Cela tourne à une farce de Molière. La basoche et les tabellions, ainsi que la « faculté », se prononceront au chevet du volet Bettencourt du Woerthgate. Les clercs mettront-ils au clair certains aspects insolites de l’affaire Bettencourt ? On peut en douter…



« Les voilà avec un notaire, et j’ai ouï parler de testament. Votre “beau-frère” ne s’endort point, et c’est sans doute quelque conspiration contre vos intérêts où il pousse votre mère… » (pcc Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, dans son Malade imaginaire, à propos de Banier et de Liliane Bettencourt). Deux éléments périphériques sont venus relancer, sinon l’intérêt, du moins l’actualité du Woerthgate. D’un côté, dans un communiqué conjoint, l’Ordre des avocats et la Chambre des notaires se sont inquiétés que les conversations surprises par Pascal Boneffoy, le majordome de Liliane Bettencourt, se soient retrouvées sur la place publique. De l’autre, les ordres national et départemental (de Paris) des médecins se sont saisis d’une affaire de concurrence entre deux praticiens…

 

Comme le confiait fin juillet Me Antoine Gillot à France-Soir, François-Marie Banier, bénéficiaire des largesses présumées tant de Liliane Bettencourt que du groupe L’Oréal, aurait organisé un système de supposé de déni d’abus de faiblesse avec « Gilles Brucker, le médecin qui fait des attestations au moment des donations importantes, est l’un de ses proches. Jean-Michel Normand, le notaire qui a rédigé toutes les donations dont il a bénéficié, également. ». Ce n’est pas par précaution cauteleuse que j’emploie des termes confortant la présomption d’innocence, mais parce que je doute fort que l’astucieuse Liliane Bettencourt, qui peut effectivement se permettre des largesses, ou que la direction du groupe L’Oréal, soient si dupes dans une succession d’affaires qui devaient bien présenter pour eux quelques avantages. S’ils ont pu être bernés par quelques Vaudois (intermédiaires ayant créé une fondation au Lichtenstein pour s’emparer de l’île d’Arros), je ne crois guère qu’un Banier soit, sans contrepartie, un vulgaire amuseur que l’on comble de tabatières, médaillons, libéralités de tels montants. Mais on peut effectivement douter de son intérêt pour L’Oréal selon les raisons invoquées par le groupe ou sa principale actionnaire.

 

Faire passer Liliane Bettencourt et L’Oréal pour des philanthropes est quelque peu insolite. Ainsi, L’Oréal a su très habilement revendre au Versorgung des Budes un des Landes allemand son ancien siège de Karlsruhe, ancienne propriété de la famille Rosenfelder, ce qui a donné l’occasion à Monica Waitzfelder de publier en 2004 chez Hachette un livre, L’Oréal a pris ma maison : les secrets d’une spoliation.  Je ne sais si la Cour européenne de Justice est toujours saisie de cette affaire ou si un arrangement amiable est intervenu. Ce distingué germaniste qu’est le « Causeur », Luc Rosenzweig, s’en inquiètera peut-être. Ce qui est sûr, c’est que les différentes chambres et ordres agiront avec circonspection. Il ne s’agit pas de ces « moralistes amateurs » que fustige Rosenzweig : « les préposés à l’édification du genre humain, les clercs, les vrais, religieux ou laïcs ayant considérablement failli et perdu, au moins pour quelque temps, toute crédibilité, la voie est libre pour que les moralistes amateurs, aventuriers de la pensée et charlatans de l’éthique essaient de nous fourguer des remèdes-miracles contre la propension humaine à préférer le mal au bien. » (voir sa tribune, « La France de petite vertu »). De même, L’Oréal n’est pas dirigé par des écervelés, et je doute fort qu’une Liliane Bettencourt, même fortement affaiblie, ait uniquement fait profiter les unes et les autres de sa prodigalité par seule grandeur d’âme ou en se laissant abuser. Cela n’implique absolument pas que tous les bénéficiaires soient à mettre dans le même sac, se voient d’emblée accusés de duplicité, ou d’abuser de la faiblesse d’une possible imaginaire malade…

 

La réaction du barreau de Paris et de la Chambre des Notaires était attendue, réclamée, depuis juin dernier. Ce pour diverses raisons, dont des techniques, et de la part de divers intervenants, selon des logiques qui leur sont propres. Le Canard enchaîné s’était, voici déjà des semaines, étonné de l’inertie du Barreau. L’enjeu ? Le 14 septembre, la cour d’appel de Versailles doit se prononcer sur les enregistrements clandestins et dire si la juge Isabelle Prévost-Desprez peut ou non s’en prévaloir pour enquêter sur l’affaire Bettencourt. Par ailleurs, bien sûr, la question du principe de la confidentialité des relations entre clients et avocats et notaires mérite d’être soulevée. La presse, soucieuse de la confidentialité de ses sources, ne peut s’en offusquer. Et puis, d’autres causes, internes aux professions, ont dû influer. Éric Woerth est défendu par un vice-bâtonnier, Jean-Yves Leborgne,  Fabrice Goguel, ex-avocat de Liliane Bettencourt, figure dans le verbatim des écoutes. Je ne sais si Jean-Pierre Versini-Campichi est désormais, tout comme Pierre-Olivier Sur, candidat au « dauphinat » (du « bâton » du barreau), mais il ne peut leur nuire de rappeler les principes. On se bornera à relever que si la presse, voire aussi leur confrère Antoine Gillot, sont indirectement visés, Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, qui a su autoriser les fuites qui jetaient le doute sur les clients de cet avocat, l’est tout autant. L’ancien bâtonnier Mario Stasi, qui était intervenu dans des affaires d’écoutes téléphoniques, sait concilier « l’approche pragmatique des dossiers » et la « culture du résultat ». Il agit actuellement pour le compte d’Alexandre Jevakhoff, dircab’ de MAM à la Chancellerie, son client dans l’affaire Clearstream, afin de contrecarrer la diffusion du livre de Jean Galli-Douadi, Clearstream-Eads, aux éditions Bénévent.
Carole Bouquet, nom de code « Bûche » dans l’affaire dite des « Écoutes de l’Élysée », avait considéré qu’il fallait refuser « le langage faux d’une prétendue sécurité d’État. ». Mais on ne peut reprocher aux avocats d’avoir la « culture du résultat » en défense comme en partie-civile et tantôt de s’opposer à l’avocat général, tantôt de conforter le ministère public. De même ne peut-on reprocher à la presse de dénoncer un temps des écoutes, et de s’en servir et de les répercuter dans un autre. Quel sera le résultat ? Aura-t-il des effets pervers ? Espérons, sur ce point comme sur tant d’autres, à l’instar de Luc Rosenzweig, que la démocratie, au « fonctionnement bancal, où se heurtent sans cesse la forme des égoïsmes individuels et l’intérêt du plus grand nombre » puisse trouver là encore « une capacité à se réformer pour éviter le chaos. ».

 

Sur les aspects techniques des actions de l’Ordre national et départemental des médecins, je vous renvoie aux commentaires du blogue-notes de JPhilippe sur Mediapart. Le « médecin de famille » de Liliane Bettencourt, Philippe Koskas, et son confrère le neurologiste Michel Kalafat, peuvent éventuellement considérer qu’ils ont été l’objet d’une pratique déloyale de la part de son confrère Gilles Brücker, récipiendaire, pour le compte de diverses fondations, des subventions de Liliane Bettencourt. Michel Kalafat avait estimé que Liliane Bettencourt n’était pas « hors d’état d’agir d’elle-même », mais qu’elle pouvait être placée « sous un régime de curatelle ».
Gilles Brücker avait su, en novembre 2007, céder son siège à la tête de l’Institut national de veille sanitaire, à Françoise Weber, pharmacologue, ancienne dircab’ adjointe de Xavier Bertrand à la Santé puis au Travail. Lui-même ancien du cabinet Kouchner à la Santé en 2001, avait proposé à son ministre que Liliane Bettencourt reçoive la Légion d’honneur. Aurait-il influencé des confrères pour obtenir d’eux des attestations contredisant les diagnostics de Philippe Koskas et Michel Kalafat ? Ce parce que sa fille Pauline avait bénéficié d’un don de 500 000 euros de Liliane Bettencourt sous la forme d’un appartement en 2006 et qu’il en attendait d’autres bienfaits ? Ou s’agissait-il de faire en sorte que l’île d’Arros, échappant à la fondation aux fumeuses visées écologiques du Lichtenstein revienne à des fondations médicales plus utiles, comme Orvacs, Solthis et le Crepats, dont Gilles Brücker est la cheville ouvrière avec son épouse ? Cumule-t-il les fonctions, comme le font les politiques qui siègent tant dans les Chambres que dans les collectivités territoriales, par « souci d’efficacité » ? Je ne me sens pas les compétences pour le dire…

 

J’ai au moins consulté le rapport d’activité 2009 du Groupement d’intérêt public Esther (Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau), présidé par Dominique Israel-Biet et dirigé par Gilles Brückner.  J’y relève que « moins de 10 % des crédits alloués ont eu pour objet le financement de la structure administrative du siège (frais généraux) ». On comparera avec le pourcentage des « frais généreux » alloués à la fondation des Pièces Jaunes de Bernadette Chirac et David Douillet ou Estelle Lefébure. On comparera sur les sites respectifs, la teneur des informations financières. Ou avec celles (ne) figurant (pas ou guère) sur le site de la fondation Carla Bruni-Sarközy. Mais on se gardera d’en tirer des conclusions définitives. D’ailleurs, on cherchera aussi en vain des rapports financiers chiffrés sur le site de la Fondation Bettencourt-Schueller où siègent notamment Marc Ladreit de Lacharrière, Guy Landon, Patrice de Maistre ou Édouard de Royère. Gageons que Françoise Bettencourt-Meyers et son époux, Jean-Pierre Meyers, eux aussi « administrateurs de sociétés », et y siégeant toujours, auraient su, le cas échéant, s’inquiéter d’une dilapidation (trop) abusive de ses fonds.

 

Finalement, on pourrait dire de Gilles Brücker ce que Juan Sarkofrance dit, sur Marianne2,  de Sébastien Proto, dircab’ d’Éric Woerth : « Au final, que ressort-il ? Sébastien Proto n’a eu aucun souci à travailler directement sur un sujet majeur, la libéralisation des paris en ligne, malgré des relations amicales avec certains protagonistes du secteur. Il n’y a rien de répréhensible. Juste un malaise évident devant tant de perméabilité entre les sphères amicales, privées et publiques sur des sujets sensibles. ». Tout est dans l’usage qu’on en fait. Bernard Kouchner, encore ministre des Affaires étrangères, et exerçant la tutelle sur l’organisme France Monde et plus ou moins sur France 24 et RFI  et TV5 Monde que dirigent sa fort formidablement rétribuée épouse, Christine Ockrent, s’est valu, avec elle, le sarkozyen-hugolien sobriquet de Thénardier en raison de leur « voracité ». Il n’est pas sûr que le couple Brücker-Katamia leur arrive à la cheville ou à la plante des pieds du point de vue de ses appétits personnels. Ils assurent n’avoir tiré aucun profit personnel. Mais face au salmigondis des multiples confusion de genres, intérêts, postes, nominations, &c., dans lequel ils apparaissent, ils doivent sans doute méditer l’adage « fallait pas s’inviter ». Ou peut-être l’interprètent-ils de la sorte : « fallait pas se laisser inviter », et possiblement, « compromettre ». Il reste que, tout comme dans l’interprétation de la possible intervention d’Éric Woerth dans la succession du sculpteur César, il ne faut pas confondre l’accessoire avec l’essentiel. Et s’appuyer, jusqu’à nouvel ordre, sur cet autre adage, « comparaison n’est pas raison ».

N.-B. – La récente annonce, par Me Kiejman, du retrait du mandat d’exécuteur testamentaire de Jean-Marie Banier, Liliane Bettencourt s’étant rétractée à son seul « égard », n’est qu’une péripétie secondaire. L’intervention de Jean-Louis Nadal, procureur général de la Cour de cassation, qui envisage que la Cour de justice de la République – que d’aucuns ont pu estimer indulgente à l’égard de Charles Pasqua récemment – soit saisie, semble un élément plus « porteur » de conséquences. L’escamotage d’Éric Woerth du « paysage woerthgatien français » au moins pour une période prolongée (au-delà de 2012 ?), est-il ainsi envisageable ?