Je devrais me réjouir : la wicca, les druides, toutes ces spiritualités panthéistes ou animistes, polythéistes, &c., me sont fort sympathiques. Druides, bardes, ovates, Mac Fuirmid (poète), réunis en clairières ou bosquets, m’enchantent… D’autant que la tenue, hormis le voile, est aussi seyante que celle de ma confrérie des chevaliers du Boudin blanc de Rethel (« berceau » du dit boudin). Mais voilà : en pratique, cela manque de poches, et le blanc, c’est franchement salissant. et par grand vent, grimper en haut d’une échelle, c’est coton (voire même lin gonflant). Vl’a-t-y pas que je risque de passer pour un tiède si je ne me pointe pas au boulot sans afficher mes convictions par ma mise vestimentaire ? Vais-je le devoir à l’Europe émancipatrice ? Dilemme…  

Ce qu’il y a de bien avec les convictions et rites « paiens », genre culte des ancêtres, wicca, vénérations des esprits, c’est que pratiquement personne ne peut affirmer qu’Allah, Yaveh, la Trinité, a gravé dans le marbre la révélation ultime ou dicté des lois intangibles et incontournables. En sus, la hiérarchie est inexistante ou très floue, au pire collégiale. Mon radicalisme laïcard s’en accommode donc fort bien, en particulier pour les autres que moi-même…
Car me faire suspendre à des lanières munies de crochets fichés sous ma peau (en plein derme) ou copuler nu sous la pluie ou dans la neige au risque de se planter des épines de chardons ou des échardes, très peu pour moi… Mais Kate Moss en policière affectée à la circulation aux carrefours dans la tenue sacerdotale de son choix, là, j’hésite.

Cependant, jusqu’à présent, ces autres religieux n’ennuyaient personne, ne réclamaient pas des subventions ou des aménagements pour ériger des temples permanents, ne vous collaient pas sous le nez des bocaux malodorants remplis de bestioles marinées, &c.

— « Bonjour, je voudrais un billet pour le tant vers… »
— « Attendez, il faut que je consulte pour vérifier si le jour est propice. ».

S’ensuit une sarabande, des fumigations, une éviscération de bestiole (voire d’un nourrisson issu de la procréation médicalement assistée), et bis repetitam non placent (pour ma pomme) pour les jours suivants et précédents. Décrypter les tatouages rituels de la préposée fait certes passer le temps, mais elle va finir, à ce rythme, par me faire préférer le train, le départ en stand-by ou l’embarquement sur un cargo. 

Au passage digressif, je déplore que le départ en stand-by est de moins en moins même, même dans les aéroports de troisième catégorie.

Comme on y va, et nous y mène, la scène qui précède ne relèvera bientôt plus de la littérature genre fantasy. Car, déjà, au Royaume-Uni, se conformant aux décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, l’Equality ans Human Rights Commission a divulgué des directives à l’intention des employeurs. Un Sikh enturbanné monte déjà la garde devant le palais de Buckingham et bientôt, plus question de heurter les convictions du moindre employé. Contradiction, cela vaut aussi pour les libres-penseurs qui pourront s’offusquer qu’un signe religieux soit présent sur le lieu de travail, mais pas qu’un collègue, une travailleuse, se pare de quoi bon lui semblera.

Tout cela découle du jugement obtenu par Nadia Eweida, hôtesse d’escale de British Airways, qui arborait une discrète croix chrétienne pectorale lorsqu’elle vérifiait votre carte d’embarquement.

En France, on le sait, une puéricultrice musulmane revendiquant le port du voile islamique a aussi obtenu gain de cause devant les tribunaux.

Il n’y a pas que les convictions religieuses à entrer en ligne de compte. Plus question de doter d’un siège en cuir une cheffe de service végétalienne, de faire nettoyer un frigo contenant la moindre viande par un technicien de surface végétarien. Il faudra trouver un intérimaire pour remplacer qui revendiquera de se rendre en clairière ou en pèlerinage à Stonehenge ou au plateau raélien destiné à l’accueil des éloims célestes.
Déjà, dresser des emplois de temps de profs est un vrai casse-tête, imaginez la corvée infligée aux directions du personnel s’il faut concilier les croyances d’une multitude d’employés, les unes revendiquant de se rendre à la manif pour le célibat pour toutes et tous, les autres en partance pour le mont Fuji ou l’immersion dans les Grands Lacs.

Mark Hammond, directeur de l’EHRC a déclaré doctement au Sunday Times que « le droit des personnes à exprimer leurs croyances est une liberté vitale garantie par la convention européenne des droits de l’Homme ».

D’un côté, je m’en réjouis : je vais pouvoir scander en sautillant « ni dieu, ni maître » trois fois par jour dans l’atelier. Me vêtir aussi de suint et de peaux de bêtes en hiver, d’un seul étui pelvien aux beaux jours. Aussi obtenir du comité d’entreprise un tarif avantageux pour me rendre aux Galapagos et piéger des minimidés en l’honneur de Darwin.

Je m’attends certes à devoir croiser un prêtre-ouvrier en soutane dans les travées de l’usine, mais bon, chacun son truc, et il est fort vrai que les dreadlocks des rastas n’empestent pas trop : on s’y fait vite.

Je me propose de me déclarer libre-penseur écologiste afin de tenter d’obtenir de pouvoir me déplacer en vélo et planche à voile (pour émettre le moins de CO2 possible) afin de mener l’audit de la filiale de Sydney (ou alors, qu’ils en trouvent un autre). Vu mon statut, la selle de vélo en fibres naturelles, comme la voile, de qualité supérieure : mon collègue vichnouiste a bien droit, lui, à la classe affaires pour se rendre là où on l’expédie.

Je pourrais, avec modération, prêcher le naturisme (pas que par l’exemple), et l’infirmière wicca pourra, si le patient l’admet, disposer tout son attirail herbeux autour du lit et oindre d’huiles essentielles (pourvu que l’aide-soignante n’en soit point indisposée).

Évidemment, des condisciples grincheux de la National Secular Society ont renâclé. Quoi ? Les serpents de l’intolérance siffleraient donc sur nos chefs et nous aurions nourri des liberticides du lait de notre mamelle ?

Les culs-bénits cathos romains ou anglicans réussiront-ils, à coups de recours devant la cour européenne, à semer la dissension dans nos propres cénacles ? Une nième scission de notre obédience s’impose-t-elle vraiment ?

Les païens avec nous, ou nous contre toute manifestation publique, fusse-t-elle païenne ? Allons-nous abonder l’opinion du cardinal Poupard, selon lequel les religions séculières doivent encourager « la reconnaissance du pluralisme religieux » dans le respect de « la pleine existence publique des religions et leur réelle participation aux débats de sociétés, à leurs enjeux et à leur solution humaine » ? Le druidisme n’est-il point un humanisme ?

Voilà que le gouvernement français vient d’accorder une prébende à l’ex-ministre socialiste Jean-Louis Bianco (et pour faire bonne mesure, aux parlementaires UMP Marie-Jo Zimmermann et François-Noël Buffet), nommé à la tête de l’Observatoire de la laïcité. Ouh, hou, méfions-nous, Baby Loup est partout…

Je peux regretter que, par manque de subventions publiques, les Ostensions du Limousin, des processions catholiques romaines, viennent à manquer de lustre. J’affectionne entendre retentir le Lauda, Sion, Salvatorem.
Ecce panis angelorum
Factus cibus viatorum,
Vere panis filiorum
Non mittendus canibus

Ces défilés pedibus jambus ne sont point à jeter aux canibus. Pas davantage que les frénétiques danses rituelles des Pygmées, que le dieu chrétien créa à son image, poussant des mélopées bantoues. Faut-il trancher l’alternative du tout ou rien en matière de manifestations culturelles à caractère cultuel ?

La cour européenne a vraisemblablement penché pour le tout, sans trop en mesurer les conséquences. Il est vrai que, dans le domaine du tout, je relevais hier sur Come4News, que l’avocat belge Marc Verwilghen, ex-garde des sceaux du royaume, avait postulé le commissariat européen aux droits de l’Homme. Il est très syncrétiste, œuvrant à présent pour le compte d’un sulfureux milliardaire irakien. C’est surtout de l’argent qu’à présent émane une odeur de sainteté.

Nous, contribuables, en donnons désormais sa part à la laïcité, avec ce fameux observatoire que nous promettait Chirac, puis Sarkozy, avant que Hollande le sanctifie. Franchement, j’aurais préféré que le montant des frais que cela implique soit dévolu au Secours catholique, à la Cimade, voire au Croissant rouge musulman, aux bonnes œuvres de nos druides.

Un mien défunt ami étasunien, Billy Hults, s’était intitulé pasteur d’une religion panthéiste de son cru, se faisait appeler révérend, et célébrait diverses cérémonies en faisant résonner sa planche à savonner de ses doigts chaussés (sic) de dés à coudre. Il était auparavant fort peu imposable, il ne le fut plus ainsi du tout. Que voilà une bonne suggestion de reconversion pour Jérôme Cahuzac. Ministre du culte du veau d’or : pourquoi ne point adorer un veau, une pierre noire, un suaire, tout ce que l’on voudra… y compris les petits hommes verts.
Billy Lloyd Hults (†2009), le regretté révérend révérait Buddha et le Last Cowboy, divertissant fort, ne prêchant jamais, et tentait de faire survivre une librairie d’ancien sur le littoral de l’Oregon et la Tolovana Arts Colony. Il éditait le mensuel Upper Left Edge (puis le site). Il avait animé la campagne Keep Portland Weird (Portland déjantée). Les encycliques du pape François gagneraient à s’inspirer de son œuvre dadaiste.

Je plaide pour ma part que les seuls ministres du culte bénéficiant d’un concordat quelconque soient issus d’un tirage au sort parmi la population. Libre à eux de prêcher ou de célébrer comme ils l’entendent (cultes préexistants, prosélytisme des agapes païennes, repentir car la fin est proche, libations saisonnières, unions libres polyamoureuses, chasteté par infibulation ou castration volontaire, bref, tout a été prêché et son contraire…). Une allocation leur permettant de dresser des yourtes et recueillir des dons sous abri leur serait allouée une fois pour toutes.
La charge serait transférable, tout comme les licences de taxis (mais dans ce cas, imposable). Elles et ils pourraient vendre des breloques, fabriquées en France, ce qui serait favorable à l’artisanat… Toute latitude serait donnée à chacune et tous de choisir des habits sacerdotaux, si possible originaux et distincts, ce qui favoriserait le tourisme (des détecteurs de tendances, par exemple).
Que fleurissent mille lieux de pèlerinages !

Le tout et n’importenawak, jusqu’à présent contingenté à quelques cultes tenant le haut du pavé télévisuel, histoire de favoriser la diversité, aurait droit à des temps d’antenne. Mais foin de tribunaux ecclésiastiques : chacun sa charia charbonnière, contingentée au logis, donnant lieu à des gages rigolos en guise de pénitence.

Il est grand temps de retrouver nos racines ludiques européennes. Je n’en attends pas moins de Bruxelles et Strasbourg. Vous trouverez en illustrations deux tenues de travail sacerdotal et civil.
Honni soit qui mal y libre pense !