Là, pour évoquer Arletty (†1992, Paris) j'ai besoin d'une atmosphère très documentée. Née des œuvres du chef de dépôt des tramways et de la blanchisseuse Marie Dautreix, à Courbevoie, en 1898, Léonie était au départ destinée à devenir sténographe de conférences et débats. Elle est bien mignonne, cette petite femme là, comme aurait pu le chanter Michel Simon. Un riche banquier la remarque, et elle va vivre, « à la colle », comme on disait alors, dans sa village proche de celle de Coco Chanel et André Brulé…

 

Mannequin chez Poiret, elle se fait nommer Arlette. Elle sera Arletty pour monter sur les planches des Capucines, où sera jouée la comédie musicale Une Femme par jour de Pierre Veber et Jean Boyer. Elle a bon chic, mais pour l'époque, elle peut passer pour une demi-mondaine. Paul Guillaume, le galériste qui collectionnera des Picasso, Soutine et Modigliani, lui fait connaître des peintres pour lesquels elle pose : Marie Laurencin, van Donge… Vers 1930-1932, elle alterne des rôles pour la scène ou le cinématographe. Michel Simon lui donne la réplique, puis elle rencontre Michel Carné et Prévert.

C'est pourtant Jeanson, qui collabore avec Carné pour Hôtel du Nord, qui la rend inoubliable pour au moins deux ou trois génération. Son célèbre timbre pour lancer à Jouvet son « atmosphère, atmosphère… » doit beaucoup à Courbevoie, Puteaux et Suresnes. Sur scène, elle joue plutôt la cocotte parisienne. Là, c'est des intonations banlieusardes parisiennes, des personnages de l'autre côté des fortifs (le périf' attendra les années pompidoliennes pour ceinturer Paris : les travaux débutent en 1958 et s'achèvent en 1973) que s'inspire celle qu'on n'appelle plus qu'Arletty. Ménilmuche, chanté par Maurice Chevalier, c'est autre chose.

On lui doit encore cette réplique qui fera… mouche : « Pas folle, la guêpe ! ». Feue madame ma mère l'employait encore de temps à autre. Pour ma fille, je ne suis pas sûr que cela lui dise encore quelque chose et pour ses élèves de collège, je doute encore plus fort.
L'Occupation la fait entrer dans la filmographie classique avec un rôle de Madame sans gêne (Roger Richebé) et Les Visiteurs du soir ou Les Enfants du Paradis de Carné. Elle se choisit de beaux amants, dont un officier de la Luftwafe. C'est surtout un juriste, mais c'est un «  boche », et cela suffit. On l'interne, on la libère, elle va se mettre au vert chez des amis résistants. « Mon cœur est français, mon c.. international ! », avait-elle lancé à celui qui venait l'arrêter. Jean-Pierre Dubost, ami et compagnon de presque toujours, et la plupart de ses partenaires de scène ou de prises lui resteront fidèles, tout au long d'une carrière qui lui permet de lancer acteurs et actrices lui donnant la réplique.
Elle était « comme elle était » ainsi qu'elle le confiait et tel que l'a consigné son biographe, Michel Souvais (Je suis comme je suis, 1987, Paris, Carrère). Madame sans gêne n'avait que faire du qu'en dira-t-on. Elle est Cri-Cri dans Tempo di Roma de Denys de La Palletière, puis Fernande pour Gilles Grangier dans Le Voyage à Biarritz. Elle perd pratiquement la vue et ses dernières interventions, à partir de 1967, seront de prêter sa voix à des documentaires.

Elle chantait aussi. Trouver des Mp3 ne devrait donc pas être au-dessus du possible, ni même en-deça…