Avec presque soixante ans de carrière cinématographique et une bonne cinquantaine de films, Maurice – Momo – Chevalier se qualifie bien sûr pour figurer dans le cénacle des Olledizes beut Goldizes – comme il aurait pu le « gouailler » –, soit des Vieilles Gloires dorées. Saviez-vous que Ma Pomme (1950, Marc-Gilbert Sauvajon) n’était pas qu’une chanson de Charles Borel-Clerc et de Georges Fronsac ainsi que d’une certaine Madame Lucien Rigot (et pardon si je me trompe et qu’il s’agit seulement du mari). La chanson est de 1936, et le marcheur de Ménilmuche (Ménilmontant), l’interprète de Mimile, est depuis dix ans une vedette d’Hollywood.


Chevalier est l’un des rares acteurs et chanteurs français à avoir fait une « très » grande carrière à « Hollywood ». En tout cas, sur les planches des salles de spectacles et dans les studios du cinématographe étasunien, Maurice, on connaît. D’ailleurs, on apprend parfois le français en l’imitant. Difficile de faire comprendre qu’il jacte l’argot des Parigots, et que soi-même, cela fait longtemps qu’on pratique un autre français.

 

mauric_chevalier_affiche.pngMaurice Chevalier(1888-1972), est un chanteur assez vite lancé. En 1900, il quitte Fréhel pour Mistinguett, et c’est une bête de scène. Mais ce n’est qu’après avoir épousé Yvonne Vallée, en 1928, qu’il gagne l’Amérique. Là, bien que parlant parfaitement l’anglais au besoin, il invente une sorte de franglais transatlantique pour la galerie. Mais ce ne sera pas ainsi qu’il séduira Marlene Dietrich. De retour en France, en 1935, il tourne et chante jusqu’en 1942. À la Libération, on lui fait un mauvais procès, totalement injustifié, mais le Parti communiste rétablit l’artiste dans sa popularité. Il saura s’adapter au goût du jour en enregistrant Le Twist du canotier avec les Chaussettes noires, de Schmoll (Claude Moine dit aussi Eddy Mitchell). Il fait ses adieux à la scène et à la caméra (de télévision) en 1968 mais son dernier film sera daté de 1967. Il s’agit de Monkeys, Go Home!

 

Le film Monkeys, Go Home! a pour personnages des singes qui vont aider un jeune Américain à cueillir les olives dans la propriété qu’il tente de retaper, dans le Midi. Mais le réalisateur, Andrew V. McLagen a sans doute encore en mémoire les slogans peints à proximité des bases de l’armée américaine en France. À l’époque du retrait de la France de l’Otan, en 1966, tant le général De Gaulle, qui adresse un mémoire à Eisenhower dès le 17 septembre 1958, que le P.C.F. et divers partis de gauche approuvent une politique de désengagement de la France vis-à-vis des États-Unis. Et cela fait quelques années que des Yankees, Go Home fleurissent sur les murs des localités françaises. Que Maurice Chevalier, qui avait rendu la pareille au P.C.F. en signant l’Appel de Stockholm (du Mouvement mondial des partisans de la paix, sous-entendu avec l’U.R.S.S.), figure au générique n’a rien d’étonnant. Il était devenu persona non grata aux États-Unis, et il y restera indésirable jusqu’en 1955.

 

Il débute par Trop crédules (1908), un court-métrage de Jean Durand. Puis il est abonné aux films de Diamant-Berger. En 1928, la Paramount veut des comédies musicales. Il en sera. La Chanson de Paris (1929, Richard Wallace), Parade d’amour (idem, d’Ernst Lubitsch) et Le Petit café (1930, Ludwig Berger) en font une « grande vedette ». Français et Américains ont été alliés pendant la Grande Guerre, et le beau Momo est le French lover par excellence. Œil de velours, gouaille, il roucoule. Et il finit par s’ennuyer. Il jouera son propre rôle à ses débuts dans L’Homme du jour (1936, Julien Duvivier) et le surprenant Le Silence est d’or (1946, René Clair). Il interprète Émile Clément, le père de Jacques (François Périer), qui va s’effacer après avoir goûté aux charmes de Madeleine, qui n’est pas non plus insensible à Jacques. Reparti à Hollywood en 1957 pour le rôle du père d’Audrey Hepburn dans Ariane (1957, Billy Wilder), il tournera dans Gigi (1958, Vincente Minnelli). Et puis de nombreux autres films s’enchaînent, tant en Amérique qu’en Europe. Le gars de Ménilmuche sera un très bon Honoré Panisse dans le Fanny de Joshua Logan (1961). Il s’agit d’une comédie musicale et Marius est Horst Buchholz, Fanny étant Leslie Caron. Charles Boyer est César. L’adaptation des Enfants du Capitaine Grant, In Search of the Castaways (1962, Robert Stevenson), lui offre l’un de ses tout derniers grands rôles. Mais c’est Jack Gwillim qui joue le capitaine.

 

On se souvient évidemment de son canotier, de sa canne, mais aussi de sa lippe. Les affichistes sont aussi des caricaturistes et les affiches gonflent sa lèvre inférieure. Cela plait ? Il saura prendre la pose pour la mettre en valeur. Il restera vraiment avec Louis Mariano (et sans doute plus que Tino Rossi), le chanteur populaire le plus célèbre et le plus adulé de France jusqu’à sa mort.

 

La salle de l’Alhambra-Maurice-Chevalier perpétue sa mémoire. Allez, Youp-la-Boum ! Et à la revoyure ! En 1971, il fait deux unes de suite pour France-Dimanche (l’hebdo pipeule d’alors avec Ici-Paris). Puis encore une autre, assez misérabiliste (« séparé de tous ceux qu’il aime », « une infirmière ne le quitte plus », « c’est dur de se retirer quand la flamme brûle encore », sont les titres de juin ; les précédentes étaient plus souriantes avec un « il nous reste ses films » et « Il y a encore 15 jours, des déclarations d’amour »). Eh oui, dans la vie, il ne faut pas s’en faire, mais on se fait vraiment, en 1971 et 1972, du vrai mauvais sang pour Momo. Et puis, on finit par titrer sur son « testament surprise ».

 

Il y a bien sûr des rues Maurice-Chevalier à Marnes-la-Coquette et à Paris, mais aussi dans toute la France. Il a son boulevard à Cannes (devenue avenue, à moins que ce ne soit le contraire). Montreuil et Outreau ne lui ont réservé qu’une allée. Mais bien d’autres voies ou édifices lui doivent leurs noms. Sa statue de bronze se trouve encore, j’imagine, à la Fondation Dranem, dites le château de Ris, près de Ris-Orangis, dans l’Essonne.