Alors que vient de cesser l’immunité présidentielle de Nicolas Sarkozy, la presse anglophone marque le quarantième anniversaire du Watergate, un scandale beaucoup plus vaste et hideux que les faits s’étant déroulés dans le lieu lui ayant conféré son nom… On ne sait si les divers Woerthgates ayant marqué le septennat de Nicolas Sarkozy attendront aussi longtemps pour que leur éventuelle ampleur (ou étroitesse, voire petitesses) se révèle. Soit que s’établisse la largeur ou la minceur séparant leurs parallèles…

Non les Woerthgates français ne peuvent être worse (pire) que le scandale du Watergate. Ils présentent cependant des similitudes (surveillance de la presse, fadettes, voire vols d’ordinateurs, dénégation des faits, peut-être emploi d’officines… et financements possiblement très douteux). Mais, 40 ans après, dans ce qui se prétendait être une démocratie qui a su toutefois s’amender, les historiens ne peuvent que constater qu’un pouvoir dévoyé avait franchi pratiquement toutes les limites, ne s’arrêtant qu’au bord du crime d’élimination physique des adversaires.

C’est pourquoi Woodward et Bernstein, les deux journalistes du Washington Post ayant soulevé le coin du et des voiles titrent ce dimanche “far worse than we thought” (« Nixon encore pire que nous l’estimions »).

Pire, pas que le seul Nixon, dont le premier cercle des financiers ignorait sans doute les intentions, mais dont la garde rapprochée, alliée avec de francs malfrats et maîtres-chanteurs sans le moindre scrupule, savait tout des croissantes ignominies qu’il suggérait ou faisait exécuter.

Le Watergate doit son nom à un fait-divers éponyme : le 16 juin 1972, cinq monte en l’air se font prendre dans un hôtel du complexe homonyme qui abrite alors le comité national de campagne des démocrates. Ils sont en mission pour la présidence républicaine. Leur but est de tout fouiller pour discréditer le candidat supposé s’opposer à Nixon, Edmund Muskie, et son probable successeur démocrate pour la campagne suivante, le sénateur Edward Kennedy.

D’ici sans doute quelques instants, la page Wikipedia « Scandale du Watergate » sera sans doute remaniée à la lumière des dernières révélations (ou confirmations, plutôt) du Washington Post. Mais, résumons…

Aménagements lénifiants

Non, le Watergate n’est pas ce qu’en dit Thomas Mallon, auteur de Watergate, publié plus tôt cette année, ni seulement ce que veut faire accroire Robbyn Swan, ancien biographe de Nixon, qui, dans le britannique Telegraph met l’accent sur de présumés scandales sexuels impliquant tant Edward Kennedy que l’ensemble ou presque de l’état-major de campagne démocrate.

Certes, E. Kennedy n’était pas un parangon de fidélité, ni sans doute d’autres démocrates en vue qui auraient employé le réseau d’une « madame », soit une fournisseuse telle que celle (ou celles) ayant fourni – à son insu ou non – des partenaires galantes à Dominique Strauss-Kahn. Mais ce n’est vraiment que l’écume des choses. Et ces livres ou articles sont surtout des contre-feux visant à minimiser la portée des vilénies imputables au seul Nixon. Les dames entremetteuses pourvoyaient d’ailleurs autant à des démocrates qu’à des républicains en vue et si DSK se refuse à ce type de défense, l’UMP n’est pas non plus exempte de faits-divers de ce type (Tron, Balkany, peut-être d’autres, en fournissent des exemples).

Ce que décrivent Bernstein et Woodward, c’est un président et ses aides les plus proches prêts à vraiment tout, sur tous les fronts, pour se maintenir le plus longtemps au pouvoir, et ruiner les ambitions des adversaires.

Dès 1969, Nixon monte un cabinet noir qui s’appuie tant sur le FBI et la CIA que sur une large cellule criminelle d’espionnage privé. Non seulement des libertés sont prises avec le code de procédure pénale, des rapports trafiqués (ce qui évoque l’affaire de Tarnac en France) sont divulgués, mais se monte un véritable gang de malfaiteurs, qui tourneront maîtres-chanteurs et seront rétribués aussi pour se taire. Objectifs : multiples. Le fric-frac du Watergate aurait d’ailleurs dû être précédé par celui de l’équivalent du siège de Terra Nova (groupe de réflexion proche du PS français), soit des locaux de la Brookings Institution.

Pouvoir tout personnel

C’est une guerre totale où, selon Nixon lui-même, « on ne fait pas de prisonniers »… La presse, les juges, sont aussi des cibles. Quand les journalistes ou les magistrats déçoivent, Nixon trépigne et hurle autant qu’un Sarkozy à l’Élysée, s’emporte presqu’au point d’en baver de rage.

On fouille les dossiers de psychiatres à leur insu, on s’en prend aux Juifs libéraux au point de partir dans des diatribes antisémites, même en présence de Kissinger, et les ordres sont de ne reculer devant rien. Au point que cela frôle le comique quand des démocrates ayant déposé leurs chaussures dans un couloir d’hôtel pour les faire cirer se retrouvent en chaussettes (elles ont fini dans des poubelles, chapardées par une fine équipe).

L’opération Opal s’apparente à la guerre électronique, l’opération Sapphire évoque Mata-Hari et l’emploi de prostituées rémunérées est courant. Le nombre des membres des commandos dépasse la cinquantaine. Soit de riches donateurs les financent, soit les fonds proviennent de la présidence.

Des primes de plus de mille dollars sont attribuées aux meilleurs, en sus de leurs émoluments.

On infiltre des agents doubles, ainsi de Robert Newbrand, chargé d’espionner E. Kennedy en intégrant son équipe de sécurité. Bien sûr, les déclarations fiscales sont scrutées. Tout au long du mandat, les opérations illégales se succèdent et se démultiplient.

Pour rétribuer les sbires, on emploie les méthodes du milieu afin de blanchir l’argent via des casinos, des paris, des circuits complexes.

Encore aujourd’hui, les républicains tentent de minimiser la perception du rôle de Nixon, en ayant recours à des « plumes ». Mais le Grand Old Party aura su aussi réagir et pousser Nixon à la démission avant le terme de son mandat. Là, aucun parallèle n’est possible avec l’UMP qui s’est contentée de lâcher le fusible Éric Woerth, sans toutefois lui retirer son investiture aux législatives.

Comme le soulignent Woodward et Bernstein, Nixon n’est jamais préoccupé par le bien de la nation qu’il préside, mais de sa seule personne, et son entourage fonctionne selon la devise du tous pour un. Aucune légère dissidence ou restriction mentale n’est tolérée. Des équivalents d’une Morano doivent tenir en laisse les homologues des Raffarin ou NKM.

La haine de ses adversaires a poussé Nixon à des extrémités qui l’ont détruit et l’intéressé finira lui-même par l’admettre. Pour le moment, Sarkozy ne s’est pas livré à la moindre autocritique, si ce n’est de façade, feignant la contrition pour ce qu’il fit passer pour vétilles.

Nixon, puis Reagan, et maintenant Romney, ont fait ou font campagne sur des « valeurs ». Il n’en est en fait qu’une : la réussite personnelle.

Sarkoznix

On doute que la présidence Sarkozy ne soit remémorée que par le film de Bernard-Henri Levy, Le Serment de Tobrouk (20 entrées seulement au MK2 Bibliothèque en première semaine, moins de 1 500 France entière, en dépit d’un formidable battage médiatique sombrant dans le ridicule). Sarkozy aura préféré une villa à Marrakech pour constater de loin le fiasco de la démocratie libyenne.

Sacha Baron Cohen est bien trop grand en taille pour interpréter Sarkozy, et Nixon présentait fort peu de travers cocasses ou dérisoires, voire piteux, caractérisant l’ex-président français.
L’histoire décantera. Le judiciaire sans doute aussi, peut-être en fonction de plans de carrière de magistrats supputant ou non que la droite reviendra « aux affaires » en 2017.

Mais il serait étonnant que la fin de l’immunité de Nicolas Sarkozy et l’anniversaire du Watergate se confine à une simple coïncidence de dates. Quelques rapprochements sardoniques sont déjà permis… Si la série des Astérix devait être prolongée, le nouveau personnage de Sarkoznix pourrait y figurer dans un rôle à la mesure de ceux qui l’auraient inspiré.