Le Woerthgate et les affaires Woerth-Bettencourt font de plus en plus songer à un titre de western-spaghetti : mais il ne s’agit plus de quelques poignées de dollars, mais de brassées de millions d’euros. Tenez, Éric Le Moyne de Sérigny, éminence grise d’Éric Woerth, réclame cinq millions d’euros au mensuel Rue89. Une aumone ! En tout cas en regard des quelque 700 millions de francs suisses (près de la moitié de son actuelle fortune personnelle) que Liliane Bettencourt à placé en Suisse. Ce qui n’intéresse évidemment pas le procureur Courroye…

 

Cinq millions d’euros, c’est le prix d’un étroit immeuble de cinq étages à retaper dans l’un des arrondissements de l’est parisien. Une misère ! C’est ce que réclame Éric de Sérigny, l’un des membres fondateurs du Premier Cercle, au mensuel Rue89. Ce au motif que le mensuel a publié un article de David Leloup, qui se fondait bêtement sur des documents irréfutables, établissant qu’Éric de Sérigny serait l’actuel directeur de trois société panaméennes : Lorcha Overseas, Magma Entreprises (la bien nommée) et Caliban Holdings (la shakespearienne). Que fait Éric de Sérigny ? Il assigne les responsables du registre officiel des sociétés de Panama pour faux, falsification d’écritures publiques, préjudice moral, et réclame un pretium doloris (le prix de sa douleur morale de passer pour un facilitateur d’évasion fiscale) ? Eh non, il poursuit Rue89 en diffamation, tel des Éric et Florence Woerth, tel un Éric Besson (à l’encontre de Bakchich à la suite d’articles sur son escapade nuptiale à Capri), et quelques autres ayant subi des « violences morales » et autres atteintes à leur honneur, leur probité, leur dévouement à la Nation, au Peuple français, &c.

 

Rue89 persiste et signe, se refuse d’obtempérer et de retirer l’article de son site « sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard » (en sus des cinq millions d’euros réclamés). Et Rue89 de pousser des cris d’orfraie. Mais c’est quoi, quelques milliers d’euros quotidiens par rapport au 500 par seconde qu’encaisse Liliane Bettencourt ? Pour un de Sérigny, ce n’est peut-être que la moitié de ses gains d’une journée (mais, bien évidemment, en sus de ses 35 heures hebdomadaires de déjeuners et dîners en ville, il travaille, lui, sans doute bien davantage que des plumitifs). À son aune, c’est très mesuré, et même charitable. Regardez Liliane Bettencourt. Elle consulte un médecin ? Elle lui lâche 1 700 euros. Elle va faire relier un livre ? Encore quelques centaines d’euros. Elle s’offre une babiole ? Deux-trois mille euros. Comment s’imaginer sortir de chez soi sans quelques milliers d’euros en liquide ?

 

C’est Isabelle Eckert, du Matin, quotidien suisse, qui estime, sans doute d’après des sources judiciaires, que Liliane Bettencourt aurait, au fil de l’eau alimentant le Léman, placé 700 millions de francs suisses auprès d’UBS, du Crédit suisse, de Pictet, de Lombard Odier à Genève ou Vevey. Des sources qui n’intéressent pas le procureur Courroye, concentré à établir que l’île d’Arros n’appartenant plus à Liliane Bettencourt de longue date, il ne saurait être question de lui reprocher de l’avoir un jour, bien avant le terme de la prescription pour dissimulation fiscale, brièvement acquise. Au contraire, Liliane Bettencourt, qui s’est fait chaparder son île d’Arros par une obscure fondation, comme l’établit définitivement le juge helvète Jean-Bernard Schmid (information reprise par Bakchich), doit toujours en supporter les frais de personnel et d’entretien. Il serait normal qu’elle puisse déduire ces sommes (certes modestes : il n’y a guère que vingt personnes en permanence) de son imposition en France. Cela vaut quoi, au juste, 700 millions de CHF ? Bah, ne vous donnez pas la peine de convertir : ce serait près de la moitié de la fortune actuelle de Liliane Bettencourt. Donc, à peu près 250 euros à la seconde, « durant des décennies », précise vaguement Le Matin.

La bonne et très patriote Liliane Bettencourt, dont il est répété que la choyer empêche qu’elle s’allie à Nestlé, société suisse, avait cependant mis plusieurs fois à contribution ce groupe étranger pour des échanges de bons procédés. Ainsi, l’appartement de 19 pièces mis à la disposition de Florence Woerth à l’année, celui du Château-Banquet (du proche Ripaille, sans doute…) à Genève, fut longtemps la propriété de la SCI En Bergère Vevey SA, « un satellite de Nestlé », établit Le Matin. Lorsa SA, société personnelle des Bettencourt, concurrente pour certains produits de L’Oréal, fabricante et distributrice d’autres estampillés L’Oréal, fut longtemps aussi la propriété de Nestlé dont Eugène Schueller, père de Liliane, était déjà, en 1942, l’un des principaux actionnaires.

 

Bizarrement, la presse française ayant agité le spectre d’une cession de L’Oréal à Nestlé n’a pas vraiment repris les informations du Matin. On attend à ce qu’elle s’informe davantage sur les commentaires qu’a suscité l’article d’Isabelle Eckert. Ainsi de celui-ci,  d’un certain Caius. Bettencourt aurait créé sa société en Suisse pour y placer des « brevets et formules cosmétiques » volés à des concurrents français, mais « juifs » aux termes des lois de Philippe Pétain. De même, un temps, le siège allemand de L’Oréal était-il à l’origine la propriété d’une famille juive. Il a été revendu sans que les héritiers aient pu profiter du produit de cette vente. Les « abus de faiblesse » et les violences, qui ne furent pas  que morales, sont peut-être bien répartis dans la saga de l’affaire Bettencourt.

 

Autre information quelque peu négligée par la presse française, celle relative à l’identité du nouveau (ou de la nouvelle) exécuteur testamentaire de Liliane Bettencourt. François-Marie Banier, qui ne veut plus d’une île d’Arros que la Fondation du Liechtenstein n’est certainement pas prête à lui céder, n’est plus intéressé par sa succession, il en a été pour ainsi dire répudié. Le professeur de médecine Gilles Brucker a renoncé publiquement à ce rôle. Qui est donc le nouveau ou futur ? Pourquoi pas Patrice de Maistre, qui partage son avocat personnel avec celui de Liliane ? Au fait, comment ce dernier répartit-il ses honoraires entre sa cliente et son client ? La question n’intéresse pas plus le bâtonnier de l’Ordre que la presse française.

 

Selon Henri Vaquin, sociologue et spécialiste des conflits sociaux, interrogé par Gilles Bousquet, de La Dépêche, « l’affaire Bettencourt a fini de discréditer le politique. ». Mettons plutôt que le Woerthgate est loin d’être fini (le volet hippodrome et golf de Compiègne est loin d’être clos). Henri Vaquin considère aussi que « la contestation prend sa source ailleurs que dans la réforme des retraites. ». Pas au tribunal de Nanterre, quand même ? Pas dans, par exemple, l’idée saugrenue que le procureur Courroye n’aurait actionné la justice suisse que pour mieux dédouaner Liliane Bettencourt, de Maistre ou Florence Woerth ? Pas dans celle tout aussi farfelue, qu’Éric Woerth se soit démené comme un bon diable pour défendre bec et ongles le système de  retraite des conseillers régionaux picards (à partir de 61 ans, ils perçoivent, en sus de leurs autres revenus, 5 488 euros annuels par mandat de six ans, soit, pour deux mandats, la retraite d’un ouvrier ou employé moyen après bientôt 42 ans de travail) ? Quand même pas dans la supputation abusive que Bernard Tapie ait pu échanger un soutien à Nicolas Sarkozy, une promesse de contrer des candidatures gênantes en 2012, contre ce que, de toute façon, la Nation lui devait ? Ce n’est pas non plus, assurément, le dispositif Copé, qui exonère d’impôt sur les sociétés les plus-values tirées de la vente de filiales détenues au moins deux ans, et qui prive le budget d’un peu moins de 8 milliards par an ? Pas, espérons, parce qu’ils aimeraient « la castagne » pour le plaisir de donner de la voix ?

 

Sur AgoraVox, voici quelques instants, le blogueur Imhotep écrivait : « Pour simple détail, à l’instant où j’écris ces lignes j’entends de là où je suis les clameurs de la foule, et je suis à plus de cinq cents mètres de la place Bellecour (Lyon) qui a vu deux jours d’incidents assez violents. Ceci juste pour dire que les manifestations continuent. Hier on entendait les hélicoptères de l’armée ou de la police, je ne sais, du matin au soir, bourdonner au-dessus de nos têtes. Je ne décris pas la guerre mais le climat de révolte qui perdure. ». Diable ! Serait-ce parce qu’ils ne peuvent aller faire du copter spotting au Cap Nègre que les Françaises et les Français descendraient dans les rues ? Comme le disait Nicolas Sarkozy, « désormais, quand il y a une grève en France, plus personne ne s’en aperçoit. ». Effectivement, on ne voit que des gens, le nez en l’air, tentant de distinguer le sexe des coléoptères d’acier. Ach, Pariss zera toujourss Paris ! Quels blagueurs, ces Français !  Mais en fait, pour financer leurs retraites, pourquoi tous ces gens ne procèdent-ils pas comme la famille Schueller-Bettencourt ? Tenez, il y a pourtant des moyens aisés de s’enrichir. Au lieu de payer si cher pour héberger des Rroms dans des hôtels du groupe Accor, de leur financer, via Carlson WagonLit, l’affrètement d’avions ou d’autocars, et les renvoyer chez eux sans rien leur demander en retour, ils pourraient s’aviser de quelques évidences. Avez-vous bien vu les chevelures des hommes et femmes et enfants roms ? N’auraient-ils pas quelques brevets ou formules cosmétiques qui seraient exploitables ? En voilà une idée qui vaut du Petrol Hahn ! Il y a quelques idées simples, qui ne figurent pas dans le rapport Attali, à explorer, non ? Réhabiliter le travail manuel, aussi. Liliane Bettencourt vient de remettre 50 000 euros à deux potiers (prix de sa fondation valorisant l’intelligence de la main) en leur déclarant : « le plus important, c’est l’audace, c’est la vie ! ». À désormais plus de 88 ans, Liliane Bettencourt a des formules vraiment lumineuses, et voilà de quoi encourager des vocations de vanniers, de rempailleurs de chaises, et de tous ces beaux métiers d’antan aux productions prisées dans le monde entier.  

Les Françaises et les Français ont de la ressource. Ils resteront sourds aux critiques des voix venues de l’étranger, comme celle du maire de Plérin, sénateur des Côtes d’Armor, qui a estimé que pendant que Nicolas Sarkozy enterrait les retraites par répartition, son frère, Guillaume, jetait les bases des retraites par capitalisation. Eh, du capital, il en faut, comme pour restaurer les monuments historiques français que le Carlyle Group d’Olivier Sarkozy réaménage pour leur donner une destination autre que muséale : « c’est l’audace, c’est la vie ! », là, encore, aussi. Après la détente, et l’observation des hélicoptères, les Françaises et les Français sauront se remettre le nez dans le guidon, et résolument tournés vers l’avenir, oublierons les chimères de retraites pour se dédier à l’offensive. Et pour ne plus perdre de temps avec ces vieilles histoires de retraites et de flambeaux banlieusards, le gouvernement vient à l’instant (ce jeudi 21 octobre en milieu d’après-midi) de recourir au Sénat au vote unique, qui ne portera que sur les amendements qu’il a accepté. Le Woerthgate aura eu cela de bon : donner un coup d’accélérateur aux réformes, et à la rupture, peut-être définitive, aussi !