portugais : « Les résultats sont déterminés par les circonstances ». On ne saurait si bien dire. De l’AFP : « Liliane Bettancourt n’a pas tardé à répliquer. Elle expliquait dimanche, dans une déclaration manuscrite envisager, des poursuites judiciaires pour mettre fin au “harcèlement” dont elle s’estime victime de la part de sa fille. ». Cela me remémore mes vieux articles sur la dictée de Pivot. La lettre de Rachida Dati à Jeune Afrique, aussi… On a toujours la nostalgie, un peu de Tennessee, un peu de Woerthgate en nous…