Michèle Alliot-Marie ferait-elle partie de la garde rapprochée d’Éric Woerth ? La Garde des Sceaux, qui ne cesse de répéter : « laissons travailler la justice », a-t-elle lâché David Sénat pour mieux épargner Éric Woerth ? Franchement, on s’en moque quelque peu… En revanche, Marianne s’intéresse de plus près au « système Woerth ». Et c’est beaucoup plus intéressant car cela amplifie la portée du Woerthgate, qui dépasse de très loin la personne d’Éric Woerth… Dans la perspective d’une seconde crise financière internationale, feriez-vous confiance à MAM ?

Selon un mystérieux « enquêteur » (fonctionnaire de la DGPN ? simple enquêteur non OPJ ? véritable barbouze jouant les supplétifs et commodités ?), interrogé par le JDD, les fuites provenant de la Chancellerie ne pouvaient émaner que de « la directrice des affaires criminelles et des grâces, Maryvonne Caillibotte [en touche ?], ou David Sénat, le conseiller pénal du ministre. ». Des fuites, il y en aura d’autres : peut-être finira-t-on par savoir qui a laissé fuiter l’affaire du fils Péchenard. Au lieu de sanctionner le DGPN, on cherche à présent à trouver un placard pour celle ou celui qui l’a placé en position délicate. Tout est permis pour la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy, tout est prescrit à qui s’en offusque, on l’a bien compris, et c’est chaque jour un peu « mieux » démontré.

 

« Michèle Alliot-Marie reste en tout cas plus que jamais candidate [à la primature], malgré ou à cause des attaques, » estime Francis Brochet dans Le Progrès. Que voilà une chute bien journalistique, bien accessible à la masse des « pékins » qui sont censés constituer l’essentiel du lectorat du Progrès. Des attaques ? Ou en raison des gages qu’elle a pu donner en sacrifiant un conseiller qui n’était pas du tout, du tout, dans les petits papiers de Nicolas Sarkozy, tout en continuant à protéger Éric Woerth, fourrier du RPR du temps de MAM, puis de l’UMP ?

 

C’est cela aussi le « système Woerth », au sens large, celui d’HEC (alma mater de Woerth), de l’Éna  ou de nos « voies royales » (MAM est une alumna de Sciences Po’). Trahisons, coups fourrés à multiples bandes, mépris des règles qu’on n’impose qu’aux autres… c’est ce qui caractérise ce système.

 

On retrouve d’ailleurs les mêmes dans les médias. Au national, L’Express soutient ses ventes en titrant sur le « Système Woerth » pour égratigner légèrement les réseaux HEC-Éna-Sciences Po’ de l’intéressé. Localement, une sorte de publirédactionnel destiné à la zone de diffusion élargie de l’Oise avait utilisé le même titre. Que la main gauche ignore ce que fait la main droite. Les ventes, c’est du lourd ; pour le reste, plus cela change, moins cela varie durablement.

 

Toutes les études étrangères sur le système éducatif français depuis la base (le collège, le lycée) jusqu’au sommet (les grandes écoles) dénoncent l’encouragement au conformisme et la répression de l’originalité, le rabâchage, et tout un formatage qui évoque davantage les méthodes des pays totalitaires que celles des démocraties scandinaves. J’exagère ? Pas vraiment. Quand on relit Anne Larue et sa dénonciation du détournement des fins de l’enseignement des humanités (au profit d’une approche pseudo-scientifque qui permet de substituer l’emploi de questionnaires QCM à la réflexion), une partie de la conclusion s’impose. Une ethnologue spécialiste de Cuba, qui en a étudié le système universitaire, me disait : « la dissertation est encore un genre admis, mais cela revient au même : il faut placer les arguments correspondant à ce qui est inculqué, et surtout ne pas s’en éloigner… ». En Roumanie, les étudiants de République de Moldavie sont redoutés par les universitaires car « ils sont encore en majorité formés à la Soviétique depuis l’enfance : hormis recracher des éléments de réponse convenus, il y a peu à en tirer : ils sont inaptes à la recherche » (ce qui n’empêche pas de constater de brillantes exceptions). Bien évidemment, tout comme, un temps, tout l’enseignement universitaire français visait surtout à reproduire des agrégés (voir Bourdieu et d’autres), il s’agit toujours de dégager une élite de fonctionnaires zélés au contact étroit des décideurs financiers. En France, la Société des agrégés se lamente à présent, les futurs Pompidou lui échappent, mais les associations d’anciens des grandes écoles se réjouissent.

 

Pour obtenir le Capès ou l’agrégation, mieux vaut le préparer à la Sorbonne qu’ailleurs, et mieux encore, se doter d’une ou d’un « coach » privé, agrégé·e, ayant déjà siégé dans les jurys. Ailleurs, on vous forme à éplucher le corpus des concours ; à la Sorbonne, on vous déforme de manière à ce que vous soyez conformes aux attentes d’un jury composé de vos propres formateurs (si ce n’est eux-mêmes, ce sont leurs pairs qui président, ou décident des sujets). Pour intégrer HEC ou l’Éna, faire son chemin à Sciences Po’ dans les bonnes sections, celles qui comptent vraiment, et obtenir l’appui des associations d’anciens, c’est un peu la même chose. organigramme_woerthgate.png

 

Élodie Emery, de Marianne, feint de s’interroger : « Woerth est-il un produit made in HEC ? ». Effectivement, alors que Claude-Marie Vadrot, de Politis, se demandait si Sarkozy n’aurait pas intérêt à pousser Éric Woerth au suicide, Élode Emery lui répond en substance : il est blindé. « Le fait d’avoir été formé à HEC peut-il expliquer cette endurance ? », s’interroge-t-elle. J’attends avec impatience son second volet, vous pouvez consulter le premier, les commentaires de « sachants », et suivre le lien mentionné, « Le Banc des bandits ». « On a affaire à des vautours totalement décomplexés, » estime Piccolo Junior. Décomplexés au point de solliciter le RMI durant les vacances scolaires pour acquérir un sac Vuitton place Vendôme (anecdote Reims Business School, que, pardonnez, je ressors assez fréquemment, tellement elle est symptomatique). Toutes et tous ne sont pas des charognards. Les tocards et polars peuvent toujours aller se brosser pour trouver les bons stages, les bonnes planques, les bons emplois ou les bons postes, ils resteront sur le carreau ou deviendront, s’ils le peuvent, de sempiternels post-doctorants (hélas, tout à une fin ; ces grands circuits, ces rallyes, comptent leur petit quota de « titulaires » des RMI, RSA et ASS).

 

Éric Woerth a su tenir sans faillir les cassettes des partis successifs de MAM. Il en a sans doute pour et sur tout le monde, et sans doute réciproquement. Les petits meurtres entre amis n’en sont jamais durablement (tout au plus, pour un Charles Pasqua, admoneste-t-on au final publiquement, sans trop toucher au portefeuille). Éric Woerth ne finira donc pas plus comme Roger Salengro que comme de Jean de Broglie. D’ailleurs, les descendants s’avent s’arranger avec les ascendants, et Gabriel de Broglie, chancelier de l’Institut (les académies savantes), a su s’adresser au maire de Chantilly (tant dans les affaires de l’Hôtel de la Monnaie que dans celles, plus locales, des fondations cantiliennes). Les fondations ne servent pas qu’à sauver le patrimoine historique et le livre de Jean Galli-Douani, Clearstream-Eads, met en relief le rôle de la Fondation Jean Moulin, si chère aux hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur… Il manque quelques entrées à la liste des affaires françaises recensées par le site Academic.ru tout comme des noms sur l’organigramme du Woerthgate établi par Lolo Mage (en commentaire sur Rue89). Mais on finira bien par établir les liens réunissant Antoine Gilibert (golf et hippodrome de Compiègne, La Cavalerie…) et Bernard Lozé et d’autres (France Inter l’a fait, en se penchant sur les activités d’Éric de Sérigny). Il n’y a pas un « mur de Fréjus » (de François Léotard) entre les diverses affaires. Il n’y a pas davantage un « mur de Berlin » entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, mais quelques gros oléoducs russo-européens. Sur l’essentiel, on se tait ; pour amuser la galerie, on sait faire… avec des hectolitres de Rroms au besoin pour égayer l’atmosphère. Sur l’essentiel, on peut se demander si Poutine, avec France-Soir, n’a pas eu coup d’avance sur Serge Dassault avec Le Parisien. « Read my lips, it’s the economy, stupid ! ». Jusqu’où MAM irait-elle dans le reniement des réseaux financiers libano-chiraquo-africains pour favoriser les réseaux franco-nord-américains sarkozyens, telle est la seule et véritable question qui freine son ascension ou garantit son maintien au gouvernement. Cela vaut aussi d’ailleurs pour Baroin.

 

Ce qu’on apprend en priorité à HEC ou à l’Éna, c’est à gérer des conflits d’intérêts, à savoir lâcher prise sur les siens immédiats ou secondaires pour mieux tenir les autres, et le sort de David Sénat, au chaud, pieds dans l’eau quai de Javel, mais toujours la tête pas trop loin d’un soleil, n’en est qu’un dérisoire exemple. Il y a bien sûr des enjeux locaux (Chantilly-Compiègne), nationaux (tiens, revenons à Salengro, le contemporain, Bernard, qui n’établit par de parallèle entre le père de Woerth, médecin du travail tout comme Georges Clémenceau, mais estime qu’on en revient à « la médecine du travail avec sélection génétique instituée par Pétain »), et internationaux. Le Woerthgate, au sens le plus large, c’est que les formations de HEC ou de l’Éna sont devenues de plus en plus défaillantes. C’est la chienlit, la dégénérescence, le vernis sur la rouille, l’affairisme de bas étage comme en témoigne la poursuite de l’intervention en Afghanistan. Au « grand oral » de Guéant, que pourrait répondre MAM sur l’Afghanistan ? Qu’il faudra savoir renvoyer l’ascenseur à Dassault pour ses futurs bons services au Parisien ? Si on en est déjà là, il faudra savoir mettre fin au Woerthgate de la manière la plus radicale qui soit. Il n’en va pas que du sort des hommes du rang, gradés et officiers subalternes.