Imaginez l’ambiance dans les salles de rédaction dès qu’il est question de publier quoi que ce soit sur le Woerthgate… Heureusement, aux conférences de rédaction des quotidiens, on ne peut s’éterniser. Les discussions sont vives, mais on tranche rapidement. Entre rédactrices et rédacteurs de Wikipedia, c’est tout autre chose. Que mentionner ? Que conserver ? Pour le moment, le débat reste franco-français…


Tiens, les versions polonaise et indonésienne de Wikipedia sont plus prolixes sur Éric Woerth que les versions hispanophones et lusitanophone. La version indonésienne reprend, comme les versions germanophone et anglophone, le passage sur le Club de la Boussole, dont la fiche date un peu, qui rassemblerait encore une cinquantaine de personnalités de l’UMP. Ce club compte pourtant parmi ses membres Damien Meslot, co-auteur d’une « Loi Boutin » qui prévoit d’équiper toute demeure d’un détecteur de fumée. Ce qui serait fort utile dans la maison UMP. Mais Wikipedia ne s’attache guère à ces détails dans l’article consacré à Éric Woerth, lequel tend à ne plus s’appesantir sur « l’ado-lescence » de l’ancien directeur de l’Agence de développement de l’Oise (ADO). Ayant fait l’objet, au cours des semaines, de mentions développées, l’ADO figure désormais furtivement, le lecteur devant se reporter aux notes et aux liens extérieurs. Il faut donc les consulter pour retrouver le nom de Louise-Yvonne Casetta, dite « La Cassette » de Jacques Chirac à la mairie de Paris, devenue l’adjointe d’Éric Woerth à l’A.D.O. À l’Ado, Éric Woerth n’oubliait ni ses anciens, ni ses futurs employeurs du secteur privé, leur confiant par exemple, pour 8 823 euros, une étude « brosses à cheveux : analyse fine du marché et des comportements face à la brosse ». Reluisant pour la Cour régionale des Comptes de Picardie qui réclamera, comme Fillon à un Christian Blanc pour ses cigares, des remboursements à Woerth. On sait ce qu’il est advenu par la suite des cours régionales des Comptes.

 

C’est dans la page de « discussion » entre académiciens wikipédistes qu’on trouvera mention de l’affaire Robert Peugeot, qui reçut la Légion d’honneur des mains d’Éric Woerth, et qui (Peugeot, Woerth ? l’un et l’autre ?) aurai(en)t peut-être minoré le fruit du cambriolage de son domicile pour, éventuellement, annuler un possible redressement fiscal ou contrecarrer l’éventualité d’une enquête sur la provenance de l’or dérobé. Éric Woerth dinait avec Robert Peugeot en décembre 2009, il le décorait en juin 2010. Lot de consolation pour la perte de lingots, de montres de collection, &c., pour un montant de 150 000 euros et non de 500 000, chiffre résultant d’une erreur initiale d’appréciation des services de police, version postérieure communiquée à la presse, ou pour autre chose ?

 

En tout cas, cette page de discussion, qui permet de débattre des modifications successives apportées par les unes et les autres, est particulièrement fournie. Ce n’est pas (encore ?) le cas de celle liée à l’entrée « Florence Woerth » qui ne signale pas que la Fondation Condé à Chantilly est un centre privé de soins qui emploie notamment une infirmière en gériatrie. Une concurrence pour les maisons de retraite d’Antoine Gilibert à Chantilly ? Cela étant, on ne saurait reprocher à la Fondation Condé son rôle dans la répartition de défibrillateurs (15) publics dans la ville de Chantilly, de préserver la chapelle Saint Vincent de Paul accessible aux ministres des cultes,  de veiller aux derniers instants des prêtres catholiques, &c. Cette fondation Condé fut dirigée, de 1975 à 1993, par Monique Friese, la très contestée compagne et gouvernante de « Henri VI », comte de Paris. À sa suite, Florence Woerth a redressé les comptes de la Fondation, fort bousculés par Monique Friese. La succession du compte de Paris est aussi compliquée et controversée de Daniel Wildenstein, dont le fils, fondateur avec Éric Woerth du Premier cercle des donateurs de l’UMP, aurait, selon Sylvia Wildenstein, soustrait partie du pactole à destination des lointains Northern Trust et Baring Trustees, bien loin des services de Bercy. Serait-ce l’origine de cette fine allusion de Jean de France, prince d’Orléans, duc de Vendôme, fils d’Henri, comte de Paris, qui confiait à Libération que « nous le voyons bien, deux cents ans après la Révolution française, tous les privilèges n’ont pas été abolis » ?

 

Il est évident que Wikipedia ne se perd pas dans des détails et se contente d’un « entrée au conseil de surveillance de la maison de luxe Hermès en juin 2010 » pour la fiche Florence Woerth. S’attacher à faire figurer des détails sur le rôle d’Éric Woerth dans l’Association des anciens du cabinet Arthur Andersen, donner la liste de ces membres qu’il a décorés, et ainsi montrer « les liens entretenus entre la sphère publique du ministre et le passé professionnel dans le privé de M. Woerth », peut être fastidieux, et très lourd à gérer techniquement. Où placer ce type d’approche ? Créer un inter-titre et une section ad hoc ? Pas évident. Pourtant, dans des affaires de ce genre, tout est souvent dans les détails, dans l’intrication des réseaux. Ce n’est pas par hasard que Wikipedia indique en lien externe l’entretien accordé à Rue89 par les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot et titré « Affaire-Woerth : comment on se rend service dans le ghota ».

 

En fait, les supputations sur l’intervention de « taupes » de l’UMP dans le « charcutage » de l’article sur Éric Woerth ne tiennent guère. Il se trouve que la version française s’est dotée d’une entrée « Affaire Woerth-Bettencourt », et que la répartition des informations entre les diverses pages consacrées aux divers protagonistes peut donner lieu à discussions, modifications multiples, &c. Une question qui vient à l’esprit, par exemple, est de savoir où placer le néologisme Woerthgate dans la page consacrée à cette affaire. Dans le paragraphe des « Réactions internationales » ou la dénomination « French Watergate » figure ? Ailleurs ? Faut-il ne faire état que des sondages d’instituts procédant selon la méthode des quotas ou aussi de consultations plus larges comme celle d’Expression publique (« Donnez votre avis sur l’affaire Woerth-Bettencourt », dont les résultats, ce lundi matin, aux premières heures, ne sont pas encore connus) ? Cela demande réflexion, pondération.

C’est pourquoi les interventions pataudes d’un « faux-nez » de l’UMP ou les modifications abruptes d’un imprécateur « gaucho » se feraient vite déceler par les wikacadémiciens. Mais patience et longueur de temps feront qu’au fil des jours, des semaines, ce qui est encore aléatoire, peu probant, ou semble accessoire, puisse remonter à la surface, s’imposer, ou retourne là où il se doit, dans les mentions supprimées parce qu’un peu trop hâtivement rédigées.

 

Ainsi de la possible appartenance de Sébastien Proto, qui fut le directeur de cabinet d’Éric Woerth au Budget, à la fameuse association des anciens du cabinet d’audit Arthur Andersen. Il était notamment chargé de la fusion entre les réseaux du fisc et de ceux du Trésor public. Il a suivi le ministre au Travail, où il se retrouve en compagnie de Vincent Talva, Benoît Trevisani, Eva Quichert-Menzel, Axel Rahola, Samuel Barrault, Stéphane Bonnet et Guillaume Autier. Il avait rejoint l’équipe de campagne de Nicolas Sarközy en 2007, via « des contacts », comme il l’expliquait dans la presse, sans donner de précisions. Dans le Who’s Who, sa biographie est rattachée à celles de Michel Bart, Jean-Denis Combrexelle, Thomas Andrieu, Anne-Marie Brocas, François Jonchère, et bien sûr à celle d’Éric Woerth. Il est devenu assez médiatisé pour participer, par exemple, dès juillet de l’an dernier, à un débat sur ce qui était le projet de Loi sur l’ouverture du marché des jeux de hasard et d’argent, débat tenu sur Club Poker Radio. En décembre 2009, c’était lui qui s’exprimait sur la réception des « fuites » de la banque HSBC de Genève. Il était surnommé « le Protal » à l’Ena (promo Léopold-Sedar Senghor). Sa femme, ex-avocate, a créé la marque « Petite Mendigote » (sacs, chaussures, accessoires). Il a déjà eu droit à une caricature de Morchoisne dans Les Échos, et il accompagne son ministre partout où cela importe mais il sait se retirer de la photo quand, par exemple, les représentants de la presse hippique entourent le ministre à l’Hilton Arc de Triomphe.  Il a d’autres rencontres moins courantes, comme par exemple, avec Chantal Brunel, députée, active dans le comité 2012 pour Nicolas Sarkozy, mais c’est aussi parce qu’elle avait proposé un amendement « visant à maintenir à 65 ans l’âge de départ de la retraite à taux plein pour les mères de deux enfants ou plus » (rejeté le 23 juillet en commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale).

 

Jusqu’à présent, il n’a été cité à propos du Woerthgate que dans des forums. Par exemple par Paul le Poulpe (un pseudo récent) qui, répliquant à une allusion voulant que chaque jour, un nouveau fil de l’écheveau Bettencourt-Woerth soit tiré, indiquait sur Cmonvote.com : « tiens, je parie que le prochain fil tiré sera Sébastien Proto (…) lié à la famille de Maistre via les Arnault (l’épouse de de Maistre est une Arnault) et via Arthur Andersen où il bossait précédemment… avec de Maistre. ».  Betfair (paris en ligne) est détenu à 10 % par Bernard Arnault. Mais Betfair n’a pas obtenu dérogation pour un système de betting exchange. Si le site de Jean-Marc Morandini reprend l’information sur les liens entre Sébastien Proto et Antoine Arnault (fils de Bernard et de l’actuelle épouse de de Maistre), il convient quand même de marcher sur des œufs.

Wikipedia ne peut faire état de « présomption de connivence » et c’est très bien ainsi. De même, s’il fallait chercher, dans le millier d’« amis » d’Éric Woerth sur Facebook, tous ceux qui sont plus ou moins liés à des amis de parents de Patrice de Maistre, cela ne prouverait rien. Caroline Cayeux, amie d’Éric Woerth, maire UMP de Beauvais, compte près de 2 500 amis sur Facebook, et il serait bien improbable qu’il ne s’en trouve aucun parmi eux qui fréquenterait régulièrement les de Maistre. Je me suis trouvé personnellement un « ami en commun » avec une certaine Sophie de Maistre, et un autre avec un certain Gilles de Maistre, dont je ne saurais dire s’ils sont ou non apparentés avec le de Maistre – qui ne serait pas Patrice, selon ses propres dires – dont le patronyme figurait sur la liste des évadés fiscaux en Suisse de « Bercy ». En revanche, sur les pages Wikipedia, évacuer toute allusion ou référence aux multiples réseaux des uns ou des autres des protagonistes du Woerthgate, serait une erreur. Les diverses affaires afférentes ne peuvent être exposées de manière claire sans les prendre en compte. Mais contrairement aux craintes exprimées, on n’en est pas là…