De qui cette prémonition : « Cet automne, c’est la saison de Woerth ! » ? De Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée. Effectivement, mais selon les pronostics du Courrier Picard, ce sera sur un terrain tellement lourd qu’Éric Woerth risque de vider les étriers avant de passer la première haie. Claude guettait (d’où le titre) Éric au pesage. Et le poids s’alourdit…


C’était dans Le Point, en octobre 2009. Claude Guéant transmettait indirectement à Éric Woerth les félicitations réitérées de Nicolas Sarközy, en villégiature au Cap Nègre, où il était voisin de La Cavalerie d’Antoine Gilibert, de la Société des courses de Compiègne. « Le président a été très satisfait de Woerth. Il fallait mettre un terme à l’idée qu’il y avait encore des paradis fiscaux. Et puis il y a 40 milliards d’évasion fiscale en France. Il faut la combattre. Cet automne, c’est la saison de Woerth, » claironnait Claude Guéant. Depuis, on a appris que de Maistre figurait sur la liste des évadés fiscaux en Suisse, que Liliane Bettancourt détenait des avoirs dans des paradis fiscaux, qu’elle avait fait créer une fondation au Liechtenstein, que la banque Dexia avait refusé un retrait en numéraire de 500 000 euros à de Maistre peu avant sa rencontre « dans un café » avec Éric Woerth. Mais un rapport de l’IGF a totalement « exonéré » Éric Woerth de toute complaisance envers Liliane Bettencourt ou son entourage, et nous glisserons donc sur ces péripéties sans nous y appesantir. De même n’irons-nous pas extrapoler sur les diverses fondations, médicales et autres, bénéficiaires des largesses de Liliane Bettencourt. Les bonnes questions lui seront posées par les enquêteurs, comme à tous les bénéficiaires de ses dons et versements en liquidités, fussent-ils des électeurs fidèles de l’UMP résidant dans le triangle Neuilly-Auteuil-Passy.

 

Nous ne doutons pas non plus qu’entre Auteuil et Chantilly, il y ait une « muraille de Chine » aussi large et haute que celle qui sépare la résidence de Carla Bruni de la villa mauresque de La Cavalerie, gérée par Antoine Gilibert, au Cap Nègre.  Il faut le prendre au figuré bien sûr, car il n’y a peut-être qu’un traversin qui sépare Florence et Éric Woerth qui ignore tout des activités de son épouse, et vice-versa. Et n’allons pas avancer que ce traversin serait, comme de mauvaises langues l’avancent, un « bouclier moral » (au-dessus d’un certain seuil, tout est exonéré, frappé de prescription). D’ailleurs, comme l’avançait un lecteur du Figaro, « il n’est pas du tout prouvé qu’Éric et Florence Woerth se connaissent… ». On peut en effet se côtoyer sans pourtant se connaître.

 

En revanche, oui, Éric Woerth, jockey « épris du président de la République », ayant remporté les prix du Roquet-Club, des Boniments historiques et Pari-Tartuffe décernés par Le Canard enchaîné, lequel persiste, signe et amplifie en estimant que la cession de l’hippodrome du Putois à Chantilly pue à pleins naseaux, risque la distanciation au trot et le vidage d’étriers en obstacle. Noyez le Woerthgate, écrivions-nous déjà, et il émerge… au galop.

 

La glorieuse incertitude du sport équestre fait que ce serait quasiment par hasard que, en dépit des offres d’émirs avancées par le « volatile du mercredi », le golf, l’hippodrome, et le reste des 57 ha constructibles du domaine forestier acquis, soient tombés dans l’escarcelle du gérant de La Cavalerie. Ce n’est cependant pas tout à fait l’avis de Pascal Mureau, du Courrier Picard, qui vient d’infliger un nouvel handicap au mari de la fondatrice de l’écurie D(i)am’s, Florence Woerth. L’écurie, qui porte des couleurs « ultra-féminines » afin de concrétiser « un réseau autour d’une passion » et un « désir de provoquer la reconnaissance des proches », soit « satin rose et velours orange », ne joue pas sur du velours avec le jockey Woerth qui risque de ne plus avoir à répartir des quartiers d’orange (n’allons pas présager qu’il s’en referait pourtant bien une « Santé »). Ces dames de Dam’s vont-elles virer citron ou… marron ? Bah, tout va très bien, Mesdames les Marquises, tout va très bien, tout va très bien.

 

Qu’affirme Pascal Moreau ? Que l’ONF (l’Office national des forêts) veillait rigoureusement à ne pas se départir du domaine de Chantilly, qualifié de « bijou de famille », en dépit de tractations, supposées avantageuses pour l’État, que la Société des courses de Compiègne suggérait dès janvier 2006. Mais qui ne change pas d’avis ? Le ministère de tutelle, celui de l’Agriculture, a donc été totalement convaincu de vendre par Éric Woerth. Pourtant, il semblerait que selon Le Canard et même Philippe Marini, sénateur-maire UMP de Compiègne, favorable à la vente, les fonctionnaires de Bruno Le Maire, distributeur de « poireaux » (du Mérite agricole), auraient freiné des quatre fers. Les poireaux iront-ils aux casseroles ? Et qui finira par manger le morceau ?

 

Le golf, implanté en même temps que l’hippodrome en 1896, devait dès lors bénéficier d’une sous-location soigneusement étudiée, voire avantageuse, ce qui semblait tellement aller de soi qu’on ne comprend pas pourquoi, en juillet 2007, la Société des courses de Compiègne, a soudain décidé de rendre le bail précaire et révocable à son gré, et ses conditions, chaque année. Le golf aurait pu se porter acquéreur de ses propres six hectares, et cela à un prix proportionnellement supérieur au neuvième (6 ha sur 57, c’est 9,5) des 2,5 millions d’euros du total de la cession. « Mais on n’en a rien su, » confirme le président de l’association du golf.  Réunir plus de 0,27 million d’euros, pour les richissimes membres éminents du Club et généreux donateurs, c’était une bagatelle. Mais ni le ministre de l’Agriculture, ni celui du Budget, n’y ont songé un seul instant. Un reste de respect humain, sans doute : on aura rechigné à tendre ainsi la sébile auprès des de Rothschild (Édouard en fut le président), de la famille princière d’empire des Murat, ou de Christian Ciganer-Albaniz (ex-parent par alliance de Nicolas Sarközy, dont l’épouse siège au comité directeur). Xavier Niel, fondateur de Free, a bien acquis le golf du Lys, à « un jet de pierre de Chantilly », pour à peine moins de cinq millions d’euros. Soit deux fois le prix des 57 ha de l’hippodrome et du golf du domaine forestier, mais ce golf des Lys couvre près de 100 ha. Mais les Domaines n’en ont sans doute rien su, pas plus que le fisc : c’est du moins ce qu’il faut croire puisque le prix n’a pas été « bradé », comme le titrait Le Monde. Aurait-on voulu faire preuve de discrétion à l’égard de Cécilia, ex-épouse Sarközy, écarter Xavier Niel, actuel copropriétaire du Monde ? Le problème, c’est qu’alors que le golf de Chantilly dispose d’installations entretenues, Xavier Niel se voyait doté d’un golf en faillite, dont les installations nécessitaient une réhabilitation (et non simple rénovation), pour environ un demi-million d’euros sur ce domaine de Lamorlaye-Chantilly. Il se pourrait même que ce soit la raison pour laquelle il aurait possiblement obtenu une petite fleur (voire une rose en soie) quant au prix du terrain. Il ne joue pas au golf lui-même. A-t-il donné de solides garanties quant à la pérennité du club tandis qu’Antoine Gilibert, de son côté, « chez lui » désormais, fait l’inverse ?

 

« Pourquoi pas une belle opération immobilière à venir avec les six hectares du golf achetés à vil prix ? » estime Pascal Moreau. Nous lui laissons l’entière responsabilité de cette hypothèse mais il est certain que, comme l’a noté Le Canard enchaîné, l’hypothèse de « plus-values » futures a été envisagée par Éric Woerth, et c’est indéniable de sa part, car son courrier adressé à Antoine Gilibert en fait foi. Woerth et Gilibert ne se seraient jamais une seule fois rencontrés, et inversement, s’il faut en croire encore Antoine Gilibert. Pour les représentants de l’ONF et Gilibert, c’est un peu différent. Déjà, en 2006, la Société des courses de Compiègne obtenait de l’ONF l’autorisation d’étendre le bâti. Seule condition restrictive : le faire « dans le respect du style architectural ». On se doute bien que s’il était question, par exemple, d’ériger un casino, il ne serait pas d’une facture du genre Las Vegas, Disneyland, ou Fête à Neu-Neu. De la même manière qu’un MacDo peut s’implanter sur les Champs-Élysées en respectant le caractère de l’avenue, Antoine Gilibert pourra vendre des frites-merguez derrière une belle façade de style néo-normand. Mais on peut imaginer que le futur restaurant, déjà envisagé avant même la cession, n’aura pas au menu du hachis-parmentier confectionné avec les restes des chipolatas de la veille . Bon(s) appétit(s), Messieurs Woerth et Gilibert, nul doute que l’inauguration de cette élégante gargote vous offrira – enfin – l’occasion de vous rencontrer.