À la poursuite des diamants verts de la vérité dans le Woerthgate, il y a le feu au parquet (the dancefloor is burning) et on a un peu « ambiancé » cette sourde pierre de Liliane Bettencourt pour qu’elle « romance » quelque peu ses déclarations. Mais à quelle partie de l’opinion veut-on encore faire croire que les faits n’étaient pas connus, sus, dits ? On aurait donc, à l’insu de la police et des juges, depuis sans doute des mois et des années,  « vu » tout ce qui compte au Gotha, tout ce qui figure au Bottin mondain et au Who’s Who, au fait de l’état d’une des plus grandes fortunes de France, respecter l’omerta. Soit. Au profit de qui au juste ?

Madame la Presse de naguère, voilà pourquoi votre fille est muette : les Molière, ceux dénoncés par Jean Theulé, comme le courtisan Jean-Baptiste Poquelin qui se moquait bien que les paysannes en disette dévorent leurs nouveau-nés, l’ont emporté, et l’ont vérolée. Comme l’a dénoncé Pierre Péan, sans doute de manière outrancière, tant que des pièces irréfutables ne sont pas apportées sur un plateau déposé sur le bureau d’une ou d’un journaliste, rien ne se passe. Et quand les rédactions en chef n’ont pas décidé, suivant des conseils avisés de propriétaires, de laisser remonter les infos, c’est la même omerta. Je ne sais si l’enquête de Technologia, « Travail réel des journalistes – Qualité de l’information et démocratie », menée pour le compte du Syndicat national des journalistes, l’établira ou non. L’état de Liliane Bettencourt était sans doute connu par la plupart des grands patrons de presse, par le gratin du demi-monde politique, et très certainement par leurs autres « oreilles » que l’on retrouve aux tables du Gotha (de même que le procureur Courroye était convié à partager certains repas « informels »). Imaginez un peu les gazettes si, dans un petit immeuble de la proche banlieue d’une grande ville, on retrouvait un vieillard anémié, plus ou moins violenté, laissé croupir : bien sûr, on écrit que « les voisins ne savaient pas », « étaient loin d’imaginer », tout en soulevant la question : « comment ont-ils pu ne s’apercevoir de rien ». Là, la question n’est même pas posée.

 

Qui veut croire que Jean-Claude Delarue aurait été interpellé « par hasard » (à la suite d’écoutes) à potron-minet lors d’une banale descente de police ? En possession de poudre, soit. Le porte-parole du Grand Elfassi, sur son blogue, conclut : « Delarue a eu “la folie des drogués” de vouloir voler le Maître, le Maître a du se payer  sur la bête ! ». Depuis l’accession de Nicolas Sarközy au ministère de l’Intérieur et à la présidence, tant la police que la presse sont instrumentalisées. Parfois, certains policiers, certains journalistes se rebiffent. Pour les juges, c’est un peu pareil. Mais il leur faut soit des ordres, soit des éléments très tangibles, soit, comme c’est le cas dans l’affaire Bettencourt, qu’une particulière – sa fille – s’acharne à faire aboutir, non pas une plainte, mais au moins un dépôt de plainte, qui débouche ou non sur quelque chose.

 

Or donc, selon RTL et Le Point, et Me Metzner, avocat de Françoise Bettencourt-Meyers, « on » aurait bénéficié de quelques jours pour préparer Liliane Bettencourt à une audition de la police. « On lui apprend à mentir et à tromper la justice (…) cela constitue une subornation de témoin, » estime l’avocat. Mais des témoins, qui n’ont sans doute rien fait, mais certainement pas rien dit dans leur entourage, qui veut encore croire qu’il n’y en avait pas l’affluence des tribunes d’un hippodrome, d’un tournoi de polo, d’un parcours de golf lors d’un trophée médiatisé ? D’ailleurs, c’est de longue date qu’une partie de la presse est à « tu et à toi » avec François-Marie Banier, et on a même vu, ici et là, des papiers très complaisants sur le même, qui vient de bénéficier (25 sept.) d’une tribune de la rubrique « La Semaine de… » du magazine du quotidien Libération.

 

La même presse, ou sa voisine dite « économique », fréquente de Maistre, de Sérigny, la baronne Eva Amiel, &c., tout comme la presse hippique « garden-partise » et pactise avec Florence Woerth et ses amies de l’écurie Dam’s. L’insolite visite de Jean-Louis Debré dans un cercle de jeux parisiens, en compagnie d’un commissaire de l’ex-Mondaine, est passée quasiment inaperçue. Mais dans ces occasions, policiers, journalistes, politiques, ne parlent pas que de la pluie et du beau temps. Il n’y a que ce qui fuit qui doit « fuiter », et généralement que ce que l’on veut bien qu’elle apprenne officiellement qui parvient à l’écoute de la justice. Mais quelques anicroches confirment la règle.

 

La prévision d’un remaniement ministériel est souvent propice à ces fuites. Ou alors, c’est un citoyen isolé, une association de petits actionnaires, qui fait des pieds et des mains pour se faire, un temps au moins, entendre. Ou bien encore, quand certains ont récupéré leurs billes, on fait chuter un Madoff, qui a bien servi le temps qu’on a bien voulu s’en servir et le laisser se servir.

 

Dans certains cas, on veut savoir si c’est ou non Rachida Dati qui aurait été à l’origine des arrangements conjugaux supposés du couple Bruni-Sarkozy. Dans d’autres, on ne veut pas savoir quelle facture aurait reçu Éric Besson de la part d’Air France (Air France n’a pu encaisser directement le règlement de deux billets sans émettre une facture correspondante). Dans certains cas on motive un parquet, dans d’autres on contrecarre les intentions d’une magistrate instructrice. À une époque, on tente d’activer et motiver le Service central de Prévention de la corruption (SCPC), à d’autres, on le met sous le boisseau au point de le faire dépérir. Mais dans tous les cas, les « sachants » savent, et souvent de longue date.

 

Place publique, « site des initiatives citoyennes », prend des gants pour évoquer les marges de manœuvre de la presse, tout comme d’autres chaussent des pantoufles pour s’intéresser aux marges de latitude de la police et de la gendarmerie, ou aux initiatives de la magistrature. Il y a connivence. Mais ce n’est certes pas parce qu’il ferait sauter des procès-verbaux à des journalistes ou des magistrats qu’aucune enquête approfondie ne vient s’intéresser de près aux actes de Maxime Péchenard, fils du directeur général de la Police nationale. Ce n’est pas seulement parce que des de Maistre ou de Sérigny tenaient table ouverte (ou glissaient des tuyaux à reprendre tels à des boursicoteurs de la magistrature ou des journalistes) que le silence autour de l’état de Liliane Bettencourt a tant et tant perduré. C’est bien parce qu’il y a un « complot » diffus, « ordinaire », entre la Cour et ses commis et dépendances, auquel la plèbe n’est pas conviée à participer, que de telles situations perdurent. Comme dans tout complot beaucoup trop complexe à dominer, ou juguler, des pans s’effritent, des intérêts contradictoires s’expriment en coulisses, puis publiquement, et la Cour ou d’autres comploteurs perdent la main. Ou c’est un maillon faible, déçu ou aigri, qui renâcle ou rue dans les brancards jusqu’à s’en dégager.

 

Le scénario du Woerthgate n’a sans doute pas été écrit tout d’abord par une seule personne isolée, comme ce fut le cas, cinq ans avant la sortie du film Romancing the stone, par une serveuse de Malibu se piquant d’écriture. Ensuite, ensuite, de multiples nègres enrichirent les épisodes du scénario. Pas non plus, sans doute, de « complot » particulier. Mais sans doute une très mauvaise interprétation d’une actrice, Liliane Bettencourt, et d’autres, ont compliqué la donne, favorisé des dérapages. De complot, il n’y en a sans doute d’autre que celui d’un silence devenu un peu bavard, surtout baveux, fortement vasouillard. En tout cas, toute comparaison avec « la presse » ou la pièce « des années 30 » est nulle et non avenue. En 1830, on aurait eu droit à une véritable bataille d’Hernani dans les rues. En 1930, à une immense clameur, voire à une nouvelle affaire Dreyfus.

 

confit_d-interets_canard.pngPour en revenir à Liliane Bettencourt, remarquons que Poquelin n’avait sans doute pas choisi de mourir sur les tréteaux. Mais c’est à se demander si de Maistre et consorts n’espèrent pas la voir trépasser sur la scène d’un prétoire plutôt qu’on puisse l’entendre vraiment. Il n’est pire sourd… Le toléreriez-vous s’il s’agissait d’une voisine de palier ?