Reporter à l’après-2012 l’enterrement des divers volets du Woerthgate (affaires Bettencourt, Woerth et autres…) tout comme la proclamation d’une mise en place de « correctifs » de la réforme des retraites, tels semblent être les deux objectifs prioritaires du moment de Nicolas Sarkozy, de son entourage, de ses actuels et futurs obligés.

Titre du Canard enchaîné « Gagné ! l’affaire Woerth ne sera pas jugée avant 2012 ». Titre auquel vous auriez pu ne pas échapper : « Gagné ! on reparlera peut-être des retraites après 2012 », quand la réforme voulue pour favoriser un système par répartition aura été entérinée.

Au nombre des péripéties récentes du volet Bettencourt du Woerthgate, on note le vol des ordinateurs portables de  journalistes (au Monde, au Point, à Mediapart où ont aussi disparu les CD des enregistrements faits par le majordome de Liliane Bettencourt). Coïncidence ? Peut-être. Ou il pourrait s’agir de trouver des éléments permettant de dessaisir la juge de Nanterre qui enquête sur le volet Bettencourt (restreint aux plaintes pour abus de faiblesse, le volet fiscal étant soigneusement éclipsé par le procureur Courroye). Il est impossible de dessaisir le procureur Courroye d’une enquête préliminaire mais il peut consentir à passer la main à un autre procureur, tout aussi bien disposé que lui-même à ne s’informer, par exemple en Suisse, que de faits prescrits ou de nature à ne pas aborder l’essentiel. En revanche, Liliane Bettencourt, qui a opposé une fin de non-recevoir à la juge voulant l’entendre sans autre témoin qu’un greffier, ou un de Maistre, ont tout intérêt à ce que, un jour, pas trop proche, un autre magistrat soit nommé. La manœuvre ne pourrait d’ailleurs pas se borner à être dilatoire. Un tri sélectif pourrait être fait entre les pièces et les témoignages hier recevables et demain caducs. Cela s’est vu. Quant aux autres  volets (légion d’honneur pour de Maistre, emploi de Florence Bettencourt, hippodrome et golf de Compiègne, &c.), on pourra toujours enquêter très, très lentement. Pour le moment, le seul traitement des affaires consiste à tenter d’établir que la juge aurait enfreint le secret de l’instruction, de tracer les seules présumées fuites vers la presse gênantes pour de Maistre ou Éric Woerth…

Le tout est d’avoir l’opinion à l’usure. En faisant jouer les bons relais. Hier, c’était la CFDT de Nicole Notat. Une senior. Bientôt employée au conseil d’administration du Monde, en compagnie de Bernard-Henri Levy, s’il faut en croire Mediapart.  Elle siège aussi à la Halde (qui s’est distinguée à propos des reconduites des Rroms aux frontières), et dirige surtout Vigeo, une agence de notation des entreprises. Nicole Notat avait fait virer la fondatrice de cette officine pour prendre son fauteuil de dirigeante et rassembler, aux côtés de quelques représentants de syndicats européens amis, des organismes financiers, des fonds de pension : AG2R , BPCE, Confederacion Espanola de Cajas de Ahorros , Crédit Agricole AM,  Crédit Coopératif , Dexia AM , Inter Expansion (Ionis), Lazard Frères Gestion, Macif , Ofivalmo , SGAM SA. Une pléiade d’entreprises du CAC 40 ou cotées dans d’autres bourses figurent aussi tant au capital qu’au nombre des clients, dont la très sociale France Télécom (ses suicidés sont rarement des syndicalistes). Hier, la CDFT réduisait à la misère pléthore de seniors licenciés dont les retraites ne sont plus, grâce à elle, calculées sur les dix meilleures années, mais sur les 25 meilleures (donc, assises sur parfois une bonne dizaine d’année de chômage, indemnisé ou non).

 

Aujourd’hui, c’est François Chérèque, successeur de Nicole Notat, qui se prépare un reclassement à la Notat, avec un emploi de senior tout aussi durable. Notat fait dans la notation des entreprises « sociales», Chérèque, à présent dit « cherche chèque », va refaire le coup de l’éventuelle recherche, en compagnie du patronat, de solutions pour l’emploi des seniors (à commencer par lui-même) et des jeunes. Comme l’a exprimé Bernard Langlois dans Politis : « « Et chacun, comme d’hab’, dans le cercle de la raison politico-médiatique, de saluer le réalisme et le sens des responsabilités de nos grands féodaux syndicaux, capables à la fois de donner le change à leurs troupes et de les trahir en douce, en parfaite complicité avec le gouvernement et le patronat. E finita la commedia. À moins que ? ».

Le problème des retraites n’est pas d’abord une question comptable, mais un choix de société. Cependant, le système de calcul des montants des retraites, concocté par le gouvernement, le patronat et la CFDT, est l’un des plus injustes qui soit en Europe occidentale, Royaume-Uni et Belgique exceptés. Il n’y a pas que l’âge minimum de départ à la retraite qui doit être pris en considération, mais le nombre d’annuités ou de trimestres, et le niveau de décote pour celles et ceux n’ayant pu cotiser tout au long d’une carrière. Le système français avantage les cadres et les salariés hautement qualifiés ayant eu une carrière linéaire, ou… les permanents syndicaux. La plupart des pays ont aussi des régimes spéciaux (marins, mineurs…), mais la comparaison, c’est vrai, reste très difficile à établir et une véritable mise à plat permettant de réelles mises en regard tient du casse-tête. Chaque partie (gouvernement, patronat, syndicat), peut avancer les exemples qui lui convient en occultant les détails gênants. En ne citant que la Bulgarie [départ à 55 ans pour les femmes, 60  les hommes (hors  régimes spéciaux, avec de 20 (femmes) ou 25 années de cotisation, 55 % de la moyenne des trois meilleurs salaires annuels des 15 dernières années + 2 % par année d’assurance] et le Royaume-Uni (système par capitalisation dominant, une faillite de BP aurait conduit une majorité d’assurés à la misère), on peut fort bien estimer que la France se situe dans une moyenne « acceptable » pour celles et ceux qui ont pu cotiser… une quarantaine d’années. C’est cependant très dissemblable.

 

Mais il y a de profondes similitudes entre les attitudes d’un Éric Woerth et d’un François Chérèque. Le premier a défendu de toutes ses forces le système, extrêmement avantageux, de retraite des conseillers régionaux picards, dont il bénéficiera (il était conseiller régional de 1986 à 2002). François Chérèque, qui n’est plus vraiment jeune (54 ans), s’il perd sa place et n’est pas recasé par son frère, pdg d’Amadeus (système de réservation des compagnies aériennes), pourra toujours envisager une fin de carrière à la tête d’un organisme de formation ou d’un autre, au Conseil économique et social ou dans un autre organisme. Et pourquoi pas au comité d’entreprise de L’Oréal ?

Ce qui a peut-être échappé à François Chérèque, à moins qu’il ne soit fort conscient d’en être l’un des bénéficiaires, c’est que le Woerthgate, dans sa dimension la plus vaste, évoque de plus en plus un système mafieux. La Mafia a longtemps réussi, avec des bonheurs divers, à se concilier les pouvoirs publics, certains syndicats, et même l’église apostolique romaine. L’arrangement passé avec le Medef évoque très fort les bonnes œuvres de la Mafia, peu avare de dons, comme naguère l’UIMM (le syndicat patronal de la métallurgie). L’UIMM rétribuait notamment Anne Cuillé, ancienne collaboratrice de Jacques Chirac, passée à la CGPME (patronat des petites et moyennes entreprises). France Soir a estimé que ce qu’elle recevait n’était « qu’une goutte d’eau (…) sur les 19 millions d’argent liquide distribués au fil des ans » par Denis Gautier-Sauvagnac et l’UIMM.

Petit extrait de France Soir : « Anne Cuillé a raconté tranquillement aux policiers comment Denis-Gautier Sauvagnac a accepté d’améliorer son ordinaire, après son renvoi sans indemnités, de la tour Eiffel, pour rejoindre la CGPME. Elle était payée 6.500 € par mois : « Il existait une différence de l’ordre de 35.000 F (5.350 €) par mois, se justifie-t-elle. J’en ai fait part à Denis Gautier-Sauvagnac qui m’a proposé de le combler en partie, avec une somme de plus ou mois 10.000 F (1.500 €) en espèces […]. Ces remises d’espèces se faisaient de la main à la main à l’occasion de nos rencontres périodiques». La CGPME comptait d’autres bénéficiaires de la sorte qui, sans doute, pas plus qu’elle-même, n’allaient déclarer ces libéralités au fisc.

 

Florence Woerth chez Liliane Bettencourt, Nicole Notat à la tête de Vigeo, et François Chérèque ?

Favoriser, en cavalier seul, sans concertation avec les autres syndicats, des arrangements avec le gouvernement et le patronat, aurait pu passer, en d’autres temps, pour une indélicatesse à laquelle les dirigeants de la centrale de Nicole Notat avait habitué les autres formations et l’opinion. Mais le prochain dépaysement judiciaire du volet Bettencourt du Woerthgate ne les dupe pas si aisément. La facilitation de la réforme des retraites par un « dépaysement » similaire s’apparente un peu trop à une manœuvre du même tonneau. C’est soit trop tard, soit trop tôt.

Ah, oui, au fait : Éric Woerth se voit bien placé pour rester ministre du Travail, notamment, vient-il  de déclarer ce midi, car il entretient « des relations de confiance avec les organisations syndicales », qui, sans doute, de ce fait, sont d’autant plus représentatives. De quoi, au juste ?

Actualisation :

Accroche de la une du site du Monde de ce jeudi 28 octobre :

« Chaque grand mouvement social depuis 1993 s’est soldé par des promesses de tables rondes autour de l’emploi, débouchant sur des propositions généralement vite oubliées. »
Apparentement terrible : une photo de Chérèque, tout sourire, s’engouffrant dans une grosse limousine dont un chauffeur lui tient la porte… Et l’article de rappeler que Raymond Soubie, conseiller de Nicolas Sarkozy qui vient d’être récompensé par un siège au Conseil économique et « social », avait avancé, la veille des déclarations de Chérèque et Parisot, ce qu’ils allaient s’empresser de réciter et mimer devant les caméras. L’article illustre le propos par le rappel de divers conflits qui s’étaient soldées par des promesses, toutes non suivies d’effets, soit que les mesures annoncées aient été oubliées, soient qu’elles n’aient pu infléchir la courbe du chômage des jeunes ou des seniors ou de quiconque. « Cherche chèque » sourit-il en pensant à ses deniers ?