Disons-le tout net, l’affaire de la succession du sculpteur César, développée par Libération n’est ni une exclusivité, ni de nature à mettre Éric Woerth en plus mauvaise posture. Mais faire croire que le quotidien « bidouille » ses infos, voire falsifie des documents ne tient pas la route et renforce l’impression que le ministre s’enfonce, tout comme l’UMP et l’Élysée, dans le déni des évidences…

Si l’affaire de la succession de César n’avait pas retenu notre attention, c’est qu’elle était assez largement connue, tout comme celle de la succession Wildenstein, assez bien détaillées en temps utile par Le Canard enchaîné, et d’autres titres. S’il y a une « muraille de Chine » entre les activités d’Éric et de Florence Woerth, il n’y a plus, de longue date, que l’épaisseur d’une feuille de tabac à rouler entre certaines dispositions de la haute-administration et les instructions, directes ou indirectes, de certains ministres. L’affaire de Jean Galli-Douali (voir par ailleurs sur Come4News) est à cet égard très significative.

Qu’on ne s’y trompe pas, Come4News n’est pas Bellaciao ou Indymedia. Il ne s’agit pas de « distancier » C4N de ces sites d’information d’un point de vue déontologique, mais de rappeler que leurs lectorats sont différents. Ici, peu sont celles et ceux qui s’offusqueraient qu’un grand patron, ne pouvant trouver à louer un jet privé, puisse bénéficier d’une dérogation et obtenir qu’un avion du Glam l’emmène d’urgence signer un important contrat à l’étranger. Et s’il advenait que ce patron dédommage l’État à un tarif inférieur à celui que lui aurait appliqué une compagnie privée, et qu’il signe ensuite un chèque à la formation politique du facilitateur, cela ne ferait, ici, ni chaud, ni froid à beaucoup.

Dans cette affaire César, comme dans beaucoup d’autres, Le Figaro n’a pas tort de relever que le cas n’est pas exceptionnel et que les intérêts de l’État, soit aussi de la Nation, ne sont pas forcément systématiquement négligés pour obtenir de douteuses contreparties. Ce que ni Le Figaro ni beaucoup d’autres titres ne soulignent, c’est qu’un haut-fonctionnaire ne présente jamais un document à la signature d’un ministre s’il est pratiquement certain de devoir refaire sa copie. Par ailleurs, quand c’est vraiment délicat, la haute-administration ne va pas « mouiller » un ministre. Mais si cela devient trop délicat, le ministre doit plier ou se « mouiller ». Ce fut le cas dans l’affaire de la cession de l’hippodrome et du golf de Compiègne, ville voisine de Chantilly, dont Éric Woerth est le maire, dont Florence Woerth préside aux destinées de l’hôpital gériatrique de la Fondation Condé, alors qu’Antoine Gilibert, bénéficiaire de la vente, possède trois maisons de retraite.

Aussi Libération est-il parfaitement dans son rôle en rappelant que, dans l’affaire de la succession Wildenstein, l’un des protagonistes est aussi proche de Chantilly que Gilibert est proche du Cap Nègre (où il gère la Villa Mauresque à La Cavalerie). « Chantilly compte aussi son écurie Wildenstein (…) 69 pur-sang avaient d’ailleurs été cédés en catimini (… au profit de diable sait qui) en octobre 2001… ». AgoraVox a parfaitement raison de titrer « Woerth et Compiègne, ce n’est pas comme Capri, ce n’est pas fini… ». Qu’Antoine Gilibert puisse soutenir qu’il n’a jamais rencontré Éric Woerth est parfaitement ridicule. Mais que Libération ou un autre titre révèle que les deux hommes se seraient rencontrés au Cap Nègre ou à Capri n’aurait guère plus – en temps normal – de portée que l’intervention d’Éric Woerth dans l’affaire de la succession de César.

Ce qui est choquant et inadmissible, c’est le déni permanent, ce sont les déclarations d’un Alain-Dominique Perrin, membre du Premier Cercle comme de Maistre ou de Sérigny, qui insinue : « la lettre communiquée par Libération est bidouillée. ». L’affaire César est certes montée en épingle, mais elle ne l’aurait jamais été si tant Éric Woerth que Nicolas Sarközy, l’UMP, Xavier Bertrand, Nadine Morano, Frédéric Lefebvre et tant d’autres ne s’enlisaient pas dans le déni et le refus des évidences. En cartouche, Libération relève : « le pouvoir préfère attaquer la presse plutôt qu’accepter une enquête judiciaire indépendante. ». Pour notre part nous relevons qu’un haut-fonctionnaire, protagoniste de l’affaire Jean Galli-Douali, a été nommé conseiller de la garde des Sceaux, qu’un ancien garde des Sceaux, Albin Chalandon, maintes fois cité dans l’histoire des frères Chaumet (faillite frauduleuse, exercice illégal de la profession de banquier…), n’a jamais été inquiété mais qu’il a fourni une Rachida Dati, formée par ses soins, à ce ministère.

Oui, comme le souligne Le Figaro, des histoires d’interventions ministérielles dans des dossiers fiscaux, il en est bien d’autres que l’affaire César. Mais des histoires d’interventions, ou de non-interventions pour le moins surprenantes, du pouvoir dans les affaires judiciaires, il en est aussi bien d’autres, et des plus graves. Des histoires de mutations impromptues aussi, comme l’établira le livre de Jean Galli-Douali. Claude Bartolone, député socialiste, a estimé qu’Éric Woerth symbolisait le « retour des coquins et des copains ». Ceux-ci ont parfois des intérêts divergents, Éric Woerth ayant été plutôt, lors de l’affaire Galli-Douali, au nombre des copains d’Alain Juppé et de Jacques Chirac. Mais Éric Woerth a-t-il été totalement étranger à la prise en charge par l’UMP des montants des condamnations du même Juppé, ne serait-il pas, s’il était resté trésorier de l’UMP, étranger à la prise en charge des indemnités à devoir à la Ville de Paris par Jacques Chirac ?

Dans le cas de la succession César, l’administration ne s’est pas empressée d’abandonner toute volonté de poursuivre la Fondation Cartier. Donc de « taper au portefeuille » comme elle le fait généralement pour le contribuable lambda, quitte à transiger pour éviter un contentieux. Là, il s’est passé 18 mois, et une intervention soumise à signature ministérielle, pour qu’elle renonce. Mais les histoires de dation, donation, et de fondations artistiques évoquent aussi celle de la Fondation Hamon , (dont les protagonistes, outre Jean Hamon, sont Pasqua, Santini et Sarkozy), théoriquement toujours en cours, mais qui semble vouée aux oubliettes pour le moment.

Le déni, ou le silence pesant, c’est aussi la volonté de nier tout conflit d’intérêts en dépit des évidences. Marianne confirme ce que les lectrices et lecteurs de Come4News savaient déjà depuis plus de deux jours (litote) : « Sébastien Proto, qui a suivi Woerth du Budget au Travail, est un ami proche d’Antoine Arnault (dont le beau-père est … Patrice de Maistre). Nous évoquions son cas il y a deux jours. Cet été, le jeune collaborateur d’Eric Woerth devait passer quelques deux semaines de vacances en Corse, dans la villa et sur le yacht (immatriculé en France ? Non… ) de son ami Antoine, comme l’année dernière. ». Marianne enrichit l’organigramme avec de Sérigny, signalé tant ici que de longue date par Le Canard enchaîné, mais aussi avec l’évocation de l’autre muraille de Chine qui séparait les activités de Jérôme et Valérie Pécresse, et conclut : « où s’arrêtera-t-on ? À l’Élysée. ». Mais peut-être aussi avec nouveaux détours entre l’île de la Jatte et la place Beauvau du temps où leurs locataires ou propriétaires s’appelaient Nicolas et Cécilia Sarközy. Ce sont les stations du chemin de croix d’une ascension à la roche Tarpéienne que, plus le pouvoir nie l’évidence, plus une partie de la presse s’empressera de revisiter. De ces stations, il en est de moins évidentes, moins balisées par les pélerins des gazettes : le livre Clearstream-Eads, de Jean Galli-Daoudi, aux éditions Bénévent, à paraître courant août, pourra leur servir de guide pour la visite…