Comparez : «  Nous soutenons le peuple égyptien et son vaillant combat pour ses droits politiques et la justice sociale » (traduction libre) et « on peut être ou non d’accord avec Gaddafi » (idem). C’est du compañero Fidel Castro. C’est presque du Sarkozy en public… et en privé. Le chef suprême (maximo) est comme gêné aux entournures par ce qui se passe en Libye. En revanche, la presse cubaine officielle, plutôt factuelle, s’inspire elle aussi de ce que rapportent des Libyennes et des Libyens sur Facebook ou Twitter : Cuba, terre de contrastes ?

« Petit » aparté : voilà bien longtemps que je n’avais pas placé un « terre de contrastes », ce leitmotiv commode passe-partout. Tentons cependant de nous départir des clichés dus à l’ignorance et aux facilités journalistiques. Tout d’abord, je ne connais rien de plus à la Libye que ce que je peux en lire dans la presse étrangère anglophone et hispanophone et je regrette de ne pouvoir consulter la plus aisément la presse italienne (quand à l’arabophone, là, je cale). Si la presse française les « pompait » un peu mieux que via des dépêches d’agence (dont les localiers et certains envoyés spéciaux pratiquent diverses langues locales et autres), nous serions sans doute davantage sensibilisés à ce qui peut se produire en Lybie. Fin de la « furtive » digression.

Mais à quoi bon, ici, se risquer à prédire l’issue des combats en Lybie sur la base de maigres indices ? Certes, la presse italienne, ainsi La Reppublica, redécouvre Tobrouk et ses « chauffeurs de taxi » (les radiotrottoirs sur place, ici). Les événements de Tunisie et Libye sont des « affaires intérieures » italiennes : « nous risquons de voir arriver 300 000 réfugiés », a déclaré Umberto Bossi. Et puis l’Italie, ancienne puissance coloniale, reste plus impliquée, « globalement » (avec des PME d’italo-libyens) que la France en Libye. Mais s’il y avait une spécificité éditoriale de Come4News évidente (ce n’est pas le cas), je souhaiterais que, contrairement à d’autres supports (Le Post, pour n’en citer qu’un), nous tentions de nous attacher en priorité à ce que d’autres titres basés en France délaissent.
La presse canadienne, pour des raisons de proximité et de spécificité de la politique étrangère et humanitaire canadienne, s’intéresse davantage que la Française à Cuba. Et « voir de Cuba » ce qui ce passe au Maghreb, Maghrek et Levant n’est pas indifférent.

Kadhafi souhaite, affirme-t-il, une « nouvelle Yamaharia », soit un « gouvernement du peuple, par et pour le peuple », si j’interprète bien ce néologisme de son cru. En fait, il s’agit, comme lors d’une Révolution culturelle à la chinoise, de couper quelques têtes pour en placer d’autres, celles, suppose-t-on, ayant fait allégeance à l’un de ses fils. Toute comparaison entre Fidel Castro et son frère, d’une part, et Kadhafi et son fils serait sans doute tirée par les cheveux, mais elle vient à l’esprit : « le changement dans la continuité » cher à Giscard naguère, n’est-ce point aussi finalement l’objectif des bourgeoisies du Maroc jusqu’au Golfe persique ? C’est aussi le sentiment, en substance, de Fidel Castro, qui redoute que les États-Unis s’appuieront sur de nouvelles bourgeoisies, fussent-elles yéménites ou palestiniennes, à terme, en Arabie et ailleurs, berbères ou autres, et sur la partie moderniste des anciennes, pour maintenir leur influence. Chine et Russie ne sont pas loin de s’en inquiéter en des termes qui, pour ne pas être si voisins, reviennent au même : comment contrer l’Amérique d’Obama, sur le plan de l’influence charismatique, et les néoconservateurs américains qui contrôlent encore une large partie du pouvoir économique.

L’ennui, avec ces soulèvements, c’est qu’hormis un islamisme qui semble avoir perdu la main, qui s’est embourgeoisé, aucun courant idéologique bien défini ne se dégage. Les « masses » veulent du boulot, du pouvoir d’achat, une liberté d’entreprendre qui ne soit pas freinée par la corruption. Or, pour elles, seul le troisième terme paraît, pour au moins un temps, accessible. Finalement, si un Ben Laden proclamait, comme un Kadhafi autrefois (après l’attentat de Lockerbie), ou même hier, un « je vous ai compris » (vous voulez la démocratie ? Banco !), tout serait plus simple. Les affaires pourraient reprendre plus aisément. Business as usual.

Fidel Castro a donc salué voici peu les soulèvements en Égypte pour, par la suite, réfléchir à haute voix sur les menées nord-américaines en Lybie, pays producteur de pétrole. Les dirigeants d’Amérique latine qui ont renoué avec Cuba, celui de Chavez par exemple, se doivent pourtant comme le cubain, se soucier des courants sous-jacents de leurs opinions et des répercussions des soulèvements populaires dans le monde. Cela peut inclure de composer avec une frange de l’opposition et même d’élargir certains opposants politiques, ou du moins de le laisser espérer.

Notez que Las Razones de Cuba, le site officiel Cubadebate (dédié à la lutte contre le « terrorismo mediatico »), et le non moins aligné Granma ont repris, en version hispanophone, le « se podra estar o no de acuerdo con el Gaddafi » initial tandis que les versions ultérieures portugaise, allemande, française et anglaise débutent par la suite – « le pétrole est devenu la principale richesse aux mains des grandes transnationales yankees » – des « réflexions » de Fidel Castro.

Le pouvoir cubain n’est pas autiste et hermétique à ce qui se dit sur les réseaux sociaux. Pour preuve, cette page d’accueil de Granma, qui a montré – un temps seulement, ce fut remplacé assez vite par un visuel d’un festival local du Livre – des civils juchés sur un char à Benghazi. Fidel s’exprime, envisage un plan de l’Otan pour faire main basse sur le pétrole libyen, mais « sa » presse tient compte des images et des paroles qui circulent sur Facebook ou Twitter. Las Razones de Cuba aligne d’ailleurs des milliers d’amis sur sa page Facebook, tout comme Le Parisien ou Le Post (ouC4N). Mieux, Cubadebate débat des réseaux sociaux.

Félix José Hernández, dans Cubamatinal, estimait, en 2008, que les conseillers militaires cubains présents en Algérie et en Libye devaient être environ 3 500 (à ce propos, selon une source non vérifiée, des médecins militaires cubains seraient affectés, près d’Oran, à la garde de militaires français encore détenus depuis 1962 : info ou intox, je ne sais…). Ce qui semble plausible, du moins cela n’a pas été encore rapporté pour le confirmer ou l’infirmer, c’est que les mercenaires et soldats étrangers rétribués par Kadhafi, peut-être formés ailleurs « à la cubaine », ne sont pas encadrés par des officiers cubains. Si c’était le cas, cela serait peut-être déjà venu aux oreilles de CNN ou des Libyens contactés d’heure en heure par The Guardian ou d’autres titres anglophones.

Fidel Castro s’est révélé relativement circonspect. Contrairement aux apparences, Ortega (Nicaragua), aussi. Personne n’a, en Amérique latine, comme Michèle Alliot-Marie conversant avec Ben Ali, promis des matériels ou des conseillers en sécurité à Kadhafi. « Tout le monde peut manifester, » a déclaré Ortega à propos de son opposition : cela vaut autant pour la Libye. Ortega, Castro, Chavez… d’autres… y compris en France, finiront sans doute par condamner une répression trop sanglante, mais n’utilisent plus une propagande éhontée et irréaliste. Si Kadhafi s’en sort, maintient son pouvoir, ils le féliciteront peut-être, mais avec discrétion, puis-je augurer. Sarkozy aurait sans doute fait de même si Leila Trabelsi-Ben Ali avait pu ménager la transition qu’elle souhaitait et, dit-on, préparait activement.

Comme le dénonce l’éditorial deThe Independent, la « démocratie mercantile » n’est pas l’apanage de la France : « Le discours de Cameron ne masque pas le fait qu’il veut armer ces mêmes dirigeants arabes (…). De hauts cadres de l’industrie britannique de l’armement ont accompagné le Premier ministre dans sa tournée de la région (ndlr. le Moyen-Orient). Tandis que Cameron encensait la liberté au Koweit, son ministre pour la Sécurité internationale (ndlr. le Jean-David Levitte britannique), Gerald Howarth, se rendait au salon de l’armement à Abu Dhabi… » (adaptation rapide et libre). Difficile, en ces circonstances, de ne pas établir un parallèle avec Castro, Ortega ou Chavez, qui ont au moins la décence de s’abstenir ouvertement, dans les faits, d’outrepasser le lip service (les bonnes paroles) à l’égard de Kadhafi. Castro ne peut bénéficier du « bénéfice du doute », il est fort bien renseigné sur le régime de Kadhafi ; pour Ortega, il y a plus loin du Nicaragua à la Libye que de Paris à Tunis. Si Ortega fait moins vite machine arrière que Cameron, ce sera peut-être même plus sincère.

Sarkozy, qui n’a pas réussi à fourguer ses Rafale, veut à présent « des sanctions concrètes » de l’Union européenne. Sur une photo World News (je n’ai pas réussi à en créditer le photographe) on le voyait, l’air contrit, piégé, devant l’ancien bunker de Kadhafi, le Waterloo-Dresde-Guernica libyen transfiguré par la statue d’un poing fermé sur un chasseur de l’US Navy (drapeau étoilé en empennage inclus).
Il « appelle les dirigeants de ce pays à engager sans délai un dialogue politique ».
On croirait entendre Fidel Castro condamnant toutes les violences en Libye. Las Razones de Cuba, dont la version hispanophone vient, quasiment à l’instant, de sabrer aussi l’envoi de Castro sur Kadhafi (qu’on peut ou non apprécier), et c’est un signe « fort », pour le rétablir dans le corps du texte (au douzième paragraphe). Le paragraphe suivant n’a pas varié : « je n’imagine pas, quant à moi, que le dirigeant libyen puisse abandonner le pays et fuir les responsabilités qu’on lui impute, qu’elles soient fausses ou non en tout ou partie. ».  Le « commandant en chef » Fidel Castro Ruz et son frère, Raul, donnent du temps au temps. Comme Sarkozy le faisait pour la Tunisie. Le quotidien d’opposition cubain La Nueva Cuba conclut : « Il n’a pas fait la moindre mention, bien sûr, des atrocités du régime [libyen] qui à présent s’enfonce dans l’abîme. ». Certes, pas plus qu’hier ou naguère, en France, les assassinats du régime Ben Ali ne sont, même à présent, officiellement condamnés.

Luis Graves de Peralta, un opposant au régime cubain, divise ses compatriotes communistes en trois composantes : les mafieux, les couards, et les « ingénus ». Il relève que « les communistes ingénus sont à présent dangereux parce qu’ils sont imprévisibles et qu’ils pourraient créer des problèmes indésirables aux Castro. ».
On pourrait en dire autant des démocrates dans les pays arabes, asiatiques, sud et nord-américains, et… européens. Que des démocrates arabes ou berbères, musulmans ou agnostiques, deviennent moins couards, cela ne doit pas trop arranger les affaires des Castro, Cameron ou Sarkozy. Ces gens sont trop imprévisibles.
Si un Kadhafi parvenait de nouveau à reprendre la main, à se les concilier, au moins en apparence, tous les Castro du monde lui moderniseraient bien son armée de l’air s’ils le pouvaient.
P.-S. – Je vous laisse consulter, sur Le Monde, la tribune libre des diplomates français du groupe Marly. Ils épargnent MAM, souligne La Tribune, qui résume : pas trop téméraires, nos diplomates… Autant faire en sorte que MAM ne se joigne pas avec trop de zèle à la chasse élyséenne aux récalcitrants.