Lier les divers volets du Woerthgate (financements de l’UMP, de micropartis, affaire de l’hippodrome de Compiègne…) à son volet « affaire Bettencourt » sera désormais difficile, voire impossible. Les actions judiciaires opposant Liliane Bettencourt et sa fille, Françoise Bettencourt-Meyers, vont désormais alléger la tâche des magistrats bordelais puisqu’elles s’évaporent à la faveur d’un accord privé et confidentiel entre les parties. Reste théoriquement en lice l’ancien ministre et maire de Chantilly, mais pour lui aussi, la crème est allégée, en attendant peut-être, le chrême d’une sinécure.

 


« Les dispositions de l’accord sont personnelles et confidentielles, » a précisé un communiqué qui restaure « l’harmonie familiale ». Une harmonie assurément élargie aux proches, François-Marie Banier, Patrice de Maistre, la baronne Amiel, des notaires, voire même des… magistrats. On peut donc se demander – sans trop craindre de surprises – ce que feront désormais les magistrats de Bordeaux des investigations du juge suisse auxquelles le procureur Courroye avait fait mine de partiellement s’intéresser. Beau lessivage.  Françoise Bettencourt-Meyers se « désistera de ses poursuites contre François-Marie Banier » (et donc contre de Maistre) et réciproquement, François-Marie Banier retirera ses propres plaintes, ce qui permet de même d’occulter les bons offices de Patrice de Maistre et des avocats ou notaires. Bizarrement, l’accord prévoit aussi que Banier et de Maistre « ne feront plus partie » de l’entourage de l’archi-milliardaire. Pourquoi donc ? Ils sentaient le pâté, la pâtée, l’appâté ?  Reste le volet Éric Woerth. Avec essentiellement un chef d’accusation de « financement illégal de parti politique », un éventuel soupçon de favoritisme dans l’attribution de décorations, et bien sûr l’histoire de l’hippodrome de Compiègne qui pourrait activer une Cour de Justice fort assoupie ces derniers temps. Cette Cour de Justice a désigné un rapporteur, qui rapportera qu’il y aura ou non matière à envisager de poursuivre. La trêve des confiseurs reportera sans doute la décision à janvier, ou février, ou mars, sans doute pas jusqu’à la Trinité (ni la Guyane à laquelle est symboliquement voué David Sénat, l’ex-dircab’ adjoint de Michèle Alliot-Marie à la Justice, désigné par Hortefeux en tant que suspect possible de fuites vers la presse, et qui s’est rebiffé en portant plainte). 

Éric Woerth, qui avait confié à Michel Denisot, sur Canal+, qu’il n’était nullement « lâché » par Nicolas Sarkozy, n’a sans doute pas tort. En tout cas, son épouse, Florence, n’aura sans doute pas à s’expliquer sur les dissimulations fiscales de Liliane Bettencourt et consorts en Suisse, c’est déjà cela.

Évoquant ses « maladresses », le ministre « honnête et intègre », pas plus suspect de favoritisme que son dircab’, Sébastien Proto, ami d’Antoine Arnault, beau-fils de Maistre, dans l’affaire des paris en ligne, s’est exonéré d’avoir de près ou de loin favorisé un financement illégal de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy. À propos de l’hippodrome de Compiègne, il n’a fait qu’appliquer « la nouvelle politique immobilière de l’État ». Nouvelle ? Bah, la précédente innovation remonte au moins au passage de Nicolas Sarkozy au ministère du Budget avec la cession du siège parisien de l’Imprimerie nationale au groupe Carlyle, désormais vice-présidé par Olivier, le demi-frère de Nicolas Sarkozy (après montage défiscalisé au Luxembourg mais avant emménagement des services du ministère des Affaires étrangères dans les locaux plus ou moins sommairement réaménagés).  Nicolas Sarkozy, habitué à batailler sur tous les fronts, voit sa tâche allégée. Comme l’indique Mediapart, le 16 mai 2007, jour de sa prise de fonctions en tant que président de la République, il recevait copie d’une facture de huit millions d’euros pour « services rendus ». On a retrouvé l’original, émanant de Jean-Marie Boivin, principal intermédiaire de l’ombre de l’État dans l’affaire du Karachigate, et de Patrice Durand. Nicolas Sarkozy n’en était pas seul destinataire en copie : tous les administrateurs de la Direction des chantiers navals, ses commissaires aux comptes, &c., l’ont reçue. Ne manquait peut-être que certains commissaires du gouvernement : la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire de Karachi n’avait pu entendre ces fonctionnaires. Pas plus qu’elle n’a pu entendre sans doute ceux qui, comme Alexandre Jevakhoff, figuraient sur les listings Clearstream et avaient été entendus à propos de la « nouvelle politique » de la Direction générale de l’armement. 

L’impression que tout cela donne, c’est quand matière de financement de candidatures (Balladur, Sarkozy), on époussette sur les marges… financières et autres. Et puis, le reclassement de possibles sachants dans diverses affaires annexes ou connexes ou autres s’opère. Ancien proche d’Éric Woerth au ministère du Travail, et de Sébastien Proto, ancien du cabinet Arthur Andersen comme d’autres protagonistes de divers volets, mais aussi ex-directeur administratif et financier de l’UMP, Vincent Talvas vient d’obtenir une direction des… affaires… publiques, chez l’opérateur SFR. Pour les moins publiques, ses compétences sont peut-être aussi tout à fait idoines. La valse des directeurs de cabinet n’est sans doute pas achevée. Ils oublieront, on oubliera. Marguerite Bérard, qui faisait partie de l’équipe, a rejoint Xavier Bertrand au ministère du Travail.

 

Finalement, de tout cela, on finira peut-être par ne retenir, si le film projeté par Édouard Baer sur l’affaire Bettencourt se tournera, qu’un Jean Rochefort aura incarné à l’écran une vieille dame en conservant sa moustache sous une perruque féminine. Quant aux vibrisses des « chats faisant la chattemite » (La Fontaine), elles iront fouiner ailleurs. Ce jour, on s’intéressera sans doute davantage aux soubresauts de l’action L’Oréal qu’à autre chose. Les petites affaires ne sauraient durablement gripper les plus importantes…