Michèle Alliot-Marie a-t-elle été convaincue de la bonne foi du fils d’Abin Chalandon et du gérant de Visionex, Olivier Sigoignet ? Partant, si tant était que la note manuscrite figurant sur un courrier en ce sens reçu par la Chancellerie, soit de sa main, Rachida Dati était-elle fondée, si ce n’est en droit, du moins en bonne foi, de souhaiter une « clôture » des investigations portant sur le dossier Visionex ? On sait les liens étroits que la famille Chalendon entretient avec Rachida Dati. Cela n’est pas, en soi, incriminant. Retour furtif, partiel et partial, sur l’affaire Visionex. Et comme dans une bonne dissertation à l’ancienne, conclusion élargissant le sujet à l’Angolagate et au Karachigate…

Je n’ai aucune envie de m’intéresser de près ou de loin au dossier Visionex quant au fond. Aucune envie de fouiller à fond les interventions de Sébastien Proto ou Éric Woerth ou Mandel ou quiconque dans le dossier, plus vaste, des jeux en ligne. Il devrait y avoir des journalistes rémunérés pour ce faire. Mais, bon, au lieu de consigner en commentaires ses observations sur l’article « Woerthgate : Rachida Dati avait-elle des visions sur Visionnex ? », un certain Vérisionnex m’adresse des messages en privé. Plaidoyer « pro domo » ? L’anonymat le permettrait. Qu’importe.

 

Un mot, plus général, sur les relations des commerçants avec les fournisseurs de services. Il était une fois dans l’Aisne une société qui mettait à disposition des écrans et des bornes affichant des infos et des publicités. Ce fut une affaire dite « de cavalerie ». Les sommes recueillies auprès des derniers commerçants (limonadiers en général) permettaient de fournir les suivants et d’éponger les dettes, dues en partie au train de vie des gérants. Autre chose : les toilettes à serrure et jetons ou pièces. Voire les équipements sanitaires. Nombre de cafetiers-restaurateurs se sont retrouvés quelque peu dans la m… du fait de sociétés défaillantes. Pour les bornes d’accès à Internet, je ne sais trop ce qu’il en est…

 

Un autre mot sur les jeux proposés au public. Hors fêtes foraines, kermesses, &c., et occasions publiques soumises à réglementation, on a d’une part les casinos et assimilés, les cercles de jeux, d’autre part le PMU, la Française des Jeux, les opérateurs autorisés de jeux en ligne (enfin, pour leur compte, « d’autre part » est parfois abusif). Même le 4-21, s’il donne lieu à versement de gains, est, tout comme les jeux de cartes « intéressés », interdit dans les lieux publics. On sait bien pourtant que le fameux billard électronique « Jungle » permet à des clients de disputer des parties et d’engager des mises. Mais le responsable de l’établissement ne perçoit que sa part des sommes déposées dans la machine. C’est un jeu de « hasard ». De même, les fameux « billards belges » (une boule, des picots, des trous) étaient censés être des jeux de hasard, sans autre gain que la possibilité de rejouer. En fait, le cafetier était souvent intéressé à la recette d’une autre manière : il versait en euros les montants des gains aux clients chanceux, et touchait autre chose qu’une part réduite de la recette.

 

Tout autre pouvait se présenter le dispositif Visionex. C’est sans doute (impossible d’aller vérifier à présent), une borne d’accès Internet proposant aussi des jeux du type « console de jeu électronique ». Ces jeux (casse-brique ou autre, même poker ou autre) ne doivent pas donner lieu à versement de gains. Qu’on puisse, aussi, via l’Internet, accéder à des jeux gratuits similaires en ligne ne pose pas problème. Mais on peut aussi, et c’est là responsabilité du client, accéder à des sites de jeux en ligne supposés « rémunérateurs » (pour les gagnants, bien sûr pour les gérants des sites, et dans diverses mesures, selon les pays, le fisc).

 

Vérisionex, mon mystérieux correspondant, a, semble-t-il, bien lu mes chroniques du Woerthgate, mes références à des jeux en ligne domiciliés à l’étranger, à Carlson WagonLit : « Faut-il être une société étrangère pour être respectée par les autorités françaises et être défendue par nos dirigeants sans qu’ils soient suspectés de prise d’intérêt illégitime ? » C’est un peu réducteur : rien n’empêche une société étrangère de favoriser les intérêts occultes de certains dirigeants. Voire de leur proposer des postes intéressants : n’est-il pas, Olivier Sarközy, vice-président du Carlyle Group ? Mais l’affaire Visionex pose le problème du respect de la loi de 1983 sur les jeux de hasard, et on s’en tiendra, peu ou prou, là… On remarquera que l’actuel préfet de Picardie, Delpuech, dans un courrier du 11 juillet 2010, s’était par exemple prononcé sur le règlement et les conditions d’utilisation du jeu Visiogames, et qu’on pouvait lui assimiler le dispositif Visionex.

 

Vérisionex trouve la rémunération versée par Visionex à Fabien Chalendon tout à fait en rapport avec sa formation, ses aptitudes et capacités. « Des honoraires de 10 000 euros par mois pour un homme de 57 ans expérimenté et titulaire de diplômes prestigieux, c’est trop ? Alors que dire des salaires des dirigeants et courtiers de la Française des Jeux qui se nourrissent des chimères qu’ils vendent aux citoyens les plus fragiles ? ». Ajoutons France Galop et Florence Woerth. Je n’irai pas vérifier si Visionex employait des stagiaires peu ou très mal rémunérés, voire intéressés par uniquement des commissions, tandis que Fabien Chalendon, plus fort de ses relations et de son entregent que d’autre chose, empochait en quelques heures ce qu’un démarcheur, en quelque 45 heures, voire davantage, hebdomadaires, pouvait espérer en… quoi ? un trimestre, un semestre, un an ? Davantage ? 80 personnes ont été licenciées, je ne sais pas combien Fabien Chalendon perçoit du Pôle-Emploi…

 

« Vous vouliez des preuves ? Voici une décision de justice, pouvez-vous la lire attentivement ? (…)  Lire l’extrait du seul jugement rendu sur Visionex, » poursuit Vérisionex. Je n’ai absolument pas le temps de m’adresser au greffe du tribunal correctionnel de Carcassonne pour obtenir le jugement du 7 avril 2010. Je prends donc pour argent comptant la transcription que Vérisionex (ou peut-être Olivier Sigoignet ?) me transmet. On consultera, sur le site Libération, les commentaires du bloggeur Aporie, pour retrouver une autre transcription.

 

Il en ressortirait qu’on pouvait, depuis un terminal Visionex, accéder au jeu Billard Academy, comme à d’autres, et que Bernard Bouloc, professeur de droit (Paris-Sorbonne), avait « confirmé la légalité du concept. ». L’addiction au jeu(x) de Visionex n’était pas, selon le tribunal, favorisée par le mode de paiement : tout comme s’il utilisait un billard électronique, après une partie perdue ou un tilt, l’utilisateur pouvait ou non décider de rejouer. Toute la journée, du petit matin au lendemain, tout comme dans un bar de nuit autorisé ne fermant que pour procéder au nettoyage et à une nouvelle mise en place, s’il le souhaite, un joueur de « flipper » peut s’offrir une tendinite des poignets, avec Visionex, c’était encore moins nocif pour ses articulations.

 

De ce fait, Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur au 21 juillet 2008, transmet un courrier à Rachida Dati, alors Garde des Sceaux : pour elle, Visionex ne contrevient pas à la loi de juillet 1993. Quelqu’un, qui pourrait ou ne pas être Rachida Dati, annote maladroitement (eu égard au Code de procédure pénal) ce courrier.

 

Dans le cas d’un terminal Visionex, l’utilisateur peut acheter par avance des crédits, et se les voir rembourser dans un délai d’un mois. C’est un peu comme pour les communications téléphoniques : vous utilisez ou non, libre à vous (pour se faire rembourser les unités non-consommées, bonjour… dans la plupart des cas de recours à une carte et non à un forfait). Bref, rien à redire.

 

Un café muni d’une borne Visionex pouvait très bien fonctionner comme un cybercafé autorisé. Qu’il ait été constaté que la moitié de la clientèle d’un bar de l’Aude ait été plus soucieuse de jouer à « Billiard Academy » que de consulter Come4News ne nous surprend guère. Une version en ligne de ce jeu, chez Cafe.com, ne donne d’ailleurs pas lieu à rétribution.

 

« Ces éléments permettent d’affirmer, que quand bien même sur l’élément matériel de l’infraction, le tribunal commettrait une erreur d’appréciation, il ne peut y avoir aucune discussion sérieuse s’agissant du défaut d’élément intentionnel : tous les prévenus renvoyés devant le tribunal correctionnel sont d’honnêtes commerçants ou un gérant de société qui ont été convaincus, au regard de ces courriers administratifs et de toute la documentation technique l’accompagnant, de la légalité de cette machine, » aurait (conditionnel de pure forme, je n’ai pas la pièce en main, c’est tout) conclu le tribunal. « Monsieur SIgoignet (…) préalablement à toute exploitation, a recherché l’avis de toutes les administrations intervenant dans ce domaine, ce qui est pour le moins inhabituel dans les dossiers d’exploitation occulte de machines à sous, » (remarque id supra). Enfin, par exemple à Quillan ou Axat (Aude), les limonadiers ne retiraient en moyenne que 200 euros par mois de Visionex.

 

Conclure que la Française des Jeux aurait préféré qu’on s’acharne à gratter ou à miser sur un bingo à résultats affichés toutes les vingt secondes, genre Rapido, que le PMU voyait dans Visionex un concurrent naissant détournant l’intérêt des turfistes pour ses propres jeux est une appréciation que je partage.

 

Visionex ne serait-il qu’un prétexte pour « coincer » David Sénat et qui, dans l’entourage actuel de Michèle Alliot-Marie, aurait pu disposer d’autres dossiers sur la Sofrémi (SEM étant apparue dans l’Angolate et le Karachigate) ?

 

Sur le blogue de Libération, Aporie poursuit : « la fabrication des bornes avait été confiée à une entreprise française, pas en Chine... ». Traiter avec des sociétés étrangères, selon des modalités d’une transparence moins évidente, présenterait-il des avantages que le fisc, par exemple, et l’Inspection générale des services financiers, pourraient se voir dissimuler ?

 

S18 Sagem Terminal, de la Française des Jeux, et Pariez-Spot, sont-ils plus addictifs que Visionex, mais plus rémunérateurs pour d’autres que le tandem Chalendon-Sigoignet ? Ou moins addictifs et moins rémunérateurs ? Poser la question…

 

Un précepte policier est repris à leur compte par les magistrats instructeurs : « on ne serre jamais un voyou pour ses activités principales, mais sur des petits trucs occasionnels ». Visionex a-t-il servi à « serrer » David Sénat pour qu’il ne déballe pas d’autres dossiers ? Visionex est-elle instrumentalisée par une juge d’instruction pour que les mêmes dossiers soient déballés ?

 

Ce ne sont pas là les « vérités » de Vérisionex, mais mes propres supputations, gratuites, forcément, gratuites. Pas comme les sommes récoltées par la Française des jeux, les opérateurs de jeux en ligne, France Galop, le PMU… Ou par certains protagonistes du Woerthgate…