Rendons à Éric Woerth, voire à Sébastien Proto et autres hauts-fonctionnaires du ministère du Budget, les mérites qui leur reviennent. Oui, sans doute, la Sécurité sociale a récupéré, en 2009, 781 millions d’euros grâce à l’action de l’Acoss (organisme de tutelle des Urssaf), soit 70 % de mieux par rapport à 2008. Le titre des Échos sur le sujet a été largement repris par toute la presse. Dire que cela « tombe bien » (ou moins mal…) pour la réputation d’Éric Woerth n’est ni exagéré, ni trop sujet à caution…

« Ô ministres intègres ! Conseillers vertueux ! Voilà votre façon de servir, serviteurs qui pillez la maison… », s’exclamait le Ruy Blas de Victor Hugo, lequel avait eu l’habileté d’imputer à la haute-fonction publique espagnole ce qu’il considérait être les pratiques des conseillers de Charles X puis de Louis Philippe. Le 31 mai 1838, une ordonnance royale réformait la comptabilité publique de manière beaucoup plus drastique, et Hugo s’attelait à Ruy Blas en juillet. Les ministres successifs du Budget d’à présent n’auront pas, sur tous les fronts, favorisé les entreprises et les grandes fortunes, et on le doit aussi à des mesures réglementaires qu’Éric Woerth n’a pas contrecarrées.

 

Petite anecdote personnelle, dont les faits, remontant au milieu des années 1990, sont sans doute prescrits. Je me retrouve au chômage et constate que mes indemnités correspondent à une fraction très inférieure de mon salaire, selon les critères réglementaires. Ah, tout s’explique : les indemnités ne sont pas fondées sur le salaire mais sur les montants des cotisations versées par l’employeur. Lequel n’avait sans doute pas indiqué à son comptable d’abattre de 30 % les cotisations de chômage. Ce dernier, mal au fait de la réglementation, avait étendu le régime dérogatoire des journalistes à ces cotisations, pour toute la rédaction. Que croyez-vous qu’il advint ? Les Assedic me renvoyèrent sur l’Unedic, organisme chargé de recouvrer les cotisations. Et les juristes de l’Unedic me firent une réponse sibylline à souhait. Un redressement sur l’ensemble des cotisations aurait sans doute conduit à la faillite prématurée de l’éditeur, et je ne voulais me vouer, pas plus que mes collègues, employés à plein temps ou pigistes, à un chômage de trop longue durée. Alerté, l’Unedic n’a strictement rien fait, et je ne me suis pas empressé de tout faire pour retrouver un montant d’indemnités conforme à la réglementation. De même, je m’écrasais le fruit d’autres cotisations, versées tant par moi-même (part salariale) que par des employeurs (part patronale) ne m’ayant pas formellement licencié et auprès desquels je n’allais pas réclamer des « feuilles jaunes » de fin de contrat après quelques rares piges réglées correctement… L’Assedic ne considérait pas les feuilles de paye, mais uniquement les fameuses « feuilles jaunes » récapitulatives. Tant pis.

 

Du passé, faisons table rase, Woerth nous aurait changé tout cela. Tant mieux. J’en doute un peu, en particulier pour les TPE et PME perdues dans les maquis réglementaires, mais absolument pas quant à l’action de l’Acoss (Agence centrale des organismes de Sécurité sociale). Les Échos, lundi 9 août, ont donc titré : « Mieux ciblée, la lutte contre la fraude sociale engendre des redressements record ». Presque tous les quotidiens et hebdomadaires d’informations générales ont repris l’info, et pour une synthèse plus digeste que l’original, on peut se reporter au papier d’Ève Chalmandrier dans La Croix. Montée en puissance de la lutte contre le travail au noir, remise en question de certains avantages en nature (frais ou voitures de fonction), meilleur ciblage des entreprises contrôlées et en particulier de celles de plus de 200 salariés, tout cela est indéniable, et cela serait dû, selon La Croix, à des initiatives d’Éric Woerth qui, « en 2009 », avait « lancé une campagne de lutte contre la fraude en mettant l’accent sur une meilleure coopération entre les institutions concernées : Urssaf, DTT, police, administration fiscale, &c. ».

 

Bah, décembre 2008 et janvier 2009 sont des dates très proches, et l’article de Daniel Clémentine dans les mêmes Échos, « Les redressements Urssaf augmentent alors que les entreprises sont de plus en plus armées ! », qui porte sur la période 2006-2007, faisait état d’un montant de redressements s’élevant « en valeur absolue à plus d’un milliard d’euros ». Nous n’aurons pas la mauvaise foi de comparer des chiffres qui ne sont pas comparables. Un milliard d’euros pour le Bilan des contrôles des cotisants 2007, 781 millions pour celui de 2009, cela ne marque pas forcément une régression, même en francs constants. C’est bien sûr parce que les contrôles ont été très fructueux en 2006 (le ministre du Budget étant alors Jean-François Copé, de juin 2005 à mai 2007) que leurs fruits consécutifs, sous le ministère Woerth (mai 2007-mars 2010), furent moins juteux. Des employeurs avertis (et redressés) par Copé en valent deux sous Woerth, et ce qui avait été lancé par Copé les incitait à la prudence.

 

Le 9 août, Jean-Marc Vittori titrait dans Les Échos : « Fraude sociale : des contrôles mieux faits ». Ses chiffres étaient quelque peu arrondis (800 millions contre 781 deux jours plus tard), mais la presse ne s’est pas trop intéressée le jour même à la progression indiquée (+70 % pour 2008-2009). Serait-ce parce qu’il relevait que « plus de six contrôles sur dix débouchent désormais sur un redressement, moitié plus qu’il y a dix ans », et que, dix ans, c’est un peu flou (les ministres du Budget sont successivement Alan Juppé, Pierre Bérégovoy, Michel Charasse, Martin Malvy, Nicolas Sarkozy, &c.) ? Relevons qu’Éric Woerth n’était pas, de même que Jean-François Copé, mentionné dans son article. Ni même dans l’article de Vincent Collen, mis en ligne le même jour, publié le lendemain dans le quotidien.

 

En revanche, rendons à Woerth ce qui lui appartient : le 3 mars 2010, alors qu’il est encore pour deux semaines ministre du Budget, Les Échos titrent « Les Urssaf obtiennent l’arrêt de la baisse de leurs effectifs ». Le Woerthgate n’est pas encore d’une brûlante actualité (Médiapart publie les enregistrements entre Liliane Bettencourt et Patrice de Maistre le 16 juin).  L’Acoss finalise une convention « qui ne prévoit que 100 suppressions de CDI sur la période 2010-2013 ». C’est mieux que précédemment : « entre 2006 et 2009, l’effectif permanent de la branche recouvrement (…) a été réduit de 600 postes » (compensés, dans une incertaine mesure, par des embauches en CDD). En 2007-2008, le taux de redressement ne progressait que de 5,4 %. La hausse 2008-2009 très significative, qui marque un retour à la « normale », et une progression sur dix ans, vaut donc bien d’être saluée…

 

Ce qui est surprenant, c’est que La Croix est pratiquement le seul titre à mentionner Éric Woerth en tant qu’initiateur de cette progression. Ce qui ne manque pas non plus d’étonner, c’est que les chiffres des réseaux des Urssaf et de l’Acoss ne portent pas que sur les fraudes, mais aussi sur l’activité économique en général, sur les salaires, et que la presse, en général, néglige d’autres données… Il faut s’en remettre à Presse Océan ou Ouest-France pour trouver un autre angle d’analyse. « En 2009, le salaire brut moyen en Pays de Loire s’est élevé à 1 967 euros. Soit une augmentation de 1 % alors que les années précédentes l’évolution avoisinait les 3 % » (éditions de Loire-Atlantique). L’Expansion, puisant aux mêmes sources, estimait : « le marché de l’emploi ne redémarre pas vraiment… ». Mais, bon, Éric Woerth, ministre du Travail, n’y est pas pour grand’ chose.

 
On peut donc classer ces meilleures performances dans le recouvrement des cotisations (qu’elles soient dues à la fraude, à des négligences pas forcément volontaires), dans l’ « actualité heureuse ». Elles profitent parfois aux patrons qui pourraient se voir rembourser un trop-perçu ainsi qu’aux salariés ou autres employés qui ne verront pas leurs retraites amputées par des défauts de versements de cotisations. Dommage pour Éric Woerth qu’il ne puisse s’en parer – et s’emparer – de lauriers revenant aussi à ses prédécesseurs, mais notons qu’il n’aura pas aggravé fortement la baisse des effectifs des contrôleurs (« que 100 suppressions de CDI » jusqu’en 2013). Pour l’autre volet du Woerthgate, celui de Liliane Bettencourt, il faudra attendre le 17 août, avec une décision de la cour d’appel de Versailles qui devrait dire si la juge Isabelle Prévost-Desprez peut poursuivre ses investigations à propos d’éventuels abus de faiblesse dont aurait été victime la cliente de Me Kiejman. Pas de quoi abréger les vacances chamoniardes d’Éric Woerth…  C’est donc bien une « info positive » : on ne peut vous reprocher, Monsieur le Ministre, d’avoir favorisé les grandes ou petites entreprises aux dépens des couvertures sociales, celles des salariés en particulier, sur ce point précis en tout cas.